Entre trot et galop, le turf balance

Complexe, le monde des courses hippiques belge n’a pas réussi à moderniser son image. Avec la possible disparition de l’hippodrome de Sterrebeek, c’est toute une époque qui s’évanouit. Comme l’argent des parieurs, qui file vers la France

Le tiercé de papa a vécu.  » Au milieu de son bureau aux peintures encore fraîches, Patrice Thiry, l’actuel directeur de l’hippodrome de Wallonie à Ghlin (dont la grande tribune a été inaugurée en décembre dernier), ne cache pas que le milieu des courses hippiques traîne une image un rien désuète. Un peu comme celle des films français des années 1960 où des gangsters, toujours très gentlemen, utilisent les hippodromes comme quartier général.  » Il est peut-être temps de repenser notre marketing, de montrer que le pari sur des courses de chevaux, ce n’est pas si ringard, poursuit Thiry. La course hippique n’est pas compliquée. Il faut juste s’y intéresser un peu. Mais, comparés aux jeux de hasard, les paris sur les chevaux permettent d’élaborer de véritables stratégies. Si on connaît un peu les choses, on peut limiter sérieusement les pertes. Il faut savoir que l’on redistribue 75 % des mises.  »

Pourtant, le public semble bouder les hippodromes. A tel point que, sur les 7 encore en activité (Ghlin, Groenendaal, Kuurne, Ostende, Sterrebeek, Tongres et Waregem), plusieurs vivotent quand ils ne disparaissent pas, comme l’hippodrome de Sterrebeek, mis en vente suite à la faillite, en juin 2002, de son ancien propriétaire, la société Chasse de Prince.  » Je vois deux causes principales à la faillite de Sterrebeek, explique Achille Cassart, président de la Fédération belge des courses hippiques et administrateur à Ghlin. La diminution du nombre de journées de course en Belgique et l’arrivée de l’hippodrome de Wallonie.  » Sterrebeek, aussi connu comme le  » Petit Vincennes « , et Ghlin sont, en effet, les deux seuls hippodromes en Belgique à organiser régulièrement des courses de galop. Or, bien qu’il soit plus spectaculaire pour le spectateur, le galop régresse. Plus  » aristocratique « , c’est une discipline qui demande de lourds investissements financiers.  » Si un éleveur amateur peut espérer élever un trotteur, reprend Thiry, il n’en va pas de même pour un bon galopeur. C’est un travail de professionnel, réservé à des passionnés qui disposent de capitaux financiers importants. Avec le trot, c’est la passion populaire qui est entrée dans la course. Le grand public a pu s’identifier plus facilement à des éleveurs d’origines plus modestes.  »

Les paris se sont, dès lors, portés sur le trot avec, comme conséquence, une diminution des gains pour les courses de galop et donc, un désintérêt progressif du public pour ce type de course. Une spirale sans fin : le galop a stagné et de nombreux propriétaires ont quitté la discipline.

Atouts

 » La faillite de Sterrebeek ne reflète pas vraiment l’état du secteur des courses hippiques, reprend Cassart. Les chiffres de fréquentation des hippodromes ne sont pas en baisse. Pas plus que les enjeux pariés directement sur les champs de courses. Ceux-ci sont stables depuis trois ans. La seule chose qui a vraiment diminué, c’est le nombre de courses organisées en Belgique.  » Dans notre pays, les sommes jouées proviennent pour 58 % de Wallonie, de 24 % de Flandre et 18 % de Bruxelles. Il faut savoir que 10 % seulement des paris sont pris sur des courses belges, les 90 % restants étant misés sur des courses étrangères. Le secteur des courses du pays ne profite donc pas des sommes pariées par le joueur belge.  » C’est bien la preuve, poursuit Cassart, qu’à l’inverse de la France, la course n’a pas réussi à se vendre chez nous. Vous ne verrez d’ailleurs jamais une retransmission en direct d’un tiercé sur nos écrans de télévision. Nous avons d’excellents chevaux, de très bons éleveurs et des jockeys qui réussissent particulièrement bien, même à l’étranger. Nous possédons tous les éléments pour modifier positivement la tendance.  »

Ancien grand jockey et entraîneur, Nino Minner ne partage pas cette vision optimiste.  » Avant la crise du secteur, au début des années 1990, un jockey pouvait espérer des revenus mensuels de 2 000 à 3 000 euros brut. Actuellement, on tourne plutôt aux alentours des 650 euros. Sauf à Ghlin, où les gains sont encore décents, on ne peut plus vivre de la course. Ce n’est pas pour rien que tous les bons jockeys du nord du pays partent pour la France. Personnellement, je dois travailler à mi-temps dans un autre secteur pour vivre. Ce qui me fait dire que les personnes encore actives dans les courses hippiques sont vraiment des passionnés atteints par le virus.  »

Jean-Pierre Van Boxstael, propriétaire du haras de Bronchennes et vice-président de la société de courses Belgalop, estime, lui, que la situation s’améliore depuis deux ou trois ans. Ce qui ne l’empêche pas de trouver les allocations des courses (les sommes à gagner) insuffisantes.  » 650 euros d’allocation pour une course de galop (NDLR : dont 10 % généralement vont au jockey), c’est minable par rapport à ce qui se pratique en France. Il faut dire qu’en France une partie des sommes engagées au PMU retourne vers les hippodromes et les sociétés organisatrices de courses. En Belgique, ce n’est plus le cas. Ni le PMU (pari mutuel urbain), ni les agences hippiques ne rétrocèdent quoi que ce soit. Avec le décret du député VLD André Denys, qui devrait entrer en vigueur en janvier 2005, la Flandre vient de se doter d’un bon outil pour faire revenir de l’argent dans le secteur. Une fois le décret en application, 5 % des sommes sur les paris effectués par les joueurs flamands sur des courses étrangères retourneront vers la Flandre. En Wallonie, nous fonctionnons encore avec des subsides. Si la Région wallonne se dotait d’un tel outil, nous serions sur du velours…  »

En attendant, si une dernière offre n’a pas été lancée avant le 13 mai, c’est une société d’investissement néerlandaise qui devrait, pour 5,1 millions d’euros, acquérir les 41 hectares de l’hippodrome de Sterrebeek. Toutefois, plusieurs sources indiquent que la société d’investissement ne semblerait pas hostile à l’idée de garder û à côté d’un golf, par exemple û une activité de courses hippiques. De même, la réapparition des chevaux sur l’hippodrome de Boitsfort dans un avenir assez proche n’est pas à exclure. Comme le signale Jean-Pierre Van Boxstael,  » toutes les grandes capitales possèdent un hippodrome. Sans parler de la ville de Paris qui en compte plus de cinq. On imagine difficilement Bruxelles, capitale européenne, se passer très longtemps d’une telle infrastructure « . Les paris sont d’ores et déjà pris. l

Vincent Genot

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