Rosanne Mathot

Eh bien, riez maintenant !

Où une épidémie de fou rire agite un printemps collant et poétique.

C’est le printemps. A Paris, on repave les chaussées, on raccommode les estropiés, on replante ce qui a été arraché. A Bruxelles, c’est moins rude, même si on y marche beaucoup aussi et que les défenseurs du climat y dorment désormais à la belle étoile : l’atmosphère y est plus poétique. De fait, le printemps, flanqué de ses acolytes (bardes, poètes et écrivaillons) y file sans relâche la blonde Lorelei, serveuse au Geyser, dans un ballet dingue d’ombres dandinantes.

–  » C’est pas bientôt fini, non ?  » cracha Lorelei à son escorte collante. L’escorte en question ne moufta pas, se contentant de lui lancer le regard que Ceau?escu jeta à la caméra juste avant la corde.  » Tu parles d’un cadeau « , qu’elle grommela Lorelei, aussi touchée qu’exaspérée par cette filature. En même temps, elle savait, la blonde, que, systématiquement, à compter du 20 mars, chaque année, les poètes la talonnaient par escadrilles, en rase-mottes, pour lui tomber dessus en piqué, pendant son sommeil, pour se repaître de la chair verte de ses songes (1).

–  » C’est pas bientôt fini, non ?  » Non, ça ne l’était pas encore. Lorelei mit rageusement le cap sur le Geyser, la fesse houleuse, offerte à l’inspiration goulue des rigolos qui la suivaient. Une bifurcation plus tard, la p’tite troupe se retrouva au Geyser : le printemps, les trouvères, Lorelei, sa queue de cheval, son agacement et sa robe à bretelles. Le tout ballait mollement dans la danse lumineuse de la poussière.

Et puis, subitement, un premier fou rire désarticula tout : un homme d’affaires, attablé devant un gâteau à la chantilly, pouffa violemment (2). Puis, un deuxième hoquet, tout aussi hilare et généreux que l’autre, secoua la table voisine. Très vite, le rire les contamina tous : les gars, les filles, les vieux, les mômes, même.

 » C’est pas bientôt fini, non ?  » Non, ça ne l’était toujours pas. Des mises en plis violettes faisaient à présent gondoler d’allégresse le dossier des banquettes. On s’attroupait, goguenard, aux portes des cabinets. On tombait des tabourets de bar. Les plus émotifs se laissaient aller dans leur pantalon. On grimpait sur les tables. On s’esclaffait. On était heureux.

Sur le coup de 22 h 30, Bertrand se pointa, une petite valise à la main, pâle et inquiet, comme un ange en cavale. Le démissionnaire cuisinier neurasthénique respira profondément, s’imbibant – bien malgré lui – les poumons de gaz hilarant.

–  » C’est pas bientôt fini, non ?  » Pleurant de rire, gloussant, pouffant, Bertrand s’achemina vers sa bien-aimée cuisine, jonchée de douilles de proto vides. Dans un glapissement jovial, il articula :  » Ça y est, Lorelei ! C’est fini !  »

Mais c’est pas tout ça, l’heure tourne ! Où est encore passé le serveur ? S’agirait pas de louper le film qui va démarrer, sur la Une, à 20 h 15…

(1) Le 21 mars, lendemain du printemps, a été proclamé Journée mondiale de la poésie, par l’ONU.

(2) Aujourd’hui, le  » proto  » (gaz hilarant) est la substance chimique récréative la plus en vogue, auprès des jeunes, ce qui inquiète les médecins. Ce gaz en vente libre se présente sous la forme de petites douilles à visser sur les siphons de chantilly.

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