Enquête sur les Marocains de Belgique

Il y a quarante ans, les premiers contingents arrivaient chez nous pour fuir la misère et offrir leurs bras à une économie belge flamboyante, en panne de main-d’ouvre à bon marché. Aujourd’hui, deux générations plus tard, qui sont les 250 000 Marocains de Belgique ? Enquête sur une communauté très diverse, où les réussites spectaculaires de l’intégration sont ternies par la crispation identitaire et l’agressivité urbaine des plus jeunes l Marie-Cécile Royen

Chez les Marocains, les parents, c’est sacré ! Cet amour méditerranéen, inconditionnel, a besoin de sortir des tripes comme la meilleure partie de soi-même. Peut-être parce que les parents sont les racines de tout groupe partagé entre plusieurs fidélités, parallèles ou antagonistes, compliquées et riches. Le 40e anniversaire de la signature de la convention belgo-marocaine du 17 février 1964, relative à l’occupation de travailleurs marocains en Belgique, est l’occasion, pour ces enfants de l’immigration, d’exprimer cet attachement familial. Les deux organisations porteuses de cet événement, l’Espace mémorial de l’immigration marocaine (Emim), qui bénéficie d’un soutien financier de l’Etat, et  » Objectif 17 février 2004  » désirent rendre hommage à la première génération de l’immigration marocaine, tout en faisant le point d’une aventure qui a marqué l’histoire de la Belgique contemporaine.  » Nos parents ne demandent pas quelque chose d’extraordinaire, souligne Mohammed Er-roukhou, 33 ans, coordinateur francophone de  » Objectif 17 février 2004 « . Ils font confiance au système, croient à la justice de ce pays, ne revendiquent rien, pas même le droit de vote. Les problèmes des deuxième et troisième générations, la question de leur ascension sociale ou de leur exclusion leur ont volé la vedette. Mais ils sont encore là, leur rôle n’est pas fini. Et ils sont assaillis de problèmes. Ils aident beaucoup leurs familles, continuent d’envoyer de l’argent au Maroc pour les fêtes religieuses, la rentrée scolaire, les vacances…  »

Ironie du sort : c’est au moment où les trentenaires et quadragénaires de la deuxième génération cherchent à faire sortir les premiers migrants de l’anonymat que les  » parents marocains  » sont collectivement û et, donc, très injustement û sommés de mieux  » tenir  » leurs enfants et, en particulier, leurs garçons. L’été dernier, des bandes de jeunes d’origine marocaine ont perturbé des piscines publiques dans les régions de Liège et de Bruxelles. Côté flamand, la réaction a été virulente : un homme politique VLD a proposé û avant de se raviser û de refuser l’entrée des parcs de détente aux Maghrébins. Pendant cette fameuse canicule, un membre  » allochtone  » d’un cabinet ministériel socialiste bruxellois est, lui aussi, sorti de ses gonds en s’étonnant, à la Une du quotidien flamand De Morgen, de voir autant d’hommes marocains aux terrasses des cafés alors que les gamins étaient livrés à eux-mêmes. A peu près à la même période, le procureur du roi de Hasselt déployait beaucoup d’énergie pour rapprocher les patrons de boîtes de nuit limbourgeoises et les jeunes Marocains qui en sont exclus, demandant seulement à ceux-ci d’y emmener leurs s£urs et petites amies pour atténuer l’effet de  » bande « .

