Des cygnes qui ne trompent pas

Les mauvaises nouvelles ne cessent de s’accumuler sur le front de la grippe aviaire. Le virus a touché l’Afrique et l’Europe. Il est établi que les oiseaux migrateurs peuvent le transporter. Les élevages, notamment en Belgique, resteront-ils longtemps épargnés ?

Cette fois, il est bien là. Pas seulement en Afrique (Nigeria), mais aussi en Europe. En quelques dizaines d’heures, le virus de la grippe aviaire a été détecté en Italie et en Grèce, puis en Autriche et en Allemagne. Sans compter les pays où sa présence est soupçonnée et doit encore être confirmée, comme au Danemark et en Slovénie. Fait troublant : chaque fois, ou presque, ce sont des cygnes qui ont été découverts malades ou morts. Jusqu’au 13 ou au 14 février, les spécialistes, bien que très prudents, faisaient encore preuve d’un certain optimisme, bien que très prudents. En effet, les cygnes tuberculés présents dans le sud de l’Europe ne croisent pas, normalement, les routes migratoires empruntées par les centaines de millions d’oiseaux qui, dans les pays méditerranéens, s’apprêtent à entamer leurs migrations printanières vers le nord en survolant grosso modo les pays riverains de l’Atlantique. La présence de ces individus malades en Grèce et en Italie, en compagnie d’autres espèces de canards en quantités anormalement élevées, s’expliquait par le coup de froid très rude qui a sévi sur la Russie en décembre et en janvier. Celui-ci les a chassés bien au-delà de la mer Noire et des pays riverains, leur contrée habituelle d’hivernage. En Belgique,  » nos  » cygnes, ceux qui peuplent les parcs et les cours d’eau, sont des espèces plutôt sédentaires, très peu susceptibles de rencontrer les volatiles malades du sud de l’Europe.

Mais voilà. Depuis la découverte de cygnes morts en Allemagne et, peut-être, au Danemark, on sait que la mer Baltique est touchée, elle aussi, par le virus, probablement à la suite de la même dispersion anormale d’oiseaux originaires de Russie. De plus, plusieurs espèces de cygnes semblent touchées.  » Si une vague de froid persistante devait régner sur la Baltique, des oiseaux malades pourraient se réfugier vers l’ouest, dans nos régions « , explique Didier Vangeluwe, collaborateur à l’Institut royal des sciences naturelles (IRSNB). Tout dépend, en effet, des conditions météorologiques des jours à venir. Si, au contraire, une élévation des températures se manifestait en Europe centrale, ces animaux reprendraient probablement leur périple habituel vers leurs régions de nidification : les steppes de Russie. Tout aussi inquiétante serait la découverte, dans les jours ou les semaines qui suivent, d’oiseaux infectés au Sénégal, en Espagne, voire en France (Camargue) où se reposent des centaines de milliers d’oiseaux – dont les canards, apparemment plus sensibles au virus – prêts à gagner ou à survoler nos régions lors des migrations du printemps.

Autre élément, tout aussi peu rassurant, confirmé le 7 février dernier par l’Académie des sciences américaines : les oiseaux sauvages peuvent parfaitement être porteurs du virus H5N1 sans pour autant manifester des signes cliniques extérieurs de la maladie. Ainsi, des oiseaux qui excrètent le virus dès le troisième jour (après son inoculation artificielle dans leur organisme) peuvent ne manifester aucun signe infectieux pendant une semaine, voire plus longtemps. Cette confirmation complique sérieusement la détection de la maladie. Elle bat également en brèche l’idée, très défendue par les associations de protection des oiseaux (notamment en Belgique), selon laquelle les volatiles sauvages, trop affaiblis par la grippe aviaire, seraient incapables de jouer un rôle dans la propagation de la maladie.  » A ce stade, il est quasi acquis que la maladie se déplace avec les migrations « , souligne Vangeluwe.

Certes, à l’heure actuelle, le virus n’a frappé, dans ces nouveaux foyers d’infection, que des oiseaux sauvages et, semble-t-il, un nombre d’espèces très réduites. L’Europe tout entière, troi- sième région du monde exportatrice de volailles, retient donc son souffle et adopte de nouvelles mesures de précaution, en espérant empêcher toute transmission vers les élevages. En Belgique, par exemple, l’Agence fédérale pour la sécurité de la chaîne alimentaire (Afsca) a durci les contraintes de confinement, notamment aux abords des zones sensibles, susceptibles d’accueillir de fortes concentrations d’oiseaux aquatiques et/ou migrateurs.

Chez nous

En Belgique, un cygne et des canards trouvés morts en Flandre ont finalement été déclarés  » négatifs  » très rapidement. Ce genre de  » fausses  » découvertes, qui se multiplie un peu partout en Europe, démontre au moins une chose positive : les systèmes de détection précoce fonctionnent bien. En Afrique, on ne peut pas en dire autant. Le virus H5N1 a été détecté il y a une quinzaine de jours au Nigeria, dans une province du Nord particulièrement pauvre et désorganisée. Les autorités ont tergiversé pendant trois longues semaines avant de donner l’alerte.  » Cette découverte est une très, très mauvaise nouvelle « , commente Thierry van den Berg, responsable du diagnostic de la grippe aviaire pour la Belgique.

En effet, les autorités nigérianes en sont réduites à faire abattre des dizaines de milliers de poulets, précieuses – et souvent uniques – sources de protéines pour la population : une calamité. D’autres pays africains s’attendent à devoir faire de même, le virus ignorant les frontières. Les experts des Nations unies, appelés à se pencher sur la probabilité de voir la peste aviaire se répandre en Afrique noire, énumèrent une série de facteurs inquiétants pour l’avenir : manque d’expertise vétérinaire locale, déficience des systèmes de veille et de contrôle sanitaires, indemnisation balbutiante des éleveurs (ce qui les encourage à taire la présence de symptômes anormaux dans les petits élevages familiaux), etc. A noter que le Nigeria abrite, en hiver, des populations de canards pilets et souchets, de même que des sarcelles, qui fréquentent nos régions d’Europe centrale au printemps. Un bémol, toutefois :  » Rien ne prouve, à ce stade, explique Thierry van den Berg, qu’ils sont capables de voler sur de grandes distances lorsqu’ils sont porteurs du virus.  »

Certes, à ce stade, le virus est surtout aviaire et non transmissible d’homme à homme. Mais plus il se répand et devient endémique, plus la probabilité augmente qu’il se combine, quelque part dans le monde, avec un virus  » classique  » de grippe humaine. S’il fallait, même cyniquement, une seule raison supplémentaire pour investir massivement dans l’aide au développement de l’Afrique, la voilà toute trouvée.

Philippe Lamotte

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