DES ABORIGÈNES À LA RECHERCHE BIOCHIMIQUE

Les grandes civilisations antiques connaissaient les propriétés thérapeutiques des plantes aromatiques. Concurrencées par les médicaments, les huiles essentielles ont sombré dans l’oubli, avant d’être redécouvertes.

Depuis la nuit des temps, l’homme a recours au monde végétal tant pour se soigner que pour vénérer ses dieux. Il y a trente mille ans, les aborigènes australiens pratiquent déjà la fumigation d’arbres à thé. Voilà des millénaires qu’en Chine et en Inde, berceau de la médecine ayurvédique, on utilise des préparations oléo-aromatiques pour les massages et autres soins. Les médecins et prêtres de la civilisation pharaonique connaissent les vertus antibactériennes et antiputrides des huiles essentielles : ils s’en servent pour embaumer les morts.

Les Grecs, qui diffusent les connaissances égyptiennes dans tout le bassin méditerranéen, reconnaissent les effets calmants, toniques et antidépresseurs des essences. Lors d’une épidémie de peste à Athènes, le médecin Hippocrate prescrit des feux de genévrier et de cèdre. Les Evangiles ont eux aussi leurs fragrances : les mages d’Orient ont apporté l’encens et la myrrhe au  » divin enfant  » et Marie-Madeleine a versé un nard de grand prix sur les pieds de Jésus.

Remèdes d’apothicaires

Les Arabes inventent le serpentin, qui perfectionne la réfrigération lors de la distillation. Autour de l’an 1000, Avicenne, médecin et philosophe persan, produit la première huile essentielle pure : un petit flacon de rose.

Dans l’Europe du XVe siècle, les apothicaires se nomment  » aromaterii « . Des religieux concoctent, à l’aide de plantes, l' » eau de mélisse  » ou  » eau des Carmes « , un cordial utilisé notamment contre les migraines (le cardinal de Richelieu portait ce remède sur lui). Pendant des siècles, la sauge, plante digestive par excellence, fait figure de panacée, comme l’indique son nom scientifique, Salvia, du latin salvare, guérir.  » Qui a de la sauge dans son jardin n’a point besoin de médecin « , assure le dicton.

Gravement brûlé

Au début du XXe siècle, les travaux du chimiste français René-Maurice Gattefossé contribuent au renouveau de l’aromathérapie. Gravement brûlé en laboratoire, il plonge ses plaies infectées dans une bassine d’huile essentielle de lavande. Il constate non seulement un soulagement instantané, mais aussi une guérison d’une rapidité déconcertante. Il étudie alors les propriétés médicales des extraits de plantes et, en 1931, publie ses découvertes dans un livre, titré Aromathérapie. Ce néologisme, qu’il a inventé quelques années plus tôt, se décline aujourd’hui dans toutes les langues. Les recherches sur l’efficacité des huiles essentielles restent néanmoins épisodiques et confidentielles, vu la concurrence des antibiotiques et autres produits de synthèse.

Au début des années 1950, le docteur Jean Valnet, chirurgien militaire français au Tonkin, en Indochine, panse les blessures des soldats avec des solutions aromatiques aux propriétés antiseptiques. Par ses écrits, ses conférences et ses observations cliniques, il popularise, dans les années 1960- 1970, la pratique curative par les essences de plantes et codifie leurs propriétés.

Connaître le chémotype

Une nouvelle avancée majeure survient au milieu des années 1970, avec l’introduction, par l’aromatologue français Pierre Franchomme, de la notion de  » chémotype  » (CT). Grâce à la chromatographie, la composition moléculaire des huiles essentielles n’est plus un mystère. On réalise ainsi qu’il y a plusieurs huiles de thym, aux profils biochimiques distincts selon leur biotope. Ainsi, une même plante peut sécréter des essences chimiquement différentes en fonction de l’ensoleillement, de la composition du sol, de l’altitude, du climat ou des végétaux voisins.

La connaissance du chémotype ou  » race chimique  » de l’huile essentielle contribue à identifier ses principes actifs. Savoir avec précision ce que ces substances contiennent permet de réduire leurs effets secondaires et les risques de toxicité. Plus précise et ciblée que la thérapie empirique par les plantes, l’aromathérapie scientifique est lancée. Mais la matière est complexe, car les huiles essentielles contiennent chacune des centaines de composants chimiques actifs.

PAR OLIVIER ROGEAU

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