Deux manifs d’avocats en six semaines

La présence de l’avocat à la première audition d’un justiciable (arrêt Salduz) est surtout en cause. Le ministre de la Justice, Stefaan De Clerck, ne veut pas payer les prestations déjà effectuées. Mais le budget grince des dents un peu partout…

Les relations entre le ministre sortant de la Justice, Stefaan De Clerck (CD&V), et le monde judiciaire n’étaient déjà pas au beau fixe. Or elles se tendent. A cause des budgets, cette situation visant tantôt des cas précis, tantôt la politique générale. Ainsi, le service de règlement collectif de dettes de Namur (le  » RCD « ) est moribond. Pourtant, le suren-dettement est particulièrement présent dans la capitale wallonne : en 2009, 3 350 demandes d’avis en admissibilité y ont été introduites (dont 20 % seulement ont été traitées) alors que, pourtant plus peuplée, Charleroi n’en recevait  » que  » 3 300. Les choses se sont encore dégradées. Pourquoi ? C’est en manifestant le 8 mai dernier devant le palais de justice namurois qu’une centaine d’avocats, de magistrats, de notaires et d’huissiers ont scandé la réponse en criant au  » manque criant de moyens humains et matériels « .

Damoclès, es-tu là ?

Ce coup de colère s’explique car, le 2 mai, l’annonce de la fermeture pure et simple du RCD avait été évoquée au motif que le personnel y a été réduit de sept membres à deux (des remplacements n’étant pas effectués). Résultat : le courrier (y compris les notifications de décisions), l’examen des requêtes en taxation ainsi que les fixations à l’audience sont en panne. Or Stefaan De Clerck n’a pu promettre que deux emplois contractuels – pour quand ? -, une nomination se faisant par ailleurs attendre. La faute à un budget frappé depuis longtemps par la misère.

Mais une autre épée de Damoclès budgétaire pend au-dessus du ministre. Après que, le 27 novembre 2008, la Cour européenne des droits de l’homme eut rendu un arrêt (dit Salduz) en ce sens, les Etats européens se doivent de faire assister tout justiciable par un avocat dès sa première audition. La loi transposant ceci en droit belge est passée le 25 mai en commission Justice de la Chambre et devait être définitivement adoptée ce 16 juin en séance plénière. Il ne fallait plus traîner : l’absence de l’avocat à l’entame des procédures est devenue de nature à remettre celles-ci en cause. Un premier exemple était survenu le 15 décembre 2010, lorsque la Cour de cassation avait, pour la première fois de ce chef, dit un procès nul (celui de l’abbé Robert Borremans, condamné au mois d’avril précédent à deux ans ferme pour des viols et des attentats à la pudeur sur un garçonnet). D’éventuelles remises en liberté de dangereux suspects ne seraient même pas à exclure.

A la manif pour Salduz !

Bref, les avocats avaient été les plus prompts sur la balle. L’ordre des barreaux francophones et germanophone (OBFG) avait ainsi monté des permanences pour répondre  » présent  » à toute première audition chez un juge d’instruction, à dater du 15 novembre 2010. Ce qui lui a valu 1 200 interventions depuis lors. Avec les moyens du bord : un petit local près du palais de justice de Bruxelles accueille par exemple les 150 avocats qui assurent chaque mois cette permanence, en rotation, 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7.

Le hic, c’est que l’OBFG enrage. Il n’a rien reçu, au registre de l’aide juridique, pour ces prestations. Et il découvre que, là où il espérait de manière compréhensible une indemnisation a posteriori, Stefaan De Clerck est loin de dire  » oui « . D’où l’annonce d’une manifestation de plus (ce 21 juin), devant le Palais. Voilà donc deux  » manifs  » en quelques semaines… dans un monde judiciaire pourtant peu enclin à la chose.

Pis. Si rien ne bouge, précise le bâtonnier de Bruxelles, Jean-Pierre Buyle, la permanence sera suspendue le 30 juin. Avec du grabuge judiciaire à la clé : les procédures bancales ainsi entamées seront aisément attaquables.

 » Je dois respecter la loi « 

La balle est donc dans le camp du ministre qui, pour les avocats, porte le chapeau : rien n’était prévu dans le budget voté à la Chambre voici un mois seulement. Pourtant, Stefaan De Clerck dit s’être battu et a des arguments. Il s’en est expliqué au Vif/L’Express.  » D’abord, je veux être prudent car je suis assigné par le barreau dans cette affaire, ce que je n’apprécie d’ailleurs pas beaucoup, car il faut toujours préserver un esprit de conciliation entre les acteurs de la justice.  » Cette précaution oratoire posée, il détaille :  » En tant que ministre de la Justice, je dois respecter la loi. Je le ferai lorsque la nouvelle sortira ses effets. Mais je le fais maintenant aussi et je ne puis payer des prestations effectuées dans le passé, sans base légale et sans contrôle  » (lequel pourrait toutefois passer par les dossiers judiciaires, qui portent des traces de ces prestations). Stefaan De Clerck balaie également d’un revers le reproche d’avoir tardé :  » Ce n’est pas moi le législateur ! Moi, je pousse le sujet en avant depuis l’été 2010. « 

Si l’on tient de surcroît compte qu’il n’y a pas de budget et que  » nous sommes en affaires courantes, ça ne rend pas les choses plus aisées « , cette demande des avocats  » est difficile, vraiment. Mais si on considère que l’arrêt Salduz n’a pas été rendu pour eux, mais pour l’assistance aux personnes, j’espère qu’ils la poursuivront au-delà du 30 juin… « . Roland Planchar

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire