En avant la pub !

Cette fois, c’est la dernière ligne droite. Dans moins de quarante jours, les urnes livreront leurs résultats. D’ici au 18 mai, les partis doivent se démarquer.Avec l’aide des professionnels de la communication

Drôle de campagne, vraiment. A moins de quarante jours des élections législatives, il faut être accroc de la politique ou dévoreur de gazettes pour savoir qu’une échéance politique importante se prépare. Les autres risquent vraiment de rester  » ignorants « , tant la publicité politique reste discrète. Pour plusieurs raisons. La première, bien sûr, c’est la guerre en Irak. Le suspense, longtemps entretenu, autour de la date du déclenchement des opérations et les incertitudes qui pèsent, aujourd’hui, sur leur durée sont évidemment pour beaucoup dans ce retard à l’allumage. Difficile, dans un contexte international aussi troublé, de ramener l’attention des citoyens et des médias sur des enjeux belgo-belges. Délicat, aussi, d’asséner des slogans forcément réducteurs et un brin fanfarons, de vendre un avenir radieux, alors que le drapeau de la paix est en berne.

Cela dit, les tensions mondiales ne sont pas seules responsables de l’atonie de la campagne électorale. Voici quinze ans, on n’y aurait pas échappé : les bobines de célébrités politiques se seraient étalées sans vergogne sur des panneaux d’affichage de 20 mètres carrés, des milliers d’heureux électeurs se seraient vu offrir l’un ou l’autre gadget plus ou moins utile, portant l’effigie d’un candidat ou le sigle d’un parti. Les rues auraient été envahies de camionnettes-sandwichs véhiculant les mérites des différentes formations politiques. Aujourd’hui, c’en est bel et bien fini de pareil étalage. La loi de 1989 sur le financement public des partis politiques et le contrôle des dépenses électorales a changé la donne. Les campagnes des partis sont financées par l’argent public et, par conséquent, leur coût est strictement plafonné : il ne peut dépasser 1 million d’euros pour les partis bénéficiant d’une représentation au Parlement. Plus question, non plus, de faire n’importe quoi avec cet argent dont l’affectation est soigneusement contrôlée : exit, par exemple, les affiches de 20 mètres carrés durant la campagne, dont le coup d’envoi est officiellement donné quarante jours avant la date du scrutin. Interdits, aussi, les gadgets et autres  » dons  » racoleurs. Les partis ne doivent plus y aller de leur poche pour financer leur campagne, certes, mais ils se voient, du même coup, contraints à une grande sobriété. Ce qui, au sein du petit monde de la publicité et de la communication, suscite quelques grincements de dents. Assortis, parfois, de bons arguments. En l’absence de publicité politique, les candidats sont, en effet, privés du seul moyen qui leur permettait de s’adresser directement et simultanément à l’ensemble des électeurs. Résultat ? Ils auraient tendance, estiment certains, à se détacher de leur public. Autre effet pervers du système, les responsables politiques se rabattent sur les médias comme intermédiaires pour faire connaître leurs idées, ce qui encourage les déclarations parsemées de petites phrases assassines et à l’emporte-pièce. C’est sans doute vrai, du moins en partie : aucun système n’est parfait.

Mais, à présent que le financement des partis est régulé par la loi, la vie publique s’est assainie : il n’y a pas si longtemps, celle-ci était émaillée d' » affaires  » liées au financement occulte des formations politiques, dont certaines cédaient à d’illégales tentations pour faire rentrer l’argent dans les caisses et financer de coûteuses campagnes. Autre vertu de cette clarification : la surenchère publicitaire a cédé la place aux congrès programmatiques û lesquels assurent le parti concerné d’articles dans la presse écrite et de l’une ou l’autre image en télé û et aux rencontres, sur le terrain, avec les militants et le public. Jamais les tournées, meetings et autres rencontres-débats n’ont été aussi abondants. Sans compter le développement des forums de discussion sur le Net. Quand l’argent se fait rare, les vertus des contacts humains sont davantage appréciées à leur juste valeur…

Professionnalisation

Parallèlement, la communication publicitaire proprement dite û c’est-à-dire, essentiellement, les encarts payants dans les médias ainsi que l’élaboration du slogan de campagne et des affiches û s’est professionnalisée. Plus question de griffonner quelques idées sur un coin de table. Ou alors, seulement sous l’£il averti de l’un ou l’autre  » consultant  » professionnel. Il y a peu de pub en période de campagne, elle se doit donc d’être accrocheuse. Et là, on ne privilégie pas le fond : c’est la forme qui requiert l’attention.  » Pour faire une bonne campagne, un parti doit relever trois défis, résume-t-on dans les  » équipes de communication  » : 1. Parvenir à orienter le débat politique autour de ses thèmes privilégiés. 2. Se différencier des adversaires sans les tuer. 3. Fidéliser son socle d’électeurs et tenter de l’élargir.  » Ces derniers temps, les partis francophones ont bel et bien dévoilé leurs cartes : le PS basera sa campagne sur la protection sociale, les différences entre la gauche et la droite et le refus de tout approfondissement de la réforme fiscale. Le MR, au contraire, insiste sur les thèmes traditionnellement chers à la  » droite « , à savoir l’allègement fiscal et l’égalité de traitement entre les indépendants et les salariés. C’est clair : socialistes et libéraux sont les vrais adversaires dans cette campagne. Les choses sont plus délicates pour Ecolo : difficile, pour le moment, de vendre de la qualité de la vie. Pas si simple, par conséquent, de se démarquer clairement du grand frère socialiste. D’autant plus que les Verts concluent leur première expérience gouvernementale, aux résultats mitigés de l’avis même de leurs militants, dont l’avis compte pour beaucoup dans la vie agitée du parti. Quant au CDH, il joue tout bonnement sa survie : un an, jour pour jour, après le changement de nom de l’ex-PSC, les résultats du scrutin du 18 mai diront si, oui ou non, le lifting a convaincu. Difficile, bien sûr, de résumer en une seule phrase, voire en un seul mot, tout un programme et un foisonnement d’idées. Le résultat décevra sans nul doute les amateurs de  » coups  » médiatiques et d’originalité…

