D’un conteur l’autre

L’Enclume aux grives, par René Hénoumont. Le Rocher, 217 p.

Monsieur Blanche, par Alain Bertrand. Le Castor Astral, 232 p.

Mêler la chronique du siècle à celle d’un microcosme rural relève d’un exercice délicat dont René Hénoumont s’acquitte avec grand bonheur. Il est vrai qu’il ne déploie jamais aussi bien ses dons de romancier que lorsqu’il conte les m£urs et les gens de son pays d’Ourthe et de Meuse. Après Les Epines noires, qui évoquait l’époque entre 1900 et la Libération, la suite de cette saga remet en scène le petit monde qui gravite autour des acteurs centraux, dont le bâtard Donat Lognoul, avocat et marié à la Comtesse Claire, elle-même inséparable de son amie écossaise Mabel avec laquelle elle a fait le coup de feu durant la guerre. En toile de fond : la guerre froide après le séisme de 1939-1945. Séisme qui a laissé des traces profondes dans la population de ces villages et qu’une sorte de réplique angoisse à nouveau avec l’imminence de la guerre de Corée qui, d’ailleurs, décidera aussi du sort de Donat. Amour et Histoire, présent et passé s’étreignent avec une sensibilité toute romanesque, mais c’est surtout par l’observation des gens, par la façon de dire, par le plaisir des gestes qu’Hénoumont séduit. Et ce sont aussi ses propres passions que l’on vit et savoure presque en temps réel lorsqu’on met ses pas dans ceux de Donat pour plomber la bécassine ou pour ferrer un brochet de légende.

Avec Alain Bertrand, le conte est bon lui aussi, et même excellent, mais d’une autre veine. Celle d’une fantaisie entre farce et féerie, qui pourrait invoquer des parentés avec les roueries d’Aymé, les fatalités dhôteliennes et les magies poétiques à la Vialatte. C’est aussi dans un contexte villageois (inspiré par son Ardenne adoptive ?) que se joue le ballet des passions, des rêves et des extravagances autour de Monsieur Blanche, l’enfant û et puis l’homme û qui n’a pas de prénom, s’est fait un idéal de la médiocrité et nourrit un amour éperdu pour Juliette, la petite infirme. Il serait malvenu de s’étonner des entretiens amoureux de sa mère avec le prince-régent Charles dans les toilettes, des folies douces et des exploits d’un aérostier repris de justice ou encore des jolies façons et des sales manières des uns et des autres. Si l’on peignait le conte, ce serait du Chagall, si on le musiquait, ce serait du Satie. Mais c’est aussi et surtout une langue aussi somptueuse, poétique et finement folâtre que l’imaginaire débridé qui la mobilise au service des rêves et du pur amour.

Ghislain Cotton

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