Eric Woerth, six mois plus tard…

Héros bien malgré lui du feuilleton Bettencourt, il a été évincé lors du remaniement de 2010. L’ancien ministre français du Budget puis du Travail essaie de trouver la porte de sortie du purgatoire.

Il est réapparu dans l’actualité par la porte dérobée d’une convocation judiciaire. On avait fini par oublier Eric Woerth, ses complets gris, ses dénégations amidonnées et sa fameuse tête d’expert-comptable, dont il fit, en pleine tourmente, son premier gage de probité. Des ultimes spasmes de l’affaire Bettencourt, en décembre 2010, à cette audition du 4 mai devant la commission d’instruction de la Cour de justice de la République, dans le dossier dit  » de l’hippodrome de Compiègne « , un siècle semble s’être écoulé. Des peuples se sont soulevés, Fukushima a implosé, Ben Laden est mort : le monde a changé. Pas Eric Woerth.

Dans le Paris-Chantilly de 16 h 19, qu’il emprunte une ou deux fois par semaine,  » en seconde classe « , a-t-il appris à préciser, les usagers le dévisagent, incrédules, parfois hilares :  » Ben ça, alors ! Vous êtesà – Oui, oui, je suisà  » Quelques-uns posent en photo à ses côtés, comme ils le feraient avec une star déchue de la télé-réalité. Dans leurs regards, l’ancien ministre français du Budget croit discerner de la sympathie, voire un début de compassion.  » Je ne suis impopulaire qu’aux yeux de ceux qui ont voulu me tuer, dit-il crânement. La seule fois où j’ai été pris à partie, c’est sur le podium du Tour de France, par une poignée de syndicalistes CGT.

Otage de l’actualité pendant près de deux cents jours, l’antihéros de l’affaire Bettencourt souffre aujourd’hui du classique syndrome de Stockholm. Ses premières semaines d’homme libre, après son éviction du gouvernement, lui laissent un goût de cendres et de vacuité. Redevenu député de l’Oise, il assiste, presque inutile, aux questions d’actualité sur les bancs de l’Assemblée nationale.  » Je me retiens pour ne pas me lever, car j’ai toujours l’impression que je vais devoir répondre. Et puis non, ce n’est pas pour moià « 

Hier, avec la commission des Affaires étrangères, il a auditionné longuement le Premier ministre de Moldavie. Ce matin, il s’est levé à l’aube afin de recevoir un ancien collaborateur soucieux de son avenir professionnel. Demain, il fera un aller-retour à Lille pour un débat avec les étudiants d’une école de commerce. Ces temps-ci, Eric Woerth répond présent à toutes les sollicitations. Il bourre son agenda jusqu’à la marge comme un fumeur repenti se gaverait de chewing-gum, pour oublier la cigarette.

Et, pourtant, tout semble, sans cesse, vouloir le ramener en arrière. La moindre émission politique lui rappelle qu’il n’est plus rien, lui dont le nom embrasa les passions tout au long d’une année 2010 si cruelle qu’elle en devint sublime. Devant sa télévision, Eric Woerth enrage comme un quidam. Une petite voix lui souffle qu’il serait bien meilleur que tous ces perroquets au brushing impeccable et au verbe peigné.  » Je piaffe, je trépigne, je suis dans la peau d’un footballeur sur le banc de touche « , résume-t-il, dans un sourire bilieux.

Il a troqué les plafonds sculptés des ministères pour un bureau impersonnel, à deux pas de l’Assemblée, où le seul bibelot est un flacon de détergent pour les vitres posé sur la photocopieuse. Longtemps, il a traîné cette image d’homme de dossiers, trop austère, trop lisse, trop terne pour accrocher la lumière. A l’époque, Eric Woerth était heureux, mais il ne le savait pas.  » Comme ministre du Budget, j’avais l’impression de mener à bien des missions importantes pour notre pays. A la longue, c’est vrai, j’en ai eu marre d’être toujours le dernier dans les sondages de popularitéà « 

Comment imaginer que le JT de 20 heures serait son bûcher ?

Il se met à inviter des philosophes à la mode pour le déjeuner, réunit ses 1 372 amis Facebook lors d’un buffet au ministère. Pour faire parler de lui, ce montagnard chevronné va jusqu’à descendre en rappel la façade de Bercy lors d’un exercice de pompiers. Comment pourrait-il imaginer que ce passage au 20 Heures, dont il a fait son Everest, sera son bûcher ?

Le secrétaire général de la Confédération française démocratique du travail (CFDT), François Chérèque se rappelle très bien ce jour de septembre 2010 où, dans un salon du ministère du Travail, un homme mort s’est assis en face de lui. François Fillon venait de confisquer à Eric Woerth la communication sur la réforme des retraites. Rue de Grenelle, comme souvent, des manifestants braillaient contre le gouvernement. A cet instant, le leader de la CFDT n’a pas reconnu le croisé inflexible, ce clone de Juppé, droit dans son armure, qui, depuis des mois, tenait tête à ses légions de détracteurs en feignant l’indifférence.  » Soudain, j’ai vu un homme seul, en détresse, plus salement blessé par les siens que par ses ennemis, raconte Chérèque. J’avoue que, malgré nos incompréhensions, Woerth m’a touché.  » Contrairement aux usages, le ministre du Travail raccompagne son visiteur jusque sur le trottoir de la rue de Grenelle. A travers ce geste, le syndicaliste devine une forme de reconnaissance :  » C’était une façon de me remercier d’être là, de le considérer encore comme un interlocuteurà « 

Sur le chemin du calvaire, il s’est révélé à lui-même

Il y a un an, à pareille époque, il passait pour être le premier de la classe, un successeur tout désigné de François Fillon.  » Se projeter, c’est se décevoir soi-même « , assène-t-il, désormais, en plissant son large front. Son avenir politique n’est plus qu’une équation aux multiples inconnues judiciaires. N’empêche, Eric Woerth se verrait bien poser au premier rang sur les photos de campagne du futur candidat Sarkozy.  » Je n’imagine pas ne pas en être « , lâche-t-il, presque par inadvertance, entre deux bouchées de poulet à la crème, dans une cantine sans chichis, près des écuries de Chantilly.  » Enfin, bon, d’ici làà « , ajoute-t-il, prestement. 2011, année théorique.

C’est l’histoire d’un homme à la vie lapidée qui n’a de cesse que de remonter sur le ring. Durant l’épreuve, son père a subi deux attaques cardiaques, son couple a été livré à la calomnie, les menaces de mort s’empilaient dans sa boîte aux lettres. Mais, sur le chemin du calvaire, Eric Woerth s’est aussi révélé à lui-même.  » Il est issu d’une famille très catholique, souligne sa femme, Florence. Chez lui, on n’a jamais été dans l’apparence, ni dans la faiblesse : l’existence ressemble à tout sauf à une partie de plaisir. « 

Eric et Florence. Les époux Woerth, comme disent les journalistes d’investigation. Dans une brasserie proche du Trocadéro, à Paris, celle par qui le scandale est arrivé hausse les épaules. De l’affaire, il ne reste qu’eux : elle, au chômage, lui, au purgatoire. A Neuilly, chez les Bettencourt, on s’embrasse, à nouveau, en famille, Banier est devenu un héros de roman et les Woerth attendent toujours un mot de réconfort de la milliardaire ou de sa fille.  » Mon mari ne vous le dira jamais, mais nous sommes éc£urés par la goujaterie de ces gens-là « , dit-elle, en secouant la tête.

HENRI HAGET

Eric Woerth bourre son agenda jusqu’à la marge comme un fumeur repenti se gaverait de chewing-gum, pour oublier la cigarette

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