Entre vie sauvage et vie en cage

Le zoo d’Anvers a entamé, cette année, de grands travaux. Avec, pour objectif, le  » bien-être animal « . La loi et le public, désormais plus exigeants, l’y obligent. Mais certains pensent que la loi n’y suffira pas

Des ours d’une espèce plus petite, des cages plus grandes, des animaux disparus, de nouveaux  » biotopes « , un budget plus épais… Le zoo d’Anvers s’impose une nouvelle politique, axée autour du  » bien-être animal « . L’année 2005 a marqué l’entame d’un nouveau programme d’investissement, largement revu à la hausse par un accord entre le gouvernement flamand et la Société royale zoologique d’Anvers.

Symbole de ce bouleversement : le départ des ours bruns et des ours polaires, considérés par le zoo comme,  » de tout temps, les animaux favoris du public « . Ils sont sortis discrètement, faute d’espace suffisant à Anvers, au regard de la loi, qui a beaucoup changé à la fin des années 1990. Ils ont été remplacés, fin octobre, par des  » ours à lunettes « , une sous-espèce plus petite, qui nécessite moins d’espace.

Moins symboliques, les oryx d’Arabie, à l’étroit dans leur enclos, sont partis à la mi-novembre. Les zèbres ont connu un autre sort. Comme la loi exigeait pour eux plus de 1 000 mètres carrés, le zoo a entamé des modifications. Ils appartiennent désormais au  » parc des bovidés « , dont l’aménagement s’est terminé fin octobre.

En avril, c’était le nocturama, bâtiment consacré aux animaux vivant de nuit, qui avait été entièrement rénové et agrandi. Mais le plus grand projet du zoo, cette année, fut sans conteste la réalisation d’un nouveau  » biotope « , le  » versant de l’Himalaya « , qui a coûté 2 millions d’euros.

 » Comme ce sera le cas en 2006, l’investissement s’est élevé à 7 ou 8 millions d’euros (partagés avec notre parc animalier de Planckendael), avance le directeur du zoo, Rudy Van Eysendeyk. C’était nécessaire, au vu des difficultés financières que le zoo a connues.  »

La plupart des changements ont aussi permis au zoo de s’adapter aux exigences du public, plus sourcilleux que par le passé, et à celles des arrêtés relatifs aux conditions de détention des animaux. Il a d’ailleurs, sur ce terrain, encore du chemin à parcourir. Un exemple ? Les panneaux informatifs ne mentionnent toujours pas, pour la plupart, le statut de conservation de l’espèce : menacée, en voie de disparition, etc.

 » Le zoo d’Anvers a besoin de temps pour se mettre en conformité avec la loi, mais nous travaillons en étroite collaboration avec la direction pour résoudre progressivement le problème, précise Georges Evrard, président de la commission des parcs zoologiques et responsable du service « bien-être animal » du ministère de la Santé. Nous visitons le zoo une fois par an. Le planning des travaux est respecté.  »

Incontestablement, il y a une évolution, puisque l’association de protection des animaux Gaia, qui dénombrait 81 infractions en février 2004, n’en relève plus que la moitié.  » Nous n’allons pas féliciter le zoo parce qu’il brûle moins de feux rouges qu’auparavant, s’insurge Ann de Greef, coordinatrice de l’association. Le zoo d’Anvers, financièrement le mieux pourvu de nos parcs, devrait montrer l’exemple. Et ne pas se contenter de normes définies comme minimales. Gaia reproche au zoo d’Anvers, entre autres, de ne pas respecter les exigences d’espace, d’isoler des animaux qui vivent en groupe, de réunir des animaux normalement solitaires, de permettre qu’on fume en présence des animaux, de négliger certaines cages, de ne pas toujours offrir aux animaux qui en ont besoin un accès à un espace chauffé ou à un bassin…

 » Tout a été résolu ou le sera rapidement, promet le directeur. L’année 2006 sera chargée. Les girafes rejoindront Planckendael, où elles trouveront plus d’espace. Mais nous allons surtout agrandir le zoo d’un hectare et demi. Nous avons acheté une trentaine de maisons aux abords du parc. Le permis de démolition suivra bientôt.  »

