Encore lui !

Honorer, c’est bien, commémorer, c’est mieux. Ce  » devoir de mémoire « , sucé comme un Pierrot-Gourmand par tous les ayants droit culturels à quelque titre que ce soit, légitimes ou autoproclamés, les précipite à l’envi sur la voie royale si généreusement offerte par le calendrier. Dans la floraison des  » actions  » dédiées à un mort majuscule, le colloque de spécialistes et assimilés occupe la place du chrysanthème, ce roi du cimetière. Il se double de l’£illet que l’éloquence inspirée accroche à la boutonnière de chaque intervenant, souvent appâté par la double perspective d’un coup de pub et d’un séjour exotique aux frais de la princesse. Voilà pourquoi, en ce mois d’août 2006, un colloque sur Mozart – 250e anniversaire oblige – se tient au Mozarteum de Salzbourg, avec la participation de Cornelius Pappano, musicologue parisien, assistant en Sorbonne de son ami Pierre Sastro et narrateur de Mozart, c’est moi, le succulent roman en léger anticipé de Max Genève. Il était logique, pour que les noms continuent à flirter avec ceux des personnages de La Flûte, que la superbe Hongroise – qui deviendra pour Pappano une reine de la nuit au sens le moins symbolique qui soit – s’appelât Sara Nacht. Auteur de nombreux ouvrages, cette spécialiste de Mozart s’intéresse notamment aux circonstances énigmatiques de sa mort et, au scandale de beaucoup de ses confrères, elle serait assez favorable à l’idée d’un empoisonnement par sa femme Constance. Cet aspect  » nocturne  » de la belle maîtresse de Pappano offrirait-il une piste pour la suite des événements ? Il s’agit en l’occurrence de la mort (ce ne sera pas la seule) de l’organisateur du colloque, retrouvé dans un placard de sa salle de bains, victime d’une flûte qui n’a rien d’enchanté, humide encore d’un champagne solidement trafiqué. Détail troublant : l’assassiné s’était ouvert à certains confrères d’avoir acquis une pièce d’un intérêt exceptionnel concernant Mozart.

Si Max Genève trousse ainsi, avec astuce et humour, une énigme policière originale dans le contexte combien divertissant de ce colloque, c’est aussi et surtout pour livrer, en alternance avec le récit de Pappano, l’étude que le musicologue est censé réaliser sur les dernières années de la vie de Mozart. Avec le propos d’être  » plus attentif aux zones d’ombre de sa géographie mentale qu’aux épisodes bien connus de sa brève existence  » pourrie sur la fin par l’indifférence bovine des Viennois à son génie (ce qui n’a pas empêché  » l’exploitation commerciale forcenée de la légende mozartienne  » jusque dans la sonorisation de toilettes publiques). Et, bien entendu, on retrouve dans ce volet-là, comme dans le récit anticipé, la grande culture et le talent d’un écrivain passionné de musique, qui connaît son Mozart sur le bout des doigts et nous le restitue avec autant d’élégance que de rigueur argumentée. Et qui ne se prive pas de livrer, par Pappano et consorts interposés, ses états d’âme et ses regards goguenards sur certains aspects d’un monde musical qui n’aurait donc rien à envier aux touchantes pavanes des milieux littéraires. Mais, pour autant que Genève ait une part, sans doute fort appréciable, dans la personnalité de Pappano, c’est à lui-même que l’auteur semble s’adresser le clin d’£il d’un titre porteur du rêve fou d’être soi-même Mozart. Ne voilà-t-il pas que, suite à des circonstances très spéciales vécues par ce bon Pappano, empathie et pathologie vont se marier pour enfanter un nouveau Mozart. Encore lui ! On imagine, si c’était vrai, ce cri de compositeurs d’aujourd’hui, soudain contraints de s’enfoncer plus profond encore dans sa grande ombre. Pour leur soulagement, ce clone mental aura la vie plus brève encore que celle de son modèle et décédera en toute logique d’anniversaire dans la nuit du 4 au 5 décembre. Quoi qu’il en soit, ressusciter le génie de Salzbourg ne serait pas tout à fait une chimère. Parce qu’il est vrai, comme Genève le professe, qu’écouter Mozart, c’est s’offrir la chance de le devenir un peu. l

Mozart, c’est moi, par Max Genève. Zulma, 275 p.

Ghislain Cotton

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