L’été fini, une certaine mauvaise humeur a persisté, à laquelle n’a pas échappé Patrick Janssens, le bourgmestre d’Anvers (SP-A), peu suspect d’épouser les vues du Vlaams Blok, mais énervé par les débordements de sa turbulente communauté rifaine. A Bruxelles, deux parents, Elisabeth et Philippe Dembour, dont trois des cinq enfants ont été agressés, en quelques semaines, par des adolescents d’origine marocaine, ont pris une initiative originale pour donner un sens à ce qui était arrivé à leur famille. A plusieurs reprises, ils ont réuni, à leur domicile, des magistrats, policiers, journalistes, responsables religieux et intervenants sociaux pour tenter de comprendre et, surtout, de porter remède.  » Nous sommes écoutés parce que nous sommes des parents d’enfants victimes, explique Philippe Dembour. Une poignée d’individus ont fait du tort à nos enfants, mais bien davantage encore à leur communauté, parce qu’ils donnent de celle-ci une image exécrable. Ne pourrait-il pas y avoir, dans chaque commune, un service de bénévoles ou de chômeurs chargés, moyennant rémunération, d’assurer une présence auprès des jeunes, sur le modèle des buurtvaders hollandais ? Il faut, d’une façon ou d’une autre, que les adultes s’impliquent, sans quoi notre espace commun va devenir invivable.  » Un appel de c£ur à c£ur, strictement horizontal. Est-il encore temps ? Tous les observateurs notent un raidissement de la société sur les questions ethniques et religieuses. Surtout à Bruxelles et à Anvers.

Nordin Boulahmoun, 33 ans, responsable de la mission locale de Forest, licencié en sciences économiques et sociales, assistant social, actif dans les écoles de devoirs et dans la rue, faisait partie des convives des Dembour.  » J’ai des amis, de gauche, dont les enfants de 14 ans se font agresser et qui ne comprennent plus les positions de leurs parents, dit-il. Il faut fixer des limites, mais donner un sens à la sanction. Une partie des jeunes, qui se sont marginalisés, n’ont plus leur place dans l’école classique, car ils mettent en péril les études des autres. On ne peut plus se contenter de renvoyer la balle aux autres. Nous avons tous une responsabilité. La population, les parents doivent s’associer à l’effort des pouvoirs publics qui, en général, font ce qu’ils peuvent. Bruxelles n’est pas une ville fermée. Il y a des espaces de parole, même avec les ôracistes »…  » Ce discours à la Malek Boutih, ancien président de SOS-Racisme, en France, est bien moins rare qu’on ne l’imagine dans la communauté marocaine.

Avec moins de propos victimisants, peut-être y aura-t-il, enfin, moins de stigmatisation, source d’une immense souffrance pour les Belgo-Marocains ? De fait, l’année 2003 aura été une annus horribilis. Ils ont pris les débats sur l’intégration, le droit de vote des étrangers non européens aux élections communales ou le port du foulard à l’école et dans les administrations publiques comme leur étant spécialement destinés. C’est-à-dire en pleine figure. Soupçonnés de ne pas vouloir s’intégrer, les Marocains, de fomenter un vote ethnique, de soumettre leurs filles et jeunes femmes à des traditions archaïques. 2003, l’année où les blagues racistes ont commencé à circuler dans des milieux qui n’en étaient pas coutumiers jusqu’alors. 2003, l’année du ras-le-bol de la petite délinquance urbaine, celle qui prend les traits d’un jeune Nord-Africain importunant les ados  » blancs  » dans les bus et piquant leurs GSM aux abords des écoles, s’attaquant au Père Noël dans les rues en fête, ainsi qu’aux vieilles dames isolées. Une très peu reluisante image de voyou. En 2002, c’était la figure du vieux raciste qui avait bouleversé l’opinion. Bilan : quatre personnes d’origine marocaine (dont deux jeunes) tués à bout portant par trois Belges haineux ou déments à Schaerbeek, Charleroi et Anvers. A Charleroi, en 2003, un autre fou, plus jeune, a failli faire sauter une voiture bourrée de bonbonnes de gaz devant une synagogue. Dément, oui, mais la tête gavée d’antisémitisme.

