Ecole et ségrégation

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Des enquêtes récentes ont révélé des disparités énormes entre écoles et parents concernant, par exemple, les frais scolaires. A la suite de ces constats, il convient sans doute de rappeler le contexte de régulation dans lequel se trouve notre système scolaire. Ce dernier repose sur des principes qui, s’ils offrent des avantages aux écoles et aux parents, encouragent les processus discriminatoires.

Un premier élément concerne le mécanisme de financement des emplois sur la base d’un comptage des élèves inscrits, ce qui amène les écoles à développer des stratégies actives, telles que des pratiques de marketing pour attirer le  » client « . Face à cette concurrence énorme, les écoles ne sont pas égales. Certaines d’entre elles sont en sur-inscription et peuvent alors développer des stratégies actives de gestion de leur population scolaire : par exemple, établir des procédures implicites de sélection, et limiter en cela le spectre de choix pour certains parents. En miroir, les écoles en sous-inscription n’ont qu’une faible prise sur les types d’élèves qui leur parviennent. Ces écoles développent des stratégies passives ou, au mieux, des stratégies actives en environnement fortement contraint, par exemple en se spécialisant dans un créneau type  » aide aux élèves en difficulté « , la conséquence étant une certaine forme de getthoïsation.

Un autre élément contribuant au développement d’un quasi-marché scolaire concerne les parents. Il s’agit du libre choix scolaire, inscrit dans notre Constitution. Ce principe rend libre la circulation des élèves et semble aujourd’hui déborder le simple droit au choix d’une école répondant aux options philosophiques des parents. La différenciation interne du système en écoles plus ou moins  » cotées  » et plus ou moins  » dotées  » rend le choix scolaire à la fois plus crucial et plus complexe qu’autrefois. Le choix d’une école semble davantage relever, aujourd’hui, d’un processus complexe et tâtonnant d’essais et erreurs. Là encore, des inégalités criantes en terme de ressources sont apparentes. Les parents disposent de ressources inégales dans la connaissance des mécanismes de hiérarchisation scolaire. Le choix scolaire repose sur des critères différents selon les milieux sociaux, avec une importance accrue du facteur proximité pour les parents issus de milieux populaires et un calcul plus stratégique en termes d’affinité socio-pédagogique pour les parents des milieux plus favorisés. Ajoutons à cela le fait que les réseaux sociaux dont les parents jouissent jouent un rôle dans le choix d’une école et renforcent les mécanismes de reproduction sociale.

La concurrence entre les écoles et l’individualisation des processus de choix scolaires tracent les contours d’un quasi-marché scolaire face auquel les acteurs ne sont pas égaux. En résumé, notre système scolaire renvoie à la fois une image d’individualisation forte des parcours et une perpétuation des inégalités sociales.

La question qui se pose alors reste celle d’un v£u pieux d’égalité entre les élèves, là où les bases mêmes de notre système scolaire génèrent potentiellement de la ségrégation. En effet, on doit s’interroger sur l’opportunité d’instaurer des épreuves généralisées et de persévérer dans des uniformisations pédagogiques alors que les écoles ne se trouvent pas sur le même pied d’égalité au départ, tant en termes de public qu’en termes d’infrastructure. La stratégie politique à développer se situe-t-elle dans une réflexion sur les processus de régulation présents dans notre système scolaire ? Se situe-t-elle dans une gestion plus large des inégalités sociales et économiques liées à notre vivre ensemble ?

Sans répondre à ces interrogations, il semble que les différents acteurs politiques et pédagogiques doivent prendre en considération les éléments inhérents à notre système scolaire avant de s’engager dans des réformes qui auraient pour effet d’élargir plus considérablement le fossé qui existe entre eux et les enseignants. Sans cela, on peut émettre l’hypothèse que l’écart, voire la défiance, des enseignants envers les décideurs s’accentuerait, allant jusqu’à la situation de rupture qui pourrait prendre des formes telles que la manifestation publique d’une violence contenue ou, plus grave encore, la résignation défaitiste face à ce qui pourrait être ressenti comme une hypocrisie intellectuelle. l

Ce texte se base sur une recherche de décembre 2001, Dauphin N., Waltenberg F., et autres, Recherche sur la mobilité des élèves en cours de scolarité primaire en Communauté française Wallonie-Bruxelles, Girsef.

Dauphin Nicolas

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