 » Le progrès pour tous «  : tel est le slogan de campagne du PS, qui a lancé officiellement sa campagne mardi 8 avril. Tentant de ramener l’attention sur les sujets socio-économiques. Elio Di Rupo, le président du parti, se présente comme le candidat du progrès social, face au camp libéral désigné comme celui de la régression sociale et responsable de l’assèchement des deniers publics. Pour résumer cela, l’équipe de campagne du parti û composée d’une petite dizaine de personnes proches du président et chapeautée par Di Rupo û a choisi quelques mots résumant, de son point de vue, les valeurs d’égalité et de partage défendues par le parti. Ils s’inscrivent, d’ailleurs, dans la logique des Ateliers du progrès organisés par le PS (et inspirés des Etats généraux de l’écologie politique initiés, avant cela, par Ecolo), dont les lignes de force programmatiques ont été résumées dans un ouvrage portant la signature de Di Rupo en personne et baptisé Le Progrès partagé. La mise en forme du slogan a été confiée à l’agence belge Bialek & Partners, avec pour consigne de respecter les lignes de force du graphisme utilisé dans le sigle récemment relooké du PS. Le mot d’ordre est donc à la cohérence visuelle, sur laquelle ont dû s’aligner les différents candidats apparaissant sur les affiches et dans les encarts publiés dans la presse.

 » Du c£ur à l’ouvrage «  : voilà le slogan du MR, qui a délégué la réalisation de sa campagne à la filiale belge d’une agence américaine, FCB. La  » marque de fabrique  » libérale, trouvée en interne à l’issue d’interminables et parfois houleuses réunions, rassemblant, notamment, Daniel Ducarme, Louis Michel, Didier Reynders, Olivier Maingain (le coupeur de cheveux en quatre, paraît-il) et Gérard Deprez (le conciliateur), a été révélée le week-end dernier, à l’occasion de l’un de ces congrès dont le MR s’est fait une véritable spécialité. Il succède ainsi au slogan de pré-campagne, qui vantait  » Le souffle des idées, la force de les réaliser « . Il est tentant de voir derrière ces mots, résolument  » passe-partout « , la preuve de l’affaiblissement de la dimension idéologique libérale. Celle-ci est forcée de s’effacer devant la nécessité de créer un consensus difficile dans les rangs d’un parti traversé de courants multiples et parfois contradictoires. On peut voir aussi dans ce  » c£ur  » une façon d’indiquer que la gauche n’en a pas le monopole, elle qui prônait naguère son  » retour « .

 » Marche «  : tel sera le mot d’ordre d’Ecolo, imaginé par l’équipe des  » communicateurs  » articulée autour de la secrétaire fédérale Evelyne Huytebroeck et de Didier De Jaegher, le responsable de l’agence belge Kadratura. Un petit mot, un seul, susceptible de plaire surtout au socle électoral des Verts û qui recrutent surtout parmi les jeunes, relativement branchés et d’un niveau socioculturel plus élevé que la moyenne de la population û et moins soucieux de ratisser aussi large que les petites phrases des concurrents. Sur l’affiche, pas de trombines des candidats : seulement un bouton, sur lequel l’électeur est invité à pousser.

 » Le 18 mai, place à l’humain « , martèle le CDH, qui a fait appel aux services de Cathedral, la filiale belge de l’agence de pub américaine McCann-Erickson. Laquelle a déjà été fortement sollicitée, voici un an, pour opérer la transformation du PSC en CDH.  » Le gros du travail a été réalisé à ce moment-là, explique-t-on au parti. C’est alors que les nouveaux modes de communication ont été décidés.  » Une vieille dame dans un conteneur, un bébé au bras entouré d’un code-barres et une écolière avec un gilet pare-balles, voilà qui tranchait, effectivement, avec la prudence traditionnelle des  » anciens  » sociaux-chrétiens… Aujourd’hui que l’échéance électorale se rapproche, les affiches sont redevenues plus traditionnelles. Mais un grand soin a été apporté à l’aspect visuel. Pas de doute, Joëlle Milquet connaît l’importance du look…

Isabelle Philippon

C’est clair : socialistes et libéraux sont les vrais adversaires dans cette campagne

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