Des aristocrates progressistes

Arrivés de France en Belgique en 1839, les Bufquin des Essarts ont siégé aux commandes du Journal de Charleroi pendant plus d’un siècle.

Il y a toujours eu une contradiction entre les idées progressistes de ma famille et son origine aristocratique. En consultant l’arbre généalogique, on y découvre des gens qui, par exemple, ont participé à la Révolution française, ou à la lutte contre l’esclavage : étrange pour des marquis…  » Michèle Bufquin des Essarts est la dernière représentante du clan. Dès sa jeunesse, elle prend parti pour les travailleurs immigrés et l’indépendance des pays colonisés. Son parcours la mène au Maroc, puis en Haïti où elle embrasse la carrière de journaliste pendant les années de dictature de Jean-Claude Duvalier et des Tontons macoutes.  » Les idées de gauche et le journalisme sont certainement dans mes gênes « , poursuit-elle. La saga familiale est en effet étroitement liée à l’histoire d’un journal.

Né à Paris en 1809, Louis-Xavier Bufquin des Essarts, l’arrière-arrière-grand-père de Michèle, se réfugie en Belgique en 1839 : il fuyait, semble- t-il, une condamnation qui avait frappé une revue démocratique à laquelle il collaborait. Vingt ans plus tard, il devient directeur du Journal de Charleroi, qui appartiendra à la famille jusqu’à sa vente à la FGTB, en 1967. La petite histoire raconte que Louis-Xavier reçut le jeune Arthur Rimbaud qui, souhaitant devenir journaliste, avait profité de son passage à Charleroi pour proposer sa collaboration au journal. Après avoir tenu des propos  » déplacés  » sur plusieurs hommes politiques, Rimbaud fut recalé.

A la mort de Louis-Xavier, en 1880, c’est son fils Jules qui reprend la fonction de directeur. Sensibilisé dès son adolescence aux grands problèmes sociaux, Jules Bufquin des Essarts oriente le Journal de Charleroi vers le rationalisme et le libéralisme politique, puis vire au socialisme après les grèves sanglantes de 1886. Ami de Jules Destrée, fondateur du Temple de la science (aujourd’hui le Centre d’action laïque), Jules Bufquin représente le Parti ouvrier belge au Sénat en 1894, avant de se consacrer à sa commune de Mont- sur-Marchienne dont il devient conseiller, échevin, puis bourgmestre faisant fonction. La petite place qui accueille le Musée de la photographie porte d’ailleurs son nom.

Ses articles hostiles à l’invasion allemande de 1914 le poussèrent à l’exil. Il mourut à La Rochelle, laissant la direction du journal à ses fils Marius et Marcel. C’est encore la guerre qui coûta la vie à Jacques, fils de ce dernier et père de Michèle.  » Il n’est pas facile d’être la fille d’un héros de la Résistance, conclut-elle. Dans une telle famille, il faut savoir prendre sa place. J’ai construit mon identité en rejetant ma naissance aristocratique. Mais, aujourd’hui, j’ai fait la paix avec mes origines. Et que je le veuille ou non, puisque je suis enfant unique et que mes enfants portent le nom de leur père, la dynastie Bufquin des Essarts s’éteindra avec moi. « 

E.S.

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