On est à des  » années-noirceurs  » de l’histoire de Nabela Benaïssa, grande s£ur exemplaire de la petite Loubna, dont la conduite et le discours mesurés en pleine tourmente  » blanche  » avaient forcé l’admiration des Belges. Cette jeune licenciée en droit s’est réfugiée dans un cabinet socialiste (Défense nationale), après avoir fait ses stages au parquet de Bruxelles et à la Cour d’arbitrage. Sans foulard ni interviews, elle bosse. Comme tant d’autres, qui ne demandent qu’à se comporter et à être considérés comme des citoyens ordinaires. Aujourd’hui, c’est le retour du balancier, comme en connaissent toutes les  » causes « . Or les Belgo-Marocains et les Marocains résidant en Belgique n’appartiennent pas û ou plus û à cette catégorie qui satisfaisait les bien-pensants. Ils naissent, grandissent et meurent ici. Ils adoptent tous les profils de la population du pays d’accueil : commerçants, femmes au foyer, ouvriers, intellectuels, chômeurs, enseignants, professions libérales, fonctionnaires, chefs d’entreprise, etc. Ils présentent la même diversité de choix politiques que les Belges de souche. A cet égard, les stratèges des partis ne devraient pas se faire trop de soucis. Sauf là où cette population fait l’objet d’un ciblage clientéliste particulièrement malsain, les Marocains votent en fonction de leurs opinions et de leurs intérêts propres, qui ne sont pas monolithiques.

Le désamour actuel, un mauvais moment à passer ? Les sociologues prétendent que la méfiance, pour ne pas dire la xénophobie, atteint son paroxysme lorsqu’un nouveau groupe, devenant soudain très proche, est sur le point de s’intégrer. Cette théorie vaut ce qu’elle vaut. Avec le recul, le procès des organisateurs de l’assassinat d’André Cools û tous italiens ou d’origine italienne û n’a donné lieu à strictement aucun dérapage verbal. Leur qualité d’Italien est devenue transparente, non pertinente. Parce qu’il y a Elio Di Rupo et tant d’autres porteurs de patronymes à voyelles multiples, qu’on a aimés, avec qui on a fait affaire, chez qui on a mangé ? Plutôt rassurant, quand on se souvient des stéréotypes blessants qui couraient sur les  » macaronis  » : menteurs, paresseux, bagarreurs, violeurs, abonnés à la mutuelle, etc.

Sans eux, la Belgique ne serait pas la même

Retour sur une aventure humaine extraordinaire : l’épanchement de 2,5 millions de Marocains hors de leurs frontières nationales, pendant la quarantaine d’années qui correspondent à l’une des pages les plus noires de leur histoire, le règne absolu de Hassan II. La date anniversaire du 17 février 1964 est purement théorique. Moins de 10 % des Marocains sont arrivés en Belgique par une filière légale de travail, ce qui ne veut pas dire que les mines ou les entreprises ne se soient pas disputé ces travailleurs bon marché pendant les golden sixties. Les autres sont arrivés avec des visas touristiques, des visas d’étudiants, par l’octroi d’un statut de réfugié politique, par regroupement familial, régularisation (celles de 1974 et de 2000 ont profité en premier lieu aux Marocains), par l’adoption û une tendance émergente û ou clandestinement.  » Selon l’Institut national de statistiques, explique Nouria Ouali, chercheuse à l’ULB et présidente du comité scientifique de l’Emim, plus de 220 000 personnes d’origine marocaine vivent aujourd’hui en Belgique. Ce nombre comprend aussi bien les Marocains non naturalisés que les 131 767 naturalisés depuis 1985. Il n’inclut ni la troisième génération qui acquiert automatiquement la nationalité belge, ni les Marocains vivant dans la clandestinité.  » Les chiffres actuels sous-estiment considérablement la population d’origine marocaine. En se basant sur le seul critère de la nationalité û devenu vraiment très peu significatif û, on constate que les Marocains résidant légalement en Belgique représentent 10, 5 % de la population étrangère (le quatrième groupe d’étrangers après les Italiens, les Français et les Hollandais) et moins de 1 % de la population belge totale. Cette immigration s’est fortement féminisée (46, 2 %). Elle est majoritairement installée à Bruxelles (52, 6 %), dans certains quartiers des communes de Saint-Josse-ten-Noode, Bruxelles-Ville et Molenbeek-Saint-Jean, Saint-Gilles, Anderlecht ; ensuite, en Flandre (32, 3 %, essentiellement dans la province d’Anvers) et, enfin, en Wallonie (15, 1 %, surtout dans les provinces de Liège et de Hainaut). Ces migrants sont arrivés à des moments différents, issus de régions et d’horizons politiques ou socioprofessionnels très variés. D’où l’impossibilité de portraiturer sommairement une communauté si diverse û  » segmentée « , dit le sociologue Hassan Bousetta (ULg), tête chercheuse de la commémoration du 40e anniversaire û et dont les incessantes alliances et querelles absorbent beaucoup d’énergie.

