Etienne Vermeersch, ancien jésuite  » sans rancune « 

Devenu athée, le philosophe Etienne Vermeersch (Université de Gand) reconnaît à la Compagnie de Jésus beaucoup de qualités, hors sa foi fondatrice. Entretien.

Le Vif/L’Express : Qu’est-ce qui vous a attiré chez les jésuites ?

Etienne Vermeersch : A l’âge de 17 ans, j’avais lu un livre de l’écrivain flamand Gerard Walschap, Zuster Virgilia, simple paysanne aspirant à devenir sainte dans son couvent. Autour d’elle, les miracles se multipliaient mais un membre de sa famille leur trouvait toujours une explication rationnelle. Moi qui étais très dévot, j’ai voulu voir jusqu’à quel point ma croyance était fondée rationnellement. En chemin, je suis devenu athée. Mais je devenais malheureux parce que j’avais perdu mes repères. Influencé par l’existentialisme, j’ai alors décidé de faire un pari sur Dieu, à la manière du philosophe danois Kierkegaard, et je suis redevenu très croyant, mais autrement.

Vous vouliez devenir trappiste…

Oui. Vu mon tempérament, on m’a conseillé d’aller chez les jésuites, plus engagés dans la vie active. La thèse des jésuites est que l’homme est né pour servir Dieu et que tout le reste doit être subordonné à ce but. La voix de Dieu s’exprime à travers l’Eglise ou votre supérieur. Moi, après quelque temps, j’avais l’impression que la voix de Dieu s’entendait à peine quand elle arrivait chez le supérieur… Au bout de cinq ans, j’ai quitté l’ordre et, deux ans plus tard, j’étais devenu parfaitement athée. Cela ne signifie pas que j’ai gardé une mauvaise image des jésuites, au contraire, j’ai beaucoup d’amitié pour ceux que j’ai connus là-bas. Je ne suis tout simplement plus d’accord avec la proposition de base suivant laquelle l’être humain est créé pour servir Dieu.

Qu’avez-vous retiré de votre formation ?

Les Exercices Spirituels de saint Ignace de Loyola constituent une expérience assez exceptionnelle. Ils entraînent une réflexion continue sur soi-même. Cette discipline perdure pendant tout le noviciat. Au matin, méditation d’une heure. Après le petit déjeuner, réflexion sur cette méditation. A midi, quart d’heure de réflexion sur votre avant-midi. Et le soir, quart d’heure de réflexion sur votre après-midi. Cela devient une sorte de réflexe, un autocontrôle, une obligation d’être logique avec soi-même. Mon goût pour la rationalité a été encouragé chez les jésuites car dès que l’on adopte leur postulat de base, rien ne s’oppose à la rationalité.

Quelle a été l’influence des jésuites en Belgique ?

Les jésuites bénéficient d’une très longue formation, treize ou quatorze ans, avant de prononcer leurs voeux définitifs. Jointe à leur rationalité, il y a aussi cette idée que la fin justifie les moyens pourvu qu’ils ne soient pas immoraux. Quand on voit le but, quels sont les moyens ? Un jésuite peut se dire qu’il va tenter de convertir le roi d’un pays car ses sujets le suivront. D’où leur intérêt pour la formation des élites dans les collèges. Mais le succès n’est pas garanti. Il y a une trentaine d’années, au Parlement, la plupart des anciens élèves des jésuites étaient dans les partis de gauche. Les jésuites sont très différents. Par exemple, lorsque j’étais au Comité de bioéthique et que nous discutions de l’euthanasie, le jésuite flamand, ancien recteur de l’Université d’Anvers, était favorable à une loi, tandis que le jésuite wallon y était opposé.

Les jésuites belges ont-ils anticipé la division du pays en créant, en 1935, les provinces méridionale et septentrionale ?

Quand j’étais à la Compagnie, j’ai connu des Flamands francophones super-belgicains et des flamingants. On avait les extrêmes des deux côtés. Je crois surtout que la scission a été un effet de leur pragmatisme, de la recherche de la plus grande efficacité possible puisque les collèges étaient soit en français soit en néerlandais.

ENTRETIEN : M.-C.R.

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