Emmerdeurs professionnels

Ils résistent à leur président de parti et jouent perso. La fidélité de leur électorat est souvent directement proportionnelle à la haine que leur vouent leurs pairs en politique. Portraits de ces francs-tireurs

Les présidents de parti les exècrent, tout en bénissant ces électrons libres qui, grâce à leur franc-parler, rapportent gros sur le plan électoral. Quand ils franchissent la ligne rouge et deviennent vraiment ingérables, ils les recasent dans des fonctions à responsabilités, généralement aussi apaisantes qu’un bain d’huiles essentielles. Ou, mais c’est plus rare, ils s’en séparent. Seuls ceux qui franchissent la ligne rouge sont excommuniés : pour encourir pareilles foudres, il ne suffit pas d’être un indéfectible bavard, de jouer perso ou de mener une petite guérilla idéologique sur l’un ou l’autre thème. Il faut s’opposer clairement à la ligne présidentielle, au programme du parti, bref, entrer en dissidence. L’ancien sénateur VLD Hugo Coveliers en a fait les frais, voici deux ans. L’ex-entraîneur de judo Jean-Marie Dedecker, lui, fait toujours partie des troupes libérales flamandes. Il vient pourtant encore de s’illustrer, dans le quotidien Het Laatste Nieuws, en comparant le charisme de Jo Vandeurzen, président du CD&V, à celui d’un  » lavabo « . Ces propos n’ont suscité qu’un silence gêné dans les rangs libéraux, où l’on s’indigne plus vigoureusement quand un de leurs membres commet un péché de lèse-président que lorsqu’il insulte une éminence d’un parti concurrent…

Le monde des emmerdeurs est fatalement petit : la confection des listes électorales, laissée à la discrétion des présidents de parti, limite fortement l’indépendance des parlementaires. Les appareils se méfient de ces dons Quichottes, parfois utiles mais trop indisciplinés. Mais, si ces empêcheurs de penser en rond détiennent un joli fonds de commerce électoral, ils ne risquent guère de représailles. Un emmerdeur n’est pas l’autre, non plus. Entre un Dedecker, qui réduit la chose publique à un ring où s’échangent des coups, et un Destexhe, unanimement considéré comme la tête de file francophone des bêtes noires politiques, il y a un fossé. Qu’on apprécie ou non le ton de ses leçons, Alain Destexhe revivifie le débat, remue le parterre, bouleverse les codes d’un langage habituellement convenu, dévoile les non-dits. On peut gloser à l’infini sur l’opportunité qu’il y avait d’alimenter le moulin des séparatistes flamands en dévoilant sans précaution les  » vrais  » chiffres sur l’état de la Wallonie. On n’oserait pas nier la pertinence de ses considérations sur la mauvaise gouvernance et la particratie, qui lui valurent pourtant d’être accusé de cracher dans la soupe.

Les emmerdeurs sont rarement des kamikazes : ils savent quand ils doivent rentrer dans le rang. En général, à l’heure des votes, ils mettent le doigt au même endroit que leurs petits camarades moins médiatiques, c’est-à-dire sur la couture du pantalon. Avides de notoriété ? Assurément. Fous ? Un brin sans doute. Mais rarement suicidaires…

Isabelle Philippon

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