Entre espoir et fatalisme

Vincent Genot
Vincent Genot Rédacteur en chef adjoint Newsroom

Région charnière entre le Soudan, l’Ouganda et le Rwanda, la province de l’Ituri, au nord-est de la République démocratique du Congo, sort de plusieurs années d’affrontements. Epuisée, sa population attend beaucoup du référendum sur la Constitution du 18 décembre, première étape vers les élections de l’an prochain

De notre envoyé spécial

Le Congo, un pays sans véritables hom-mes d’Etat ? Quand certains ministres belges parlent du Congo, on a l’impression qu’ils viennent avec des idées directement sorties des cercles mobutistes bruxellois. Nous ne partageons pas ces idées. Que ces ministres viennent vivre chez nous avant de faire des commentaires sur notre pays !  » Assis à l’ombre d’un bâtiment ravagé par le temps et le manque d’entretien, une dizaine d’étudiants en troisième année de médecine discutent entre deux cours. S’ils en veulent toujours un peu à la Belgique, qui les a  » laissés tomber après avoir profité des richesses du Congo « , ils quittent volontiers la polémique pour parler de leur quotidien.  » Après notre premier cycle de trois ans, ici, au Centre universitaire extension de Bunia ( NDLR : chef-lieu de district), nous devrons poursuivre nos études à Kisangani « , explique Martin. Pour payer ses cours, le jeune homme de 24 ans travaille la nuit comme garde dans une ONG.  » Sauf pour certains privilégiés, rares sont les parents capables de débourser les 450 dollars annuels de minerval et de frais de syllabus…  » La discussion s’interrompt. Kalachnikov à l’épaule et semblant marcher au ralenti dans la chaleur étouffante de la matinée, trois jeunes soldats portant des uniformes hétéroclites traversent le campus poussiéreux en direction des restes rouillés d’un transformateur électrique.  » La semaine dernière, les FARDC ( NDLR : les forces armées de la République démocratique du Congo) ont lancé une offensive contre une poche de miliciens ( NDLR : souvent des éléments incontrôlés de groupes politiques armés et des Interahamwes rwandais passés au Congo) à 40 kilomètres de Bunia, commente Béatrice, étudiante en troisième année. En attendant de partir vers une autre destination, ces soldats des FARDC campent derrière les bâtiments de l’université. Nous n’avons pas de problème avec eux. Depuis leur arrivée, la région est vraiment calme.  »  » En mai 2003, Bunia a connu de nombreux massacres, poursuit Martin. On rassemblait les gens sur le terrain de foot pour les tuer. La rue principale était jalonnée de pieux supportant des têtes coupées. A l’université, des professeurs sont restés cachés cinq jours dans les bâtiments pour échapper aux miliciens. Certains ont réussi à fuir, d’autres ont été abattus…  » Encore bien visibles sur les murs et dans les vitres de nombreuses constructions, les impacts de balles témoignent de la violence des affrontements.

Selon les estimations des ONG et les chiffres de l’ONU, les affrontements interethniques dans la région de l’Ituri (principalement entre les miliciens Hema et Lendu) ont fait, depuis 1998, plus de 60 000 morts et quelque 500 000 déplacés. Le 30 mai 2003, devant l’ampleur des massacres, le Conseil de sécurité des Nations unies autorise le déploiement de la force européenne d’intervention rapide Artémis, dirigée par la France.  » L’action des militaires français était énergique, se souvient Martin. Après avoir sécurisé l’aéroport, ils ont traqué les miliciens et réussi à pacifier Bunia. La population civile était vraiment soulagée de voir enfin arriver des soldats aussi efficaces.  » Début septembre 2003, Artémis transfère le contrôle de Bunia à la Mission de l’ONU en RDC (Monuc).  » Même s’ils ont maintenu une zone de sécurité dans la ville, les Casques bleus de la Monuc ( NDLR : ils sont actuellement 17 000 en RDC) sont moins efficaces que les Français, poursuit Béatrice. Nous avions l’impression qu’ils ne sortaient de la ville que lorsqu’il n’y avait pas de danger.  »

