Des briques et du fric

Corruption à la Régie des bâtiments : le premier propriétaire du pays est-il suffisamment contrôlé ? Décryptage

L’affaire n’est pas anodine. D’ailleurs, la chambre du conseil de Bruxelles a décidé, le 3 février, de maintenir en prison, pour une durée d’un mois, les trois fonctionnaires de la Régie des bâtiments, dont le directeur général Hans Evenepoel. A 64 ans, ce proche du CD&V, pourtant étiqueté SP.A, est soupçonné d’avoir favorisé des entrepreneurs privés pour l’octroi de marchés publics, dans le cadre de travaux d’entretien ou de construction. En contrepartie, lui et ses acolytes auraient bénéficié de largesses : argent liquide, voyages d’agrément à l’étranger et travaux gratuits pour leur compte privé. Si certains des corrupteurs sont passés aux aveux, les fonctionnaires corrompus, eux, nient tout en bloc.

Les deux premières sociétés dans le collimateur de la justice sont deux entreprises appartenant à une même famille. La Barco-Construct, à Alost, est spécialisée dans la construction et la B&P-Electro, à Ninove, dans les travaux d’électricité. La justice reproche notamment à Evenepoel de ne pas avoir réglé diverses factures privées pour la construction d’une maison à Denderleeuw. Les  » échanges de cadeaux  » ont été révélés par un correspondant anonyme auprès des parquets de Bruxelles et de Termonde. Pour Evenepoel, ces dénonciations sont le fait de voisins qui, agacés par les travaux de Denderleeuw, ont voulu se venger. Un cinquième entrepreneur, provenant de Zele, vient d’être appréhendé. D’autres perquisitions, voire arrestations, sont attendues dans les prochaines semaines. A ce stade du dossier, le montant de la corruption est impossible à estimer.

Une question évidente se pose dans ce contexte : la Régie des bâtiments est-elle suffisamment contrôlée ? Avec les 1 177 bâtiments qu’il détient pour le compte de l’Etat fédéral, soit un patrimoine de 3,4 milliards d’euros, cet organisme parastatal est considéré comme le premier propriétaire de Belgique. Outre la gestion des biens immobiliers de l’Etat fédéral (ministères, palais de justice, prisons, musées, bâtiments historiques comme la Monnaie ou la cathédrale Saints-Michel-et-Gudule…), la Régie agit également comme maître d’ouvrage pour l’entretien ou la réfection des bâtiments publics et la construction de nouveaux édifices, soit un budget de 153 millions d’euros en 2005. Une cassette énorme qui tente les fraudeurs…

Arrangements

Il existe en principe de nombreux garde-fous légaux pour empêcher la corruption.  » En cas d’adjudication, c’est-à-dire quand le marché est attribué, après publicité, à l’entrepreneur le moins cher, les offres sont envoyées sous pli scellé et les prix proposés par les candidats sont proclamés lors d’une séance publique « , rappelle Patrick Thiel, avocat chez CMS De Backer. En cas d’appel d’offres, l’attribution du marché ne se fait pas seulement en fonction du prix mais aussi de la qualité de l’entrepreneur et des délais qu’il propose. Même si la procédure est, ici aussi, entièrement publique, le choix, bien que motivé, s’avère moins limpide. En effet, si les offres sont plus ou moins équivalentes, on peut facilement faire pencher la balance d’un côté ou de l’autre. Enfin, autre cas : si le montant estimé du marché ne dépasse par 67 000 euros, le pouvoir adjudicateur n’est pas obligé de publier un avis de marché et peut contacter librement quelques entrepreneurs de son choix – au moins trois – qu’il mettra en concurrence. Il paraît plus simple de tricher lors de cette  » procédure négociée sans publicité « . Evidemment, dans le secteur de la construction, les chantiers dépassent facilement 67 000 euros. Mais, avec un peu d’astuce, il est toujours possible de saucissonner de gros marchés pour éviter qu’il y ait un appel d’offres. De plus, il n’est pas exclu que certains entrepreneurs s’arrangent préalablement pour se répartir les marchés, avant de remettre leurs devis.

Outre les services financier et juridique internes, le principal contrôleur de la Régie des bâtiments est la Cour des comptes qui possède un bureau au sein du parastatal. Il s’agit d’un contrôle a posteriori, c’est-à-dire une fois que la dépense a été effectuée. Autre contrôleur : l’inspecteur des finances, délégué par le ministère du Budget pour une période de trois ans et qui siège aussi à la Régie. Il doit donner son aval pour une série d’actes, entre autres pour les marchés conclus en procédure négociée au-delà d’un montant de 30 000 euros. Faut-il renforcer ces contrôles ? La réforme structurelle de la Régie des bâtiments, annoncée par son ministre de tutelle Didier Reynders (MR), devra nécessairement répondre à cette question.

Thierry Denoël

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