A Anderlecht, loin des clameurs
Nous sommes à Anderlecht. Loin, cependant, très loin des installations flambant neuves du centre de formation du Sporting et des clameurs du stade Constant Vanden Stock. En bout de » pelouse « , la route de Lennik sert pratiquement de ligne de but. Au-delà, on trouve la chaussée de Mons, artère principale de La Roue, le grand quartier populaire du sud de la commune.
Quotidiennement, une troupe de footballeurs africains venus taper le cuir rallie ce lambeau de terre planté de deux cages fatiguées. Il y a là des Camerounais, des Ivoiriens, des Guinéens, des Maliens, des Sénégalais… A chaque séance, on remarque de nouvelles têtes. […] Certains vivent à Bruxelles, d’autres font le déplacement de beaucoup plus loin. […] Les seuls à s’intéresser à ce qui se passe ici sont de prétendus » intermédiaires « . Ils passent à l’occasion faire leur marché à la recherche de la perle noire qu’ils proposeront ensuite à vil prix à des clubs belges et parfois étrangers. […]
Tous les témoignages racontent sensiblement la même histoire. Celle d’un môme d’Afrique de l’Ouest qui se voit déjà en haut d’une affiche de Champion’s League, poussé par sa famille certaine que les pieds du petit recèlent une mine d’or. Un beau jour, il fait la connaissance d’un soi-disant manager local, dans une de ces académies de football plus ou moins officielles qui pullulent dans toute cette partie du continent et où il passe le plus clair de son temps. Ce dernier lui débite son boniment sur la possibilité de rejoindre un championnat européen moyennant un viatique de 4 000 ou 5 000 euros. Pour s’acquitter de cette petite fortune, ses proches s’endettent sans rechigner avec la conviction qu’ils réalisent un placement d’avenir. […]
Parvenu au bout du voyage, l’adolescent aux pieds d’or passe du rêve à la rue. Ses tests non concluants dans différents clubs de première division lui révèlent qu’il a été surcoté à la bourse du talent. Il ne sera jamais l’étoile du Barça ni le roi de Chelsea. Son visa expire aussi sûrement que son » manager » a disparu. Il se retrouve bientôt en situation irrégulière. Sans papiers, sans logement, sans argent. Il joue sous l’identité d’un cousin pour une équipe provinciale dont les dirigeants lui ont promis un contrat l’an prochain s’il casse la baraque d’ici là, mais qui finiront par se passer de ses services en fin de saison. En attendant, ses maigres primes de match lui assurent un ordinaire guère plus épais. Sa condition décline et son moral est en berne. Au pays, sa famille a beau faire le siège des guichets de Western Union, le salaire mirobolant du champion n’arrive pas. Lui ne repartira sous aucun prétexte. Il préfère l’exil à la honte.
Comment acheter un jeune joueur en 30 minutes
Il se présente comme agent de joueurs, même s’il ne fait pas partie de ceux officiellement reconnus par la FIFA en Côte d’Ivoire. L’homme croit avoir en face de lui deux recruteurs belges en prospection dans le pays.
– Connaissez-vous un peu le championnat de Belgique ?
– Oui, je travaille d’ailleurs parfois avec Mr. V. (NDA : ancien cadre d’un club flamand limogé pour indélicatesses, reconverti comme manager peu réputé pour sa probité). Nous avons collaboré dans le cadre de transferts de joueurs burkinabés vers la Belgique.
– Nous cherchons des jeunes de 16, 17 ans maximum, talentueux, mais avec une marge de progression, pour des équipes de D2, D3…
– Je peux vous faire rencontrer deux des miens, un milieu de terrain et un avant-centre, actuellement en équipe nationale cadet au Burkina. Le milieu est un phénomène : il a 16 ans, mesure 1,83 m et il est très fort de la tête.
– Nous avons déjà repéré quelques joueurs de centres, ici, à Abidjan. Pourriez-vous approcher les familles pour nous ?
– Sans problème. Il suffit qu’on s’entende sur la manière de collaborer et je m’occupe de tout.
– C’est-à-dire ?
– Je vous obtiens les autorisations parentales, je me charge des formalités administratives de sortie du pays, etc.
– Comme il s’agit de mineurs, nous craignons des réticences de la part des parents, des autorités sportives et administratives. Qu’en pensez-vous ?
– Non, rassurez-vous, tout est une question de confiance, de relations et bien sûr d’argent.
– Quels sont vos tarifs ?
– Je prends 20 % de commission plus les frais.
– Nous ne comptons pas payer les billets d’avion, le visa et les divers coûts. Les parents des jeunes susceptibles de nous intéresser paieraient, d’après vous ?
– S’ils sont en confiance et que tout est clair, ils trouvent l’argent. Tout ce qu’ils demandent, c’est que leurs enfants fassent carrière en Europe.
Les intertitres sont de la rédaction. Marque ou crève, par Frédéric Loore et Roger Job, Editions Avant-Propos, 128 p. En librairie dès le 18 juin.