L’avis est partagé par de nombreux observateurs étrangers qui estiment que, deux ans après son déploiement, la Monuc n’a pas réussi à imposer la paix, ni en Ituri, ni au Nord et au Sud-Kivu. Il faudra attendre l’assassinat de neuf Casques bleus bangladais, le 25 février 2005, pour voir la Monuc se réveiller enfin.  » C’est triste à dire, commente un responsable de la sécurité des agences de l’ONU à Bunia, mais le massacre de ces malheureux a servi la population. Une semaine après l’embuscade mortelle, la Monuc lançait ses hélicoptères de combat dans une grande offensive. Celle-ci s’est soldée par la mort d’une cinquantaine de miliciens et de plusieurs civils. Je pense que c’est à partir de ce moment-là que les miliciens de tout bord ont compris que la Monuc n’avait plus l’intention de faire de la figuration. Depuis septembre, c’est l’armée régulière congolaise – notamment une brigade des FARDC formée par l’armée belge – appuyée logistiquement par la Monuc – qui poursuit la sécurisation de la province.  »

Progressivement, le calme revient donc dans la région. Le camp de déplacés de Bunia, qui, au plus fort de la crise, a compté jusqu’à 17 500 réfugiés, n’abrite plus qu’un petit millier de personnes. Et si, jusqu’à présent, la population essayait de se tenir à l’écart des accrochages, aujourd’hui, elle n’hésite pas à signaler les mouvements des miliciens aux soldats des FARDC.  » Les habitants en ont assez de se faire racketter, analyse anonymement le chef de mission d’une ONG. Ils en ont assez de ne pas pouvoir se rendre dans les champs de peur de se faire tuer ou violer. Les milices ont perdu le soutien des populations qui les avaient pourtant parfois armées. Actuellement, si des miliciens tombent dans les mains des villageois, ils se font souvent écharper. Il y a peu de temps, la Monuc a reçu un appel radio de miliciens pris à partie par des civils. Retranchés dans une maison, les miliciens demandaient aux soldats de la Monuc de venir les secourir. Le monde à l’envers.  » Environ 16 000 miliciens ituriens auraient déjà déposé les armes. Selon les estimations les plus optimistes, il en resterait encore de 3 000 à 4 000 répartis en petites bandes. Les plus pessimistes parlent, eux, de 8 000 combattants.  » Le nombre n’est pas tout, poursuit le responsable de la sécurité de l’ONU. La menace est à présent plus organisée. Les miliciens qui n’ont pas accepté la démobilisation sont beaucoup plus agressifs, beaucoup mieux équipés. Même s’ils savent qu’ils n’ont plus rien à gagner, ce sont surtout des gens qui n’ont plus rien à perdre.  »

Depuis juin dernier, le retour au calme relatif, a toutefois permis les opérations d’enrôlement et d’identification des électeurs pour le référendum du 18 décembre. Pour William Swing, le plus haut responsable des Nations unies en RDC, la commission électorale indépendante a réussi à enrôler 23 millions d’électeurs – 24 millions selon l’abbé Apollinaire Malu-Malu, président de Commission électorale indépendante – sur un potentiel estimé de 28 millions. Compte tenu des difficultés du terrain et de l’immensité du territoire congolais, l’opération est un succès. En Ituri, environ 80 % des adultes se seraient ainsi inscrits pour participer au référendum du 18 décembre. Ce jour-là, les Congolais se prononceront par un oui ou un non sur le projet de nouvelle Constitution. Ensuite, d’ici au 30 juin 2006 ( NDLR : date fixée pour la fin de la période de transition), devraient se tenir les élections législatives et présidentielle, les premiers scrutins pluralistes depuis quarante ans. Le moment est donc historique.  » Personne ne conteste le succès des opérations d’enrôlement, se réjouit un responsable d’une ONG. Les gens sont concernés, ils mettent beaucoup d’espoir dans le processus électoral. Mais combien d’électeurs connaissent le projet de Constitution pour lequel ils vont devoir se prononcer le 18 ? Aucun meeting de sensibilisation n’a été organisé. Même s’il semble y avoir une réelle volonté d’unité nationale, l’optimisme béat n’est toujours pas de mise. Sans l’aide internationale, je pense que le pays ne fonctionnerait pas. Les institutions ont été affaiblies par des années de mauvaise gestion, d’instabilité chronique et de guerre. L’armée stabilise le pays. Pour combien de temps ? Les soldats ne reçoivent pas leur solde, ou alors seulement de manière erratique. Résultat : de plus en plus de témoignages indiquent que ces soldats se livrent à des exactions sur la population civile. Si l’on ne s’attaque pas à la corruption généralisée, ils finiront par se comporter comme les miliciens.  »  » De bonnes élections doivent stabiliser le pays, conclut un étudiant de Bunia. Il faut qu’elles nous donnent un bon président. Un homme qui se préoccupera de nous avant de s’occuper de lui…  »

Vincent Genot

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