des cours à l’ ouvrage

Devant la caméra, Romain Duris, Julie Ferrier et François Damiens jouent la comédie. Mais que se passe-t-il derrière, là où s’activent une bonne soixantaine de personnes ? Reportage dans un studio de la banlieue parisienne, sur le tournage de L’Arnacour.

Le projet a des atours luxueux : une comédie romantique et d’aventures située à Monaco, avec Vanessa Paradis et Romain Duris, distribuée par Universal. On imagine que la production a forcément sorti l’artillerie lourde. On va vite déchanter. Ou plutôt s’enchanter. Car le film est davantage porté par l’enthousiasme d’une équipe solidaire que soutenu par une économie confortable. Pourtant, aujourd’hui, tous auraient de quoi faire grise mine : après trois semaines sous le soleil monégasque, les voilà réunis en studio, à Saint-Ouen, pour les scènes d’intérieur. Mais non. Il fait beau, c’est lundi et ils ont le sourire. Et, pour certains, dès potron-minet.

6 h 45. Hervé Gallet, chef décorateur, embauche le premier, quand la feuille de service annonce un début de tournage à midi. Excès de zèle ?  » Pas du tout ! On a des accessoires à installer qui sont arrivés ce week-end de Monaco.  » Allusion aux câbles et au matériel informatique qu’il faut brancher dans cette réplique d’une chambre de l’hôtel Monte-Carlo Bay. Ustensiles high-tech nécessaires au personnage joué par Romain Duris, qui surveille les faits et gestes de sa voisine de palier, incarnée par Vanessa Paradis. Briseur de couples professionnel, il est mandaté par le père de la belle pour empêcher son mariage. Aidé par deux comparses croquignolets (Julie Ferrier et François Damiens), le play-boy use de stratagèmes dignes des agents secrets de Mission impossible.

9 h 30. Arrivée du patron. Issu de la pub et de la télé, Pascal Chaumeil signe son premier film de cinéma. Pour l’heure, il inspecte les lieux, ravi. Deux chambres et une suite communicantes, avec salles de bains quatre étoiles et balcon filant devant un mur bleu dans lequel sera incrustée, en postproduction, une vue imprenable sur la Méditerranée. Le réalisateur tique sur un mur dénudé.  » Je peux y mettre un miroir « , propose Hervé Gallet. Vendu ! Pendant que deux techniciens bardés d’outils s’y affairent, l’équipe entre en ébullition. Machinos, électriciens, régisseurs et autres ouvriers indispensables à la bonne marche d’un tournage sont là. D’aucuns trouveraient leur travail ennuyeux ou astreignant. Eux ne se plaignent pas :  » Quand tout le monde s’entend bien, comme c’est le cas ici, c’est un boulot fatigant mais gratifiant, raconte un des machinistes. Mais si le metteur en scène est une buse ou que des stars se la pètent, c’est l’enfer !  » Question Paradis, c’est cuit : Vanessa ne revient sur le plateau qu’après-demain.  » C’est effectivement une star, confie Laurent Zeitoun, un des producteurs et des scénaristes du film, mais elle s’est très bien intégrée. Elle a du mérite, avec trois fous furieux pareils ! « 

11 heures. Le trio infernal susnommé, Romain Duris, François Damiens et Julie Ferrier, sort du maquillage pour se retrouver à la cantine, sous un chapiteau installé face au studio. Depuis la première semaine de tournage au Maroc, où se déroulent les dix premières minutes du film, ils sont inséparables. Le buffet est copieux : £ufs brouillés, jambon, poulet aux champignons, poisson, cocos plats, melon, c£urs d’artichautà Les assiettes se remplissent. Et se vident aussi vite. Avec 200 séquences à mettre en boîte en neuf semaines, pas question de prendre du retard.

12 heures.  » Ce qui peut être pas mal, c’est un latéral au 40 « , propose le chef opérateur, Thierry Arbogast. Rassurez-vous : on n’a pas compris non plus. Ce sabir s’adresse au réalisateur, qui cherche la meilleure solution pour filmer Romain Duris passant d’une chambre à l’autre.  » A travers ce petit travelling, on présente au public l’interaction des lieux « , explique Pascal Chaumeil. Le 40 est la focale de l’objectif.