Mohamed Lamkaddam û dont le nom signifie  » commandant des chasseurs  » û tient avec sa s£ur un restaurant très couru d’Outremeuse, à Liège. Il s’inscrit dans le tissu liégeois à la façon liégeoise : extravertie, républicaine. Installé à la campagne, il participe à des chasses dans toute la Wallonie, soutient le club de foot d’Oupeye, admire les façades de traviole de sa vieille rue populaire.  » Quand je rentre à Liège, je rentre chez moi.  » Originaire de Rabat, le père de Lamkaddam était fonctionnaire des Affaires étrangères au consulat du Maroc, à Liège. Après un tour d’Europe en auto-stop, son fils vient achever ses études dans la Cité ardente. Il y rencontre sa femme, fille d’un mineur, aujourd’hui décédé de la silicose, dont toute la progéniture habite Herstal. Mohamed travaille comme traducteur assermenté au tribunal, puis au consulat et, enfin, reprend le restaurant qui, le premier, a proposé du couscous aux Liégeois.  » J’ai la chance d’habiter dans un quartier où l’on trouve beaucoup de gens d’origines très différentes, ce qui facilite l’intégration. Car il ne suffit pas de vouloir s’intégrer, il faut que les autochtones acceptent que vous vous intégriez…  » Ce qui a manifestement été le cas pour lui, adepte de la main tendue, fin connaisseur de sa culture et de celle des autres. En revanche, il est inquiet pour les nouveaux arrivants.  » Les ghettos et l’absence de connaissance de la langue française créent bien des problèmes. L’apprentissage de la langue devrait être rendu obligatoire. C’est élémentaire, même pour la communication au sein de la famille « , soupire-t-il.

Abdellatif Khlale, 53 ans, chauffeur de bus à la Stib (Bruxelles), correspondant sportif du quotidien marocain Al Bayane, marié à une Flamande et père de quatre enfants, a été plongé dans une ambiance multiculturelle dès ses études à Casablanca. Il y fréquentait une école tenue par des bonnes s£urs, où les petits musulmans, juifs et chrétiens jouaient et se bagarraient, sans mettre leurs différends d’enfants sur le dos de leurs différences religieuses. Tourneur dans une usine textile de Roubaix, il postule un peu par hasard à la Stib. C’est là qu’il a séduit une passagère, sa future épouse. Il y travaille depuis trente-trois ans.  » Avant, on formait presque une famille entre Belges et étrangers. On jouait beaucoup au foot ensemble. Mais l’ambiance a changé. Il y a du racisme. Est-ce qu’on ne va plus nous accepter, nous qui sommes bien intégrés ? s’inquiète-t-il. Quand j’habitais dans le quartier Saint-Géry, après le travail, les gens aux terrasses nous invitaient à boire un verre, nous, les chauffeurs en tenue. Au terminus d’Anderlecht, on nous attendait avec une tasse de café…  » Le bon vieux temps. Les trois aînés d’Abdelattif ont fait de bonnes études, en néerlandais, et leurs parents ont veillé à ce qu’ils apprennent tous l’anglais. Mais le cadet a eu besoin d’aller en Grande-Bretagne pour s’épanouir.  » Là, personne ne se retourne sur un Marocain.  » Le secret d’une éducation réussie ?  » Etre un ami pour ses enfants, de sorte qu’ils écoutent quand il faut les remettre dans le droit chemin.  » L’homme ne pratique pas mais il fait le ramadam. Sa femme va à l’église et décore un sapin pour Noël.  » Ma fille ne porte pas le foulard et, pourtant, elle prie.  » Autant de nuances que seule la connaissance de l’autre peut faire ressortir.  » Les grandes terrasses du Midi, peuplées seulement d’hommes marocains, font peur aux Belges, poursuit-il. Mais s’ils y étaient introduits par un ami, ils les apprécieraient.  »  » Je remercie Dieu de ma vie, conclut-il. La Belgique m’a beaucoup apporté.  » En retour, il lui a donné quatre gosses.

