Des partis politiques tétanisées

Si elle doit advenir, la société multiculturelle naîtra dans la douleur. Les partis politiques répugnent à déclencher l’accouchement.

Fichu foulard, qui s’impose même quand on ne l’y invite pas. Avant les élections législatives, ce n’était pas le moment d’en parler. Trop délicat. Ni Ecolo ni le CDH n’ont fait une grande publicité autour de l’insertion, dans leur programme, des  » accommodements raisonnables « . Ce concept juridico-sociologique venu du Canada – où, après vingt ans d’application, il a été remis en question et recadré – apparaît à beaucoup, sur le continent européen, comme le cheval de Troie du communautarisme à la sauce des Frères musulmans. Il invite les sociétés à assouplir leurs normes en faveur de minorités qui, autrement, seraient discriminées du fait de leur différence. En discuter après les élections ? Eh bien, ce n’est pas trop le moment non plus, semble-t-il.

Les Assises de l’interculturalité patronnées par la ministre de l’Egalité des chances, Joëlle Milquet (CDH), vont être lancées le 21 septembre. Leurs travaux, qui paraissent encore bien flous, doivent s’étaler jusqu’en septembre 2010, avant la fin de la présidence belge de l’Union européenne. Joëlle Milquet souhaite proposer à l’Europe, en guise de cadeau d’adieu, un modèle de cohabitation harmonieuse des cultures.

Les Assises sont frappées, dès l’entame, d’un soupçon qui pourrait être rédhibitoire ( lire pages 26-27). Elles postulent que les  » accommodements raisonnables  » sont souhaitables, alors qu’il n’existe pas d’accord sur la question au gouvernement fédéral. Les Assises considèrent la reconnaissance des minorités culturelles, l’une des recommandations du Dialogue interculturel (2004), comme un fait acquis. Et qu’il faut aller plus loin : affirmer visiblement, à l’école, au travail et dans la fonction publique, que la Belgique est devenue un Etat multiculturel.

Mais, quelle que soit leur issue, les Assises permettent au monde politique de retarder le moment où il devra se dévoiler face à la question de plus en plus obsédante du port du voile islamique à l’école, au travail et dans la fonction publique. De nombreux observateurs remarquent que ce brouillard savamment entretenu permet de ne pas se mettre à dos l’important électorat musulman. Nos politiques craindraient aussi que des positions trop tranchées stigmatisent le camp des pro ou des contra et suscitent des troubles sociaux plus graves que le statu quo actuel.

L’effet domino d’Anvers

Or, sur le terrain, la situation a évolué à grande vitesse. En Communauté française, près de 96 % des établissements secondaires ont pris des dispositions, après une quinzaine d’années de tâtonnements, pour neutraliser le marquage religieux des élèves. Il apparaît aujourd’hui, notamment avec l’interdiction du voile dans le réseau communal de Dison ( lire pages 24-25), que celui-ci a pris ses quartiers dans certaines classes de l’enseignement fondamental, y compris maternelles. Depuis belle lurette, le corps professoral réclame avec insistance une uniformisation des pratiques car les écoles isolées dans leur position du libre choix sont mises sous pression et deviennent des ghettos. Une partie du secteur associatif lié à l’immigration – le Centre pour l’égalité des chances en tête – plaide pour la solution inverse : une autorisation généralisée, facteur de mixité sociale.

Mis à part le MR, qui sortira du bois en octobre, le PS, le CDH et Ecolo sont profondément divisés. Il faut légiférer, oui, admettent-ils à contrec£ur, mais pas sans un débat très large avec la société civile, encadré par des universitaires, et prenant en compte la voix des jeunes filles concernées. Un cadre qui correspond en tout point au projet des Assises…

En Flandre, où les partis politiques ne sont pas pressés, non plus, de mettre les mains dans le guêpier, les événements se sont précipités suite aux provocations de Nordin Taouil, un imam extrémiste qui a appelé à la rébellion les élèves musulmanes des athénées d’Anvers et de Hoboken, après la décision du 23 juin d’interdire dans ces écoles le port de signes religieux. Par un effet domino auquel l’imam ne s’attendait sans doute pas, tout l’enseignement communautaire flamand, suivi par l’ensemble des écoles anversoises, a basculé en bloc dans le camp du  » non « .

Ce changement de cap n’a été rendu possible que par l’autonomie organisationnelle dont dispose l’enseignement officiel flamand, grâce à sa  » coupole  » GO !, qui sert d’interface entre les établissements et le ministre de tutelle. En Communauté française, si les établissements sont libres, individuellement, de prendre des décisions d’interdiction ou d’autorisation, en revanche, une mesure globale devrait émaner directement du ministre de l’Enseignement. Néanmoins, tant en Flandre qu’en Communauté française, le sujet reste délicat et divise profondément les partis, de l’intérieur. Au point que certains hommes politiques espèrent encore que le Conseil d’Etat, la Cour constitutionnelle ou la Cour européenne des droits de l’homme (le Mrax suggère même de faire appel au Conseil des droits de l’homme des Nations unies) les dispensent de faire des choix décisifs de valeur.

Le corps professoral réclame avec insistance une uniformisation des pratiques car les écoles isolées dans leur position du libre choix sont mises sous pression et deviennent des ghettos.

dossier réalisé par Marie-Cécile Royen et Soraya Ghali

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire