Espérances et certitudes

l Le prédécesseur du général Tommy Franks à la tête des armées américaines au Moyen-Orient, le général des marines Anthony Zinni, écrivait il y a un an qu' » un militaire ne doit jamais faire la guerre avec des espérances, mais seulement avec des certitudes « . Et, en accord avec un autre général à la retraite, Colin Powell, il en déduisait qu’une guerre ne pourrait être gagnée en Irak qu’en y amenant une force très supérieure en nombre, pour être en situation de contrer tous les aléas, de faire face à toutes les situations et de transformer des espérances en certitudes.

Les stratèges politiques qui ont imposé leurs vues aux militaires n’ont pas voulu l’admettre. Il leur aurait pourtant suffi, pour le comprendre, de tirer les leçons de ce que l’Amérique venait de vivre avec la bulle Internet : elle aussi a conduit beaucoup de dirigeants d’entreprise à se contenter d’espérances diffuses pour occuper à toute vitesse le continent virtuel, en oubliant de se doter au préalable des moyens logistiques nécessaires pour livrer réellement les biens commandés sur le réseau. Et le manque de systèmes de stockage, de réseaux de distribution, de camions de livraison conduisit de très nombreux pionniers d’Internet au désastre.

Ainsi que la  » nouvelle économie « , cette nouvelle guerre exige une logistique énorme : l’armée américaine consomme chaque jour 30 tonnes de nourriture, 3 millions de litres d’eau potable, 57 millions de litres de carburant. Et il en faudra plus encore quand arriveront les troupes dont les stratèges ont cru pouvoir se passer. Et plus encore pour la population, abandonnée depuis si longtemps.

Le parallèle avec la  » nouvelle économie  » ne s’arrête pas là. Comme certains ont cru qu’il suffisait d’avoir la meilleure campagne de publicité et la meilleure technologie (souvent japonaise ou chinoise) pour s’imposer sur le marché, des politiques ont pu penser qu’il suffisait de créer la peur et le choc pour que des solutions technologiques (souvent asiatiques aussi) permettent de gagner en quelques jours une  » nouvelle guerre « , simple, robotisée, virtualisée. Comme les start-up ont espéré le succès sans l’effort, les stratèges ont espéré la victoire sans les morts.

Si le parallèle est poursuivi, on peut s’attendre à voir le cours de la guerre suivre le même que celui de l’économie. Comme à l’économie de la mode a succédé celle de la panique, le soutien des Américains à leur armée peut se défaire telle la Bourse ; les généraux et les ministres peuvent valser tels les grands patrons.

Pour l’éviter et sortir victorieux d’une guerre où tous les coups sont permis, où l’ennemi utilise sa propre population comme un otage pour ne protéger que la vie des hiérarques du régime, les Américains devront confier la conduite des opérations à ceux qui savent qu’une guerre ne peut se gagner sans combattre. Et démontrer que ce combat mérite, par ses enjeux, qu’ils fassent preuve, hors de tout artifice technologique, du sens du sacrifice : c’est-à-dire de ce que le même général américain Anthony Zinni nommait une  » éthique de guerrier « .

Exactement ce qu’ils voulaient à tout prix éviter. l

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