Les éoliennes se multiplient dans les campagnes. Mais, sur la terre ferme comme en haute mer, on ne les voit pas toujours d’un bon oil. Des coups de poing dans le paysage ?
C’est désormais une quasi-certitude. D’ici peu, il ne sera plus possible de circuler sur les routes et les chemins de Wallonie sans apercevoir, ici et là, des » bouquets » d’éoliennes dans le paysage. Le temps où le sud du pays, loin derrière la Flandre (58 éoliennes en activité), affichait l’un des plus piètres scores en ce domaine (2 éoliennes seulement) va, petit à petit, s’effacer des esprits. D’ores et déjà, sur le plateau de Bastogne, à Sainte-Ode, 6 éoliennes fendent l’air de la haute Ardenne et fournissent de l’électricité au réseau. A Bütgenbach, près de Malmedy, Electrabel entame, ces jours-ci, les travaux d’érection de 4 éoliennes de 2 mégawatts chacune, après trois longues années de procédure. A Gembloux et à Sombreffe, l’installation des 4 mâts prévus (6 MW) devrait débuter à l’automne. Ce n’est probablement qu’un début : si 16 éoliennes bénéficient actuellement du feu vert des autorités wallonnes, elles sont, au total, 186 à piétiner dans l’antichambre du dieu Eole, à travers une petite trentaine de projets industriels.
Industriels ? Oui, le mot n’est pas trop ambitieux pour qualifier une partie des projets en cours. Même si Electrabel ne cesse de déplorer les lacunes du cadre réglementaire actuel dans tout le pays, le géant électrique a des projets sur plusieurs sites, et pas uniquement en Flandre. Privés ou publics, d’autres opérateurs se montrent, eux aussi, intéressés par cette forme de production. Ils sont – il est vrai – alléchés par les certificats verts, un mécanisme qui prévoit des quotas de production » verte » et un système de pénalités en cas de non-respect. Ainsi, dans la région d’Anhée-Mettet (Namur), la société Mesa a présenté un projet qui dépasse de loin tous les autres : 61 éoliennes d’un coup (sur 270 kilomètres carrés) ! Un véritable parc, comme il en existe des dizaines en Allemagne depuis belle lurette. Parmi les actionnaires de cette entreprise, on retrouve, à 75 %, la Compagnie nationale à portefeuille (CNP), le holding d’Albert Frère. Un signe qui ne trompe pas : le marché est mûr.
Le marché, peut-être. Mais cela suffit-il ? A quelques semaines d’intervalle, les nuages se sont amoncelés sur deux projets de grande taille. A la fin du mois dernier, le Conseil d’Etat a suspendu les permis accordés au consortium Electrabel/De Nul, qui souhaite ériger 50 éoliennes au large de Knokke-Heist. Les motivations de la haute instance administrative ont plongé plus d’un juriste dans l’étonnement. Outre un vice de forme, le Conseil d’Etat donne raison, en effet, à une habitante du front de mer selon laquelle, vues depuis son appartement du 4e étage, les éoliennes (plantées à 12 kilomètres au large), risqueraient de gâcher son paysage ! Ignorant l’avis de son auditeur, le Conseil d’Etat qualifie carrément le projet éolien de » gâchis paysager « . Il ajoute que, pour être autorisées, les éoliennes devraient être invisibles de la côte, soit situées à… 45 kilomètres. Un fameux bâton dans les pales. En effet, le parc envisagé initialement devait théoriquement couvrir, à lui seul, 40 % des quotas de production d' » énergie verte » de la Région flamande. De plus, trois autres parcs offshore, d’une taille comparable, sont également envisagés le long de la côte belge.
L’autre orage déferle, lui, depuis quatre mois sur le projet Mesa. Un tollé de protestations secoue cette superbe région du Condroz, traversée par la Molignée. Là aussi, des problèmes paysagers sont invoqués. Hautes jusqu’à une centaine de mètres (140, si l’on tient compte de la position supérieure des pales), les éoliennes seraient, au dire des opposants, totalement disproportionnées. Il est vrai que les promoteurs ont présenté leur vaste projet à la population pendant les vacances de Noël, à la veille du réveillon. Une indélicatesse majeure ! Dans un tel contexte et en l’absence de toute simulation d’impact paysager de la part des promoteurs, les habitants des nombreux villages concernés – l’un d’eux compterait jusqu’à 20 éoliennes sur son territoire – ne pouvaient que crier au coup de force, au manque de transparence des promoteurs et à la manipulation. Piquant : c’est, précisément, pour éviter de tels dérapages que la législation en vigueur depuis octobre 2002 prévoit des réunions publiques très tôt dans la procédure de consultation du public. Autrefois, de tels projets n’étaient rendus publics que très tardivement, lorsqu’ils étaient bouclés et… pratiquement inamovibles. Effets pervers d’un souci de transparence ?
Dans la vallée de la Molignée, les riverains peuvent – au moins partiellement – respirer : à l’issue de l’étude d’incidence, le nombre d’éoliennes sera probablement raboté d’un tiers, voire d’une moitié. Mais qu’en est-il des autres projets en Wallonie ? Car, d’ores et déjà, le vent de la fronde se fait contagieux. Il secoue les rangs écologistes et environnementalistes, et remodèle les échiquiers traditionnels autour de tels projets. Ainsi, les Ecolos, qui sont au pouvoir au gouvernement wallon et dans certaines communes, se font tirer l’oreille par une partie de l’électorat : les comités de riverains et, plus généralement, les habitants soucieux de leur qualité de vie. Gênant, à la veille d’élections… Ces derniers reprochent aux Verts de s’allier avec le » grand capital « . On voit même des membres d’associations comme les Amis de la Terre s’opposer sans concession au projet d’éoliennes du Mesa, au nom du small is beautiful. Le monde à l’envers ?
Dans le secteur de la production énergétique, certains partisans des énergies vertes lèvent les bras au ciel. L’essor de l’éolien pourrait être sensiblement ralenti, le temps de trouver un fond d’approbation » populaire « . Mais combien de temps cela prendra-t-il ? D’autres, plus optimistes, considèrent ces péripéties comme d’inévitables incidents de parcours. Ici et là, des promoteurs n’ont pas attendu l’émergence de ce nouveau syndrome » Nimby » ( » Not in my back yard « , » Pas dans mon jardin « ). Ils invitent les villageois à visiter les parcs éoliens allemands ou danois. Ils mettent sur pied des mécanismes de participation financière dans les projets locaux, via l’entrée des particuliers dans l’actionnariat des sociétés et leur participation aux bénéfices. Par ce genre de démarches, ils espèrent s’attirer les faveurs des opposants, mais aussi, peut-être, permettre une certaine forme d’ » éducation » à l’énergie : qui sait encore, aujourd’hui, d’où vient l’électricité du grille-pain et de la machine à laver ? » Partout en Europe, la croissance de l’éolien est remarquable et, en Wallonie, on suit la tendance, mais avec quel retard ! » se lamente-t-on dans une entreprise liégeoise – la première du genre en Wallonie – qui vient de se lancer dans la construction clé sur porte d’éoliennes, concurrençant ainsi le seul ensemblier (flamand) à ce jour du pays. Un autre signe d’une lente – et tardive – prise de conscience. l
Philippe Lamotte
ô En Wallonie, on suit la tendance, mais avec retard! «