Plusieurs bâtiments scolaires ont été incendiés par des jeunes pendant les vacances de Noël. Le phénomène est exceptionnel, mais il pose néanmoins de préoccupantes questions
L’incendie a réveillé le voisinage en sursaut peu avant 5 heures du matin, le 1er décembre dernier. Un dimanche. » C’était comme un feu d’artifice! Les tuiles sautaient du toit les unes après les autres, avec, à chaque fois, un bruit d’explosion », racontaient des témoins tirés du lit par la pétarade. L’école libre mixte de la rue du Seigneur, à Trazegnies, brûlait. Intervenus rapidement, les pompiers ont eu du mal à accéder au bâtiment en feu, situé dans une cour intérieure.
Cinq classes ont été entièrement détruites par les flammes, trois primaires et deux maternelles. Tout a cramé: armoires, bancs, tables, cahiers, papiers à dessin, crayons, livres, sacs de gym… D’autres classes, dans un bâtiment connexe, ont également été touchées: murs noircis par la fumée, vitres fêlées à cause de la chaleur… Même le préau a été partiellement réduit en cendres. Sur un tableau, rescapé d’un des locaux ravagés, on aperçoit encore un Saint Nicolas dessiné à la craie, témoin de la candeur des bambins qui occupaient les lieux huit heures par jour.
Les responsables de cette tragédie sont quatre adolescents, âgés de 13 à 18 ans, dont l’aîné – à peine majeur – est déjà connu de la justice pour avoir tenté d’incendier une église. Ils n’ont rien à voir avec l’établissement scolaire. Tous habitent la cité sociale de Trazegnies. Rapidement interpellés par la police locale, ils ont admis s’être introduits dans l’école pour chaparder et tout casser, en s’éclairant à la bougie. Ils y auraient mis le feu involontairement. Mais les pompiers ont noté plusieurs foyers d’incendie et les experts du parquet de Charleroi ont constaté qu’un produit inflammable avait été utilisé. L’acte semble donc criminel.
Plus d’un mois après le drame, les dégâts n’ont pas encore été chiffrés. Le préjudice moral, lui, est énorme. Plus de 110 élèves sur un total de 380 se sont d’un coup retrouvés sans locaux. Il a fallu fermer l’école pendant deux jours, le temps de s’organiser. Une garderie a été assurée dans la salle paroissiale. Les trois classes primaires ont été hébergées, et le sont toujours, dans une école de la Communauté française voisine. Le matériel récupérable a été entreposé dans le réfectoire. Les enfants ont posé beaucoup de questions, craignant qu’on ne mette aussi le feu chez eux. Ils demandaient si « Madame » n’avait pas brûlé dans l’incendie, persuadés que leur maîtresse vit et dort à l’école.
« On venait de rafraîchir les murs de certaines classes et de refaire l’escalier de l’aile incendiée, raconte la directrice de l’établissement Madame Troye. Parmi les enseignants et les parents d’élèves, cela a été la consternation et l’incrédulité. Un tel événement est inimaginable. » Incrustée dans un ancien couvent, l’école, centenaire, de la rue du Seigneur est un petit institut sans histoire, dont les grilles sont peintes en lilas et les murs bariolés de dessins d’enfants. Dans un coin de la cour de récréation, une Vierge blanche veille discrètement. Mais, cette nuit du 1er décembre, la Madone s’est révélée impuissante.
L’incendie de Trazegnies n’est malheureusement pas un fait isolé. Il a été le premier d’une longue série au cours du mois de décembre, essentiellement dans la région de Charleroi. Dans la nuit du 16 au 17 décembre, c’est l’école primaire Georges Roland, à Ath, qui a été victime de jeunes incendiaires. Une semaine plus tard, le jour de Noël, un bâtiment préfabriqué d’une école communale maternelle de la cité d’Orchies, à Fleurus, est parti en fumée. Le 27, à Roux, l’école communale de la cité de la Lache et, le 30, une école maternelle de Lodelinsart ont été saccagées par les flammes. Et, pour compléter la liste, il faut ajouter le double incendie, en juillet puis en octobre, du lycée François de Sales, à Gilly.
