Et la campagne, bordel ?

Difficile, pour les partis, d’entamer la campagne électorale en ces temps internationaux troublés. Pourtant, les enjeux belgo-belges sont importants. Au PS et chez Ecolo, on fera tout pour éviter que la guerre en Irak escamote le débat interne

George Bush va nous voler notre campagne électorale !  » prophétise François Heinderyckx, professeur de sociologie des médias et de communication politique à l’ULB. Pourtant, l’échéance approche : le 18 mai, les Belges déposeront leurs bulletins de vote dans l’urne. Mais voilà : l’actualité internationale est venue supplanter les enjeux belgo-belges et retarder le démarrage de la campagne électorale. Tous les regards û ceux de l’opinion publique, des responsables politiques et des médias û sont, en effet, tournés vers les Etats-Unis, l’Irak et les régions du globe qui seront touchées par l’onde de choc de la guerre. Difficile, dans pareil contexte, de faire entendre sa différence sur des questions politiques, sociales et économiques d’intérêt  » national « .

Les socialistes cachent mal leur impatience et leur irritation : comment ravir la vedette à Louis Michel (MR), le vice-Premier ministre et ministre des Affaires étrangères, omniprésent ces derniers mois, sur la scène politique internationale et dans les médias, sur ce sujet d’une brûlante actualité ? Comment se distinguer, aussi, alors que Michel, prenant le contre-pied des positions libérales  » traditionnelles « , s’est distancié sans ambiguïté de la position américaine ? Ce faisant, il a fait d’une pierre deux coups : il s’est attiré la sympathie de l’opinion publique, majoritairement opposée au conflit, et a coupé l’herbe sous le pied à ses  » partenaires  » socialistes et écologistes. Il a aussi, dit-on, mécontenté certains  » collègues  » libéraux : son parti compte, en effet, pas mal de partisans de la  » pax americana « , jusqu’à présent réduits au silence. Ces derniers jours, l’irritation a gagné Guy Verhofstadt, las de se faire ravir la vedette médiatique par son encombrant vice-Premier. Agacé, aussi, de voir la politique étrangère de la Belgique monopolisée par un de ses lieutenants, francophone de surcroît. Alors même que, dans les rangs du VLD, le parti du Premier ministre, la position défendue par Louis Michel est loin, très loin de faire l’unanimité…

Cela dit, le cap défini par Michel pourrait se révéler difficile à tenir sur le long terme.  » Si la guerre en Irak tournait au drame, si la Turquie entrait elle-même en guerre, par exemple, rien ne dit que les responsables politiques belges continueraient à afficher une si belle unanimité, analyse Vincent de Coorebyter, le directeur du Centre de recherche et d’information sociopolitiques (Crisp). La ligne éthique, prônant le respect du droit international, pourrait un jour ou l’autre rentrer en opposition avec des intérêts d’ordre politique nettement plus pragmatiques.  » L’opinion publique peut se révéler très versatile, observe également François Heinderyckx (ULB) : les médias s’en sont tenus, jusqu’ici, à cette position éthique et morale, rationnelle et argumentée. Mais, lorsque l’on sera au c£ur des opérations, on risque de basculer du registre de l’analyse intellectuelle à celui de l’émotion. D’autant plus que les images en provenance d’Irak seront soigneusement filtrées par les chefs û américains û des opérations militaires et que les commentaires qui les accompagneront risquent d’être, eux aussi, soumis à un contrôle préalable. Voilà qui pourrait modifier profondément la nature du débat et les sentiments de l’opinion.  »

Tout récemment, l’ambiance s’est tendue au sein du gouvernement. Le jeudi 13 mars, au micro d’un auditoire bourré d’étudiants universitaires, Louis Michel annonçait virilement, que la Belgique refuserait le passage sur son territoire et l’accès à son espace aérien aux Américains dès le déclenchement de la guerre. Le lendemain, le vice-Premier se faisait contredire par Daniel Ducarme,  » son  » président, expliquant à qui voulait l’entendre que la Belgique était liée aux Etats-Unis par une convention régissant ces transits, et ce dans le cadre de l’Otan. Dans l’entourage du Premier ministre, on tenait alors le même langage. Ce qui n’a pas empêché Louis Michel et André Flahaut, le ministre de la Défense (PS), de réaffirmer en ch£ur, sur les plateaux de télévision au cours du dernier week-end, que la Belgique opposerait un refus aux demandes de transit américaines. Et  » la cohésion gouvernementale est claire à ce sujet « , soulignait Flahaut le lendemain, dans le journal Le Soir. Tellement claire que, le mardi 18 mars, Guy Verhofstadt affirmait que la Belgique s’alignerait sur la position de la France et de l’Allemagne, ses alliés dans l’opposition à la guerre qui adoptent, pour leur part, une position moins intransigeante à l’égard des Etats-Unis sur ce sujet. Le jour même, sur les ondes de la RTBF, Louis Michel se rangeait à ces impératifs du  » réalisme politique « . Fin de l’épisode ? Peut-être pas : ce mercredi, le PS et Ecolo continuaient de se démarquer de cette position  » commune « .

Le ton est donné

Cette cacophonie révèle-t-elle les premières brèches dans l' » union nationale  » sur le dossier irakien ?  » La guerre et ses enjeux pourraient devenir un thème de campagne électorale, prédit un parlementaire VLD : vous verrez, alors, à quel point les positions des formations politiques û et à l’intérieur des partis û divergent…  » Le hic, si ces divergences trouvaient l’occasion de s’exprimer, c’est que les libéraux risquent alors d’être pointés du doigt par les socialistes et les Verts, deux partis au sein desquels le courant pacifiste prédomine largement. Et, au MR, on craint comme la peste de donner du grain à moudre aux  » Convergences à gauche « . Au Boulevard de l’Empereur, le siège du parti socialiste, on répète d’ailleurs à qui veut l’entendre que  » la reconduction de l’arc-en-ciel n’est pas une fatalité  » et que  » le PS pourrait gouverner aussi bien avec le CDH qu’avec le MR, deux partis centristes « .

Cela ne fait donc aucun doute : la guerre en Irak n’est pas la seule à habiter les esprits des responsables politiques belges. Elio Di Rupo bataille d’ailleurs ferme pour ramener l’attention des électeurs sur les enjeux belgo-belges.  » La guerre est la pire des choses. Depuis plus d’un demi-siècle, grâce à la construction européenne, en Belgique, nous vivons en paix. Cependant, si elle est précieuse, la paix ne résout pas, d’elle-même, tous les problèmes. Aussi, j’estime qu’il est de ma responsabilité de président du PS de vous faire part d’une grande inquiétude. Notre modèle de société qui associe développement économique et forte protection sociale risque d’être détruit « , écrit-il dans une lettre acheminée dans toutes les boîtes aux lettres des francophones à Bruxelles et en Wallonie. Et Di Rupo d’énoncer alors les priorités de son parti : la défense de la sécurité sociale et la protection de la sécurité d’existence. Plus significatif, le président du PS s’en prend à  » ces partis ( NDLR : il ne les cite pas, mais il vise évidemment les libéraux) qui proposent ni plus ni moins de vider les caisses de l’Etat. Ainsi, le ton de la campagne est donné : la poursuite ou non de la réforme fiscale, le dada libéral, sera l’un des thèmes autour desquels se déchaîneront les passions, le moment venu. Et, sur ce point aussi, les libéraux francophones risquent d’apparaître bien seuls face à un » axe de gauche  » soucieux de garantir les moyens financiers d’un Etat belge confronté à la disparition des marges budgétaires.

 » Une démocratie ne peut faire l’économie d’une campagne û c’est-à-dire du débat û à la veille d’un scrutin législatif. D’autant moins que les événements internationaux déterminent rarement le choix des électeurs « , s’inquiète de Coorebyter.  » Si la guerre en Irak devait continuer longtemps d’entretenir un consensus politique, fût-il de façade, d’empêcher le démarrage de la campagne et de museler l’expression des différences sur des thèmes nationaux, cela contribuerait à alimenter l’idée qu’  » ils sont tous pareils « , renchérit Heinderyckx. Au risque d’élargir encore ce fameux fossé qui sépare les électeurs de la chose publique « . Or les divergences existent, les programmes sont fin prêts. Reste à attendre le moment opportun pour en débattre. Au lendemain de la trêve pascale qui, espère-t-on dans les états-majors des partis, coïncidera peut-être avec la fin de la guerre en Irak ? Il restera alors à peine trois semaines avant le scrutin…

Isabelle Philippon

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