Le Bruxellois Mohamed El Baroudi, 68 ans, ancien responsable syndical à la CGSP-enseignement, ne dit pas autre chose.  » Pourquoi ne serais-je pas reconnaissant ? C’est ici que je me suis marié, que j’ai travaillé et que j’ai eu mes enfants.  » Opposant politique au régime de Hassan II, il s’est réfugié en Europe, en 1963, pour fuir la répression dans son pays, mais aussi pour continuer à s’instruire et travailler.  » Mes contacts avec les antifascistes européens ont été déterminants, reconnaît-il. La Belgique n’avait pas de tradition arabe et les Marocains ne savaient rien de la Belgique, si ce n’est que les Belges étaient moins méchants que les Français.  » Avec ses amis de la FGTB, El Baroudi se poste à la sortie de la gare du Midi, où ses compatriotes analphabètes tombaient aux mains d’intermédiaires peu scrupuleux, d’autres Marocains ou Arabes.  » La majorité ne parlaient pas le français. Nous, les étudiants marocains ou les exilés politiques, organisions l’accueil et les cours d’alphabétisation. Les syndicats ont joué un très bon rôle dans ce cadre-là. Les partis ne se préoccupaient pas des immigrés, jusqu’au moment où ceux-ci ont commencé à voter.  » Sa citoyenneté, Mohamed l’a acquise à la pointe de son engagement dans les quartiers. C’est pourquoi, dût-il être le dernier des Mohicans, il ne demandera jamais la nationalité belge. De social, son combat est devenu culturel, parce qu’une chanson ou un poème adoucissent l’exil. Pendant ce temps-là, le régime marocain, lui, envoyait ses mouchards en Europe.  » Nous avons été bien défendus contre les autorités marocaines qui ont cherché à nous nuire. Pour moi, les Belges sont des gens très accueillants, même si ni eux ni nous n’étions préparés à cette rencontre.  » D’où les ratés de l’intégration. Et cette réaction, qu’il juge  » magnifique  » des jeunes, en mai 1991, à Bruxelles, devant le comportement brutal de la police :  » Nous sommes belges. Mais pas belges de cette façon !  »

