Des dimanches sans camions ?

Michel Delwiche
Michel Delwiche Journaliste

Le gouvernement wallon aimerait que les camions restent à l’arrêt le dimanche. Car nos parkings débordent près des frontières…

Installés autour d’une petite table entre deux camions, trois chauffeurs terminent leur repas du dimanche soir sur le parking autoroutier de Bierges, dans le Brabant wallon. L’un d’eux, de nationalité serbe, est en route depuis trois mois. Trois mois qu’il n’a pas revu sa famille. Les deux autres, des Slovènes, rentrent au pays, après deux mois de voyage pour l’un. Ils sont de bonne humeur, malgré la fine pluie qui vient de tomber. Un véhicule de la police fédérale fait une ronde.  » C’est bien, la Belgique, sauf eux, dit le Serbe dans un mélange difficilement compréhensible d’anglais et d’allemand, en montrant les policiers : pour cinq minutes de dépassement du temps de conduite, ils te donnent une amende de 2 000 euros ! Ce n’est pas toujours facile de trouver un parking au bon moment. « 

 » Oui c’est bien, la Belgique, ajoute l’un des Slovènes, sauf que pour nous, les restoroutes sont beaucoup trop chers. Alors, on doit se débrouiller, comme vous voyez. « 

La Belgique est si petite

L’interdiction de rouler le dimanche ? Ces navigateurs au long cours ne sont pas demandeurs, mais ils estiment que cela ne changerait rien à leur condition. La Belgique est si petite, et la circulation des camions est de toute façon interdite le dimanche en France, en Allemagne, au Luxembourg…

Arrêté sur le parking de Spy (E42) en direction de Mons, un routier allemand n’est pas du même avis.  » Ce sont nos patrons qui veulent nous faire rouler sept jours sur sept. Moi, le dimanche, je préférerais rentrer à la maison. Mais c’est pour la payer que je suis bien obligé de faire ce travail…  » Il est entré en Belgique samedi soir, et va reprendre la route pour passer la frontière après 22 heures, quand les camions seront de nouveau autorisés à rouler en France.

 » Cette question est de compétence partagée entre les Régions et le fédéral, explique Benoît Lutgen (CDH), ministre wallon des Travaux publics, mais la Belgique ne peut pas accepter plus longtemps d’être le grand parking européen du dimanche. Si la circulation des camions était interdite le dimanche chez nous aussi, les véhicules en transit seraient bien obligés de s’arrêter sur l’ensemble du territoire plutôt que de s’agglutiner, comme aujourd’hui, dans les parkings les plus proches de la frontière, de déborder sur la bande d’arrêt d’urgence avec les problèmes de sécurité que cela pose, d’encombrer de même les bretelles d’accès, voire de se répandre n’importe comment aux alentours, le long des routes et dans les agglomérations. « 

Encourager les heures creuses

 » Ce serait un non-sens, cela ne ferait que concentrer sur six jours la circulation des camions aujourd’hui répartie sur sept, et aggraver les embouteillages, rétorque Michaël Reul, directeur de l’UPTR (Union professionnelle des transporteurs routiers). Il faut au contraire encourager la circulation des poids lourds en dehors des heures de pointe, en Belgique et à l’étranger. Anvers est le plus grand port de France, disait déjà le général de Gaulle, et les marchandises qui y sont amenées ou emmenées le sont par camion. Pareil pour l’Allemagne. Anvers est au centre d’un rayon d’action de 450 à 500 km, avec de gros clients comme Ikea, Atlas Copco, Nike… On ne va tout de même pas se tirer une balle dans le pied… « 

 » Ce serait, poursuit le représentant patronal, un scandale social de coincer tous ces chauffeurs sur un parking sans confort, sans douches en nombre suffisant. Ce ne serait certainement pas un plus pour le chauffeur, d’autant que son temps de conduite est déjà limité, qu’il bénéficie de repos obligatoires. « 

Cette opposition à l’interdiction dominicale est partagée par l’Ubot (Union belge des ouvriers du transport-FGTB), qui estime également que la mesure ne ferait que reporter les ennuis sur les autres jours de la semaine. Le véritable problème, estime l’Ubot, c’est le manque structurel d’emplacements de parking pour camions, le dimanche comme tous les autres jours de la semaine. Une enquête du syndicat a révélé que c’est en semaine, durant la soirée et la nuit, que le taux d’occupation moyen des aires d’autoroute est le plus important : il dépasse les 130 %, parfois même les 150 %. Les nuits du week-end, il est de 81 %, mais monte à 95 % en journée. La semaine, le taux diurne est de 79 %.

Le coca à 2,5 euros

L’enquête fait également apparaître des problèmes d’hygiène et de sécurité. Tous les parkings ne sont pas équipés de douches, ni même d’eau chaude ; les toilettes, y comprises les payantes, sont souvent sales ; il n’y a aucune surveillance, si ce n’est les caméras des caisses de la station-service. Et en outre, les prix pratiqués par les restoroutes belges sont élevés : 14,3 euros le plat du jour, et le coca à 2,5 euros.

 » C’est un fait qu’il faut des parkings supplémentaires, répond Benoît Lutgen, mais pas plus qu’il n’en faut. J’ai demandé un relevé à l’administration. Je veux bien construire des parkings sécurisés, avec des douches et des cafétérias ouvertes toute la nuit, mais ces services seront payants, comme à l’étranger. « 

A terme, prévient Lutgen, quand les parkings seront en nombre suffisant, il sera interdit de se garer ailleurs. C’est déjà le cas au Luxembourg par exemple, où le stationnement des camions de plus de 3,5 tonnes est interdit sur la voie publique de 22 heures à 6 heures le lendemain. Les seuls emplacements autorisés sont les parkings aménagés sur les plans de l’hygiène et de la surveillance.

Mais si gouverner c’est prévoir, il est plus que temps d’anticiper. Plus de 80 000 camions entrent en Belgique chaque jour, et le trafic de marchandises par route devrait doubler d’ici 2020.

MICHEL DELWICHE

Plus de 88 % des camions, sur les aires d’autoroutes, sont étrangers

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