Dans quasi tous les cas, les auteurs ont été appréhendés. Il s’agit de mineurs ou de jeunes à peine majeurs. Des « gosses à problèmes », comme on dit. Issus de cités sociales, cancres à l’école. Presque une image d’Epinal! Certains étaient ivres au moment des faits. Pour le procureur du Roi de Charleroi, Thierry Marchandise, ces actes criminels ne sont pas liés. « Mais on peut parler d’effet de contagion, reconnaît le magistrat carolo. Une mauvaise idée en entraîne d’autres. En outre, les faits se sont surtout concentrés durant les vacances scolaires. » Une période où l’inactivité touche durement certains jeunes livrés à eux-mêmes.
Après la violence à l’école, la violence contre l’école? La série noire de décembre constitue un phénomène exceptionnel. Aussi ne faut-il pas y voir, à ce stade, l’émergence d’une nouvelle forme de criminalité. Cela dit, selon les statistiques policières, le vandalisme contre les établissements scolaires (bris de vitres, tags, déprédations, etc.) a tendance à légèrement augmenter en Belgique, ces dernières années. Qu’est-ce qui motive des adolescents à exprimer une telle agressivité contre l’institution scolaire ?
« Dans une certaine mesure, la violence externe contre l’école peut être interprétée de la même manière que la violence à l’intérieur de l’école, explique Françoise Digneffe, criminologue à l’UCL. Sans me prononcer sur les dossiers judiciaires en cours que je ne connais pas, on peut penser avoir affaire à des jeunes qui sont en conflit avec l’univers scolaire, qui ont été, à certains moments, en décrochage ou qui ne se sentent pas à leur place en classe. Il serait étonnant de voir de bons élèves démolir ainsi l’école, une institution qui symbolise une forme de réussite sociale pour ceux qui la traversent positivement. »
Selon la criminologue, c’est aussi une manière d’exister pour ces incendiaires, d’exprimer dans la violence leurs attentes de reconnaissance. « On peut deviner leur jubilation devant les dégâts non seulement matériels mais aussi psychologiques qu’ils ont occasionnés. Certains ont dû se dire qu’ils avaient bien réussi leur coup, en voyant à la télévision le désespoir des profs des écoles qui ont brûlé. C’est triste d’en arriver là. Ces jeunes sont en révolte. » Ils se rebellent contre toute forme d’autorité. Et, s’ils s’attaquent à un bâtiment scolaire, ce n’est pas par hasard. « L’école est une institution d’autorité comme le sont la police, la justice, voire les banques, avance Pierre Philippot, de l’unité de recherche en psychologie clinique et sociale à l’UCL. Mais elle n’est pas protégée comme les autres. En outre, les jeunes qui s’attaquent à elle y ont des points de repère. C’est un milieu qu’ils connaissent. Ils choisissent l’école pour cible à la fois par facilité et par opportunité. »
Il est donc indispensable de mieux protéger les établissements scolaires. Auparavant, ceux-ci étaient gardés par des concierges. Aujourd’hui, en dehors des jours de cours, les écoles sont vides. Beaucoup ne sont toujours pas équipés d’alarme. Les systèmes de sécurité doivent être, à tout le moins, renforcés. Mais il faudrait aussi, et surtout, se pencher sérieusement sur la situation des jeunes qui ont bouté le feu à ces écoles. A Trazegnies, l’un des mineurs appréhendés a tout juste 13 ans. L’incendie s’est déclaré vers 5 heures du matin. Qu’est-ce qu’un gamin de cet âge faisait en rue, un dimanche, à cette heure-là? Qui est responsable? Trouver la bonne réponse constitue sans doute un début de solution.
Thierry Denoël