A ce regard apaisé des  » anciens  » sur leur aventure migratoire correspond la révolte latente des jeunes qui n’ont pas eu les mêmes chances d’intégration û professionnelle, syndicale, politique… û que leurs aînés. Ghitah Bennis, 32 ans, est conseillère communale (Ecolo) à Saint-Gilles, membre de l’association l’Al Badri (le  » puits « … à bonnes idées) et une des fondatrices de l’ Association des parents, dans le bas de Saint-Gilles.  » On devrait se servir de nos parents pour recueillir leur sagesse, et pas seulement pour se régaler de leurs bons petits plats « , dit-elle. Ghitah est prête à tout envoyer promener pour une parole vraie.  » Il faut les suivre, les petits jeunes de 16 ans ! Certains n’ont plus de repères, ils ne savent pas qui ils sont.  » Seule fille dans une famille de garçons, elle a fait des études, pas exactement celles qu’elle voulait, mais des études.  » Mon père n’a jamais fait de différence entre ses enfants. Il nous motivait pour l’école.  » La jeune femme s’occupe de la formation dans une grande société d’ingénieurie informatique, avenue Louise. Elle a dû travailler deux fois plus pour atteindre cet objectif et devra, probablement, se battre toute sa vie.  » Pas de souci, ma force, c’est ce que les parents nous ont donné  » ! Tous les dimanches, elle va voir ses  » petits vieux  » dans une maison de repos. Honnêtement, elle y est allée d’abord pour une Marocaine. Le goût de soutenir, échanger et apprendre s’est étendu aux autres pensionnaires. Une source de bonheur.

Les vieux, sujet tabou chez les Marocains, mais il faudra bien commencer à en parler. Ahmed Belkaïd, 73 ans, goûte, à Herstal, un repos bien mérité auprès de son épouse, de ses amis et des fils de ses amis décédés, dont il reçoit régulièrement la visite. Deux mois d’été au Maroc, c’est suffisant. Ici, le traitement de son diabète est couvert par la sécurité sociale. Les hôpitaux ont du personnel d’origine immigrée et l’on respecte les obligations et rituels musulmans. Mais, pour les isolé(e)s, ceux dont les enfants et petits- enfants n’ont pas les moyens de les servir ou de les accueillir chez eux ? Jadir Benallen, responsable du service  » travailleurs migrants  » de la CSC, insiste pour qu’on envisage, sans tarder, la création d’un environnement adapté aux musulmans dans les maisons de repos.  » Les familles s’occupent encore des personnes âgées, mais avec la vie qu’on mène…  » Très peu de Marocains pensionnés û 400 û ont décidé de rompre définitivement avec la Belgique. Le problème, c’est pour ceux qui font la navette entre les deux pays et dont les frais de santé, là-bas, ne sont pas, ou mal, remboursés par les mutuelles belges auxquelles ils ont cotisé.  » Des pourparlers sont en cours avec les autorités marocaines « , affirme le syndicaliste.

Qu’ils le veuillent ou non, le Maroc et la Belgique partagent un destin commun. Tout ce qui se passe là-bas influe directement sur les  » Marocains résidant à l’étranger  » (MRE), dont l’apport financier au pays d’origine est considérable (282 millions d’euros en 2002-2003). Pour la Belgique, 11, 4 % de personnes auraient effectué un versement s’élevant jusqu’à 10 000 dirhams (100 dirhams équivaut à 10 euros), et 17, 7 %, de plus de 100 000 dirhams, sans compter les transferts de liquidités, de biens matériels ou de compensation entre migrants. L’évolution démocratique du Maroc pourrait, aussi, être décisive pour la qualité de vie des Belgo-Marocains. Exemple emblématique : la condition de la femme, inférieure juridiquement, et qui implique une guerre sournoise entre les sexes, dont les garçons, par l’éducation trop laxiste qu’ils reçoivent de leurs mères, font les frais. Hostile à la modification de la Moudawana, le code de la famille marocain, une partie de la communauté marocaine de Belgique va devoir évoluer sous l’effet des évolutions radicales impulsées par le roi Mohammed VI. Le dialogue arabo-européen pourrait s’appuyer, lui aussi, sur une armée de jeunes cadres d’origine marocaine, diplomates ou créateurs d’entreprise, impatients d’exprimer leur  » belgitude  » dans un cadre international… L’énergie est là. M.-C.R.

Entretien : Marie-Cécile Royen

ô Nous avons été bien défendus contre les autorités marocaines qui ont cherché à nous nuire. Pour moi, les Belges sont des gens très accueillants « 

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