Essais atomiques Chair à radiations

Reggane et le Hoggar en Algérie, les atolls polynésiens de Mururoa et de Fangataufa. Deux théâtres d’opérations marqués par le flash des tirs atomiques français. A l’heure où le drame de Fukushima ravive le débat autour du nucléaire, Jean-Philippe Desbordes retrace le calvaire des corps, les cancers, les maladies radio-induites. Appelés du contingent, militaires de carrière, supplétifs et populations locales, cette armée des ombres témoigne dans une enquête inédite, Les Cobayes de l’apocalypse nucléaire. Un document édifiant, publié aux éditions de L’Express-Roularta* le 23 juin.

[EXTRAITS] L’ACCIDENT DE BÉRYL

Lucien Parfait a été contaminé dans le Sahara algérien, à l’époque des tirs nucléaires souterrains. [à] Symbole des gueules cassées de l’apocalypse nucléaire, il montre un document consignant les doses reçues le 1er mai 1962, jour d’un accident nucléaire longtemps nié par l’Etat français. Ce document révèle que la dose reçue serait  » proportionnelle au grade de l’individu « , dit ce témoin très lourdement contaminé.  » Voyez, un colonel est gravement contaminé, tandis qu’un deuxième classe, présent au même endroit au même moment, n’aurait reçu qu’une dose minime. Mais ce sont les troufions qui sont restés sur le terrain, tandis que les gradés [à] s’enfuyaient à toutes jambes !  » [à] A ce jour, l’armée n’a jamais reconnu la moindre relation de cause à effet entre le mal qui le ronge et ce jour où on lui demanda d’aller rechercher du matériel resté en zone contaminée [à]. Après sa libération, Lucien Parfait rentra dans son Ardèche natale, où son médecin de famille comprit rapidement que la suite de son existence pourrait être un long calvaire. Il subit plusieurs centaines d’opérations chirurgicales du visage, ne guérit jamais et fut bloqué sa vie durant par le déni militaire. Aujourd’hui, il n’a toujours pas pu bénéficier de la moindre reconnaissance de l’armée. [à]

PRÉSERVER LE SECRET

Pour avoir une idée précise de la réalité des retombées radio- actives sur les atolls habités les plus proches des champs de tir, la direction des applications militaires et le CEA (Commissariat à l’énergie atomique) arment un bateau laboratoire. Son nom : la Coquille. [à] Navire laboratoire, la Coquille faisait en réalité une sorte d’espionnage radiologique de la population, y compris des techniciens français, afin d’évaluer la réalité de la contamination éventuelle, mais aussi le taux d’angoisse des gens piégés sur place. Après avoir fait le bilan de la dose réelle reçue par les habitants des îles Gambier, le Dr Million suggère [à] :  » Il sera peut-être nécessaire de minimiser les chiffres réels, de façon à ne pas perdre la confiance de la population, qui se rendrait compte qu’on lui cache quelque chose depuis le premier tir. Ainsi la France a-t-elle délibérément caché aux premiers intéressés – les Polynésiens – la réalité des retombées radioactives, ceci dès le premier tir. La France a également organisé en Polynésie un système de surveillance et de contrôle de la population, afin de préserver le secret le plus longtemps possible, de sorte que les Polynésiens  » ne s’aperçoivent pas qu’on leur cache quelque chose « .

Aujourd’hui, cinquante ans plus tard, face à la multiplication des pathologies, des protocoles d’étude sur les enfants polynésiens sont mis en place, avec le soutien du sénateur indépendantiste Richard Tuheiava, afin de connaître la réalité de l’impact sanitaire des retombées des tirs nucléaires français.

LE MAL DE  » FANGA « 

On pourrait croire qu’une fois les tirs exécutés nul ne revint jamais plus sur place, à Fangataufa [un atoll polynésien]. Erreur. Les sites devaient être rééquipés. A l’époque des premiers tirs souterrains, des équipes ont ainsi été envoyées pour travailler sur le champ de tir. Elles y restèrent de longs mois, jusqu’à l’achèvement complet de leur tâche. [à] Leur histoire montre les réactions de l’organisme humain placé en contexte d’irradiation constante, à dose inconnue. Les prémices de ce qui attend les civils concernés par les retombées immédiates de Fukushima [à].

Voici le témoignage de l’un d’eux, aujourd’hui décédé, reproduit en respectant l’anonymat de son engagement.  » Je ne tarde pas, peut-être une quinzaine de jours après mon arrivée, à souffrir de violentes douleurs à l’abdomen accompagnées d’une forte diarrhée persistante. Je suppose que nous sommes atteints de dysenterie. Je contacte le militaire considéré comme infirmier. Celui-ci ne possède aucun remède, et me déclare avec désinvolture, comme si elle [la maladie] était une conséquence normale de la vie sur ce site : « C’est le mal de Fanga. » [à] Un phénomène saugrenu m’est survenu lors d’un déplacement sur l’atoll. Une sensation étrange, proche du picotement, se déclare soudain à chacune de mes aisselles. J’y porte les doigts, ce sont les poils qui me viennent, pratiquement sans effort d’arrachement. Tous, jusqu’au dernier, s’extirpent d’eux-mêmes comme s’ils manifestaient être un rejet de l’organisme. [à] Je peux affirmer que je n’ai jamais reçu la moindre instruction, de dangers relatifs à la contamination. [à] Je faisais une telle confiance à l’armée. Elle ne pouvait quand même pas exposer à des désordres destructeurs de l’organisme un effectif d’une cinquantaine de personnes, tant militaires que civiles. « 

* Les Cobayes de l’apocalypse nucléaire. Contre-enquête inédite sur les victimes des essais. Editions Express-Roularta, 272 p.

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