L’espace supplémentaire ainsi dégagé ne servira pas à introduire de nouveaux animaux, mais à assurer le  » bien-être  » des occupants actuels.  » C’est ça la nouvelle politique, insiste le directeur. Auparavant, un zoo montrait le plus d’espèces possible. Aujourd’hui, nous voulons limiter la quantité et rassembler les espèces qui peuvent l’être, pour recréer des biotopes naturels.  »

Malades de stress

Impossible d’égaler la nature, bien sûr ! Mais s’en rapprocher le plus possible représente une excellente initiative, tant pour l’animal que pour le public « , estime Serge Aron, éthologiste (spécialiste des comportements animaux), chargé de cours à l’ULB. En ce qui concerne le bien-être, il émet quelques réserves.  » On peut difficilement parler de mal-être ou de bien-être. Comme nous, les animaux se situent toujours quelque part entre ces extrêmes. Le bien-être des animaux détenus dans les zoos sera toujours diminué par diverses contingences comme le manque d’espace ou l’incapacité à exprimer divers comportements.  »

Il arrive que le bien-être d’un animal soit à ce point atteint que son stress devient observable à travers son comportement. La stéréotypie est un symptôme courant. Il s’agit d’une répétition anormale d’un même mouvement sans but précis. La panthère de l’amour, qui longe incessamment les barreaux de sa cage par de continuels allers-retours, en offre un bon exemple. De même que le zèbre qui arpente longuement les clôtures sur quelques mètres. Les éléphants, balançant leurs têtes sans répit, en affichent une variante. Tout comme le jaguar qui exécute, presque à l’infini, des huit entre deux troncs d’arbres.

 » Les stéréotypies sont extrêmement rares dans la nature, éclaire Serge Aron. Ces comportements anormaux, propres aux animaux des zoos ou des cirques, montrent le manque de bien-être. Même en captivité, les animaux naissent avec des instincts. Par exemple, les ours réclament une grande dépense énergétique. Il a été démontré que l’espace moyen qui leur est réservé dans les zoos est un million de fois inférieur à leur aire vitale dans la nature ! Comme les fauves et d’autres animaux territoriaux, ils éprouvent de grandes difficultés à se satisfaire d’un enclos exigu . »

C’est pourquoi Gaia s’oppose au maintien en captivité de certaines espèces.  » Les animaux s’ennuient tellement qu’ils développent des comportements aberrants et des ulcères « , affirme son président, Michel Vandenbosch.

 » La nature reste un idéal que les zoos ne peuvent atteindre, en dépit de notre travail en commission, concède Georges Evrard. Voler est préférable pour un oiseau, mais il est autorisé aux zoos de les mettre en cage ou de leur couper partiellement les ailes. Sachez que la Belgique possède la législation la plus sévère de toute l’Union européenne.  »

Eduquer au zoo

Pour pallier l’ennui des animaux, le zoo imagine des  » jouets  » destinés à les stimuler. Ainsi, il a réinventé le  » benji « , suspendant à un élastique un morceau de viande que les félins doivent attraper au vol. Les singes ont reçu une termitière factice dans laquelle ils pouvaient récolter divers aliments à l’aide de bâtonnets. Les enfants qui visitent le zoo peuvent participer à la conception de jouets.

 » Ces jeux sont très favorables, atteste l’éthologiste Serge Aron. Les animaux nés au zoo souffrent d’un manque d’expérience précoce dû au déficit de stimulations inhérent à la captivité. Adultes, cela se traduit, d’une part, par une hypersensibilité à toute forme de changement ou de contrainte et, d’autre part, par une capacité réduite à apprendre de nouveaux comportements et à s’adapter.  »

 » Faire ainsi participer les enfants est une bonne chose, poursuit le professeur. Le zoo reste un outil pédagogique précieux, à condition que la visite s’accompagne d’une information éclairée. Le zoo est nécessaire, mais pas suffisant. Les enfants doivent aussi voir les animaux dans leur milieu naturel, via les images de la BBC ou du National Geographic, par exemple. Il faut pouvoir admirer le lion d’Anvers avec ses petits, mais aussi leur expliquer qu’il n’est pas normal que le roi de la jungle tourne en rond sur le béton.  »

Benjamin Moriamé

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