Dégivrage belge pour conflits gelés

La Belgique, qui préside pour un an une OSCE tétanisée par le bras de fer russo-occidental, a présenté ses priorités. Elle veut trouver des solutions aux conflits oubliés de Transnistrie, d’Ossétie du Sud et du Nagorny-Karabakh. Réaliste ?

U n  » machin  » de plus ? L’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), présidée en 2006 par la Belgique, est souvent la cible des mêmes critiques que celles formulées envers sa grande s£ur, l’ONU : manque de transparence et d’efficacité de ses institutions, bureaucratie pesante, règle du consensus paralysante… Comme aux Nations unies, il est question de réformes à l’OSCE. Et, comme à l’ONU, un  » panel de personnalités éminentes  » a été chargé, l’an dernier, d’y £uvrer sur des recommandations en vue de changements institutionnels.  » L’organisation tarde à s’adapter à l’évolution de l’Europe et du monde, reconnaît notre ministre des Affaires étrangères Karel De Gucht. Il nous faut poursuivre le processus de réforme, actualiser les missions de l’OSCE et tenter d’améliorer les relations entre Russes et Occidentaux.  » La présidence belge s’est ainsi engagée, à la demande de Moscou, à encourager le développement des transports, en particulier pour désenclaver les pays d’Asie centrale.

Mal connