» Entretenir des clients, c’est corrompre « 

Le Vif/L’Express : Vos constats sont sévères :  » L’Etat n’a que trop gaspillé, fraudé et usé de la corruption.  » Rien n’a changé, malgré les  » affaires  » ?

Alain Destexhe : A l’échelon des communes, où sont nés les scandales, la gestion reste extrêmement opaque. A Charleroi, par exemple, on s’est bien gardé d’un audit généralisé. Et le pouvoir de tutelle n’avait rien vu… Il est très difficile de mettre la bonne gouvernance à l’agenda politique.

Rudy Aernoudt : La catharsis n’a pas eu lieu, c’est vrai. On s’est habitué à entendre :  » Encore un cas par-ci, un autre par-là.  » On s’est accoutumé et les efforts restent ponctuels. Quand on dit à un ministre qu’  » il faut supprimer les cabinets ministériels « , la réponse est toujours la même :  » Impossible, car mon administration est trop politisée ; elle est mon ennemie.  » La solution est pourtant simple : dépolitiser l’administration ! Malgré les affaires, le  » système  » continue d’ inciter aux déviances, ce qui ne veut pas dire que tous les politiciens sont corrompus.

Avec votre livre et vos propos sans concession, vous ne craignez pas d’alimenter les discours antipolitiques ?

R.A. : Au contraire. Alain, le francophone, et moi, le Flamand, nous avons un projet commun pour la Belgique. Nos solutions sont celles qui sont appliquées à l’étranger.

A.D. : Rudy a été viré parce qu’il voulait un plus grand respect des règles éthiques. Moi, au Sénat et dans mes livres, je défends depuis longtemps les mêmes idées. Et c’est nous qui serions traités de populistes ? Le ministre Michel Daerden et l’avocat Marc Uyttendaele, l’un via un bureau de révisorat, l’autre grâce à la position publique de son épouse Laurette Onkelinx, se sont enrichis de manière scandaleuse avec l’argent de l’Etat. Eux entretiennent une réelle confusion entre leur intérêt privé et celui de la collectivité. Pas moi.

Rudy Aernoudt, on a chuchoté que vous alliez rejoindre le libéral radical (et populiste) Jean-Marie Dedecker. Vous démentez ?

R.A. : Aux dernières élections, on m’a annoncé sur trois listes différentes. Relisez De Geruchten (Les rumeurs), de Hugo Claus. Elles ont leur propre vie.

Vous rapprochez des réalités différentes : les gaspillages et la corruption, le clientélisme et la corruption. Drôle d’amalgame, non ?

A.D. : Mais non, c’est lié. Le gaspillage est le résultat de la corruption. Quant au clientélisme, il est un échange de faveurs et, donc, une sorte de pacte de corruption :  » A toi ou à un de tes proches, je donne ce mandat, ce logement ou cet emploi et tu seras pour toujours mon fidèle dévoué, servant le parti avant l’Etat.  »

On ne peut quand même pas comparer une chaudière détournée vers Carcassonne ou un cadeau d’affaires reçu par un homme politique avec un simple service rendu à un  » client « .

A.D. : Il y a des infractions plus graves que d’autres, certes. Mais j’insiste : engager un agent de l’Etat par complaisance, en fonction de la couleur politique, c’est comparable à de la corruption. Et dire cela crûment, c’est la seule manière de provoquer un changement.

Certains lecteurs vont entendre autre chose :  » Tous pourris ! « 

A.D. : Ce n’est pas notre discours. Et je retourne la question : le clientélisme, est-ce démocratique ?

R.A. : Une politique digne de ce nom doit s’occuper de tout le monde. Pas seulement des amis du parti. Le clientélisme institutionnalisé est la pire entrave à la liberté d’expression.  » Une forme allégée de despotisme « , a écrit l’historien Alexis de Tocqueville.

A.D. : La société belge reste cadenassée. Les groupes de pression se tiennent par la barbichette. Peu de firmes vivent sans subsides – pas même l’Union wallonne des entreprises. Beaucoup d’universitaires sont sous contrat public. Les ASBL sont engagées, elles aussi, dans des relations troubles avec le pouvoir. Forcément, tout le monde se tait.

Entretien : Ph.E.

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