De la suite attenante on entend l’appel au secours d’un assistant :  » On a besoin d’un balai !  » L’engin servira à nettoyer le parquet, pour tourner une  » vignette  » : un insert vidéo sur le visage de François Damiens, capté par la caméra de surveillance qu’il est en train d’installer.  » Vas-y François ! C’est ton gros plan du film !  » blague Romain Duris, qui retourne illico dans la pièce contiguë, où il est attendu pour le fameux  » latéral « . L’ambiance potache met du baume au c£ur du producteur, Yann Zenou, à peine remis du refus des chaînes hertziennes d’investir dans le film – 8,7 millions d’euros pour un divertissement plutôt populaire.  » On a pris une douche froide, convient-il. Mais on croit suffisamment au projet pour s’en passer. Du coup, on n’a droit à aucun dépassement, et il n’y a pas de salaire producteur. « 

12 h 40. L’équipe technique met en place un nouveau plan, où les trois comédiens joueront face à un mur couvert de photos et de coupures de presse sur Juliette Van der Beck, alias Vanessa Paradis. Pendant l’installation, Duris photographie un fauteuil très design, qu’il espère acheter à la fin du tournage. L’ensemblière, qui a aménagé ces répliques de chambres avec  » plus de goût que les vraies  » selon le réalisateur, a l’habitude de ce genre de demande : elle promet à Duris de négocier avec son fournisseur. On la suit dans un bureau, où Hervé Gallet et ses collaborateurs planchent devant leurs ordinateurs.  » On prépare les décors de la semaine prochaine, explique-t-il. Notamment le restaurant Chez Gégène (célèbre guinguette en bord de Marne), qu’on transformera en restaurant italien.  » Ils doivent également trouver une boutique de luxe pour une autre séquence et faire les comptes. De quoi s’occuper jusqu’à 19 heures.

15 heures. Dans un coin du studio, quatre gaillards, responsables des passerelles où sont suspendues les lumières, visent le planning des semaines à venir. A l’autre bout, quelqu’un éventre des balles de tennis, avant de les enfoncer aux pieds des projecteurs, pour qu’ils ne rayent pas les parquets ni les meubles. Ailleurs, on court, on s’agite. Seule oasis de calme : le moniteur vidéo sur lequel Duris visionne une scène. Histoire de  » prendre la température « , comme il dit. Plutôt bonne, semble-t-il.

15 h 30. Romain Duris et François Damiens scrutent toujours leur mur. Entrée de Julie Ferrier, déguisée en femme de chambre (son personnage raffole des camouflages en tout genre). Elle annonce à ses partenaires que la future épouse a disparu en 1998, pour réapparaître un an plus tard. Réplique de Duris :  » Ça, c’est intéressant. Qu’est-ce qu’elle a fait, pendant cette année ?  » Réponse de Ferrier :  » Elle s’est masturbée.  » Eclat de rire général. La comédienne a pris une certaine liberté avec le texte. Ce qui n’est pas pour déplaire à Pascal Chaumeil :  » Tu ajoutes « Je déconne ! » et on garde la réplique.  » Une douzaine de prises plus tard, la scène est en boîte.

17 heures. La journée s’achève. Florence, régisseuse adjointe, vérifie qu’elle n’a rien oublié. Demain, c’est le 14-Juillet, mais le tournage continue. Elle doit donc anticiper les besoins pour les deux jours à venir, de la commande de matériel aux courses au supermarché, pour alimenter la fameuse  » table régie « , éternellement couverte de friandises, gâteaux et boissons.  » Je suis un peu la maman du plateau « , résume-t-elle.

18 h 15. Romain Duris se lime les ongles en attendant son chauffeur. Son maquilleur gît allongé dans un coin du studio. L’assistant réalisateur est vautré dans un fauteuil. D’autres mettent en place le dernier plan du jour : Julie Ferrier et François Damiens, postés devant des écrans de surveillance, sont censés guider par téléphone Romain Duris à la poursuite de Vanessa Paradis. Le tandem joue l’excitation, l’énervement, l’inquiétude. Ils s’éclatent. Les techniciens aussi, qui n’en perdent pas une miette.

19 heures. Un assistant, les mains englouties dans un sac hermétique à la lumière, range dans sa boîte le quatrième et dernier magasin de pellicule.  » Un magasin, c’est dix minutes de film.  » Sur l’ensemble, seules trois minutes trente seront conservées. Mais c’est plus que la moyenne habituelle – environ 2 minutes quotidiennes. Demain sera un autre jour. Toujours avec le sourire.

christophe carrière.reportage photo : jean-paul guilloteau pour le vif/l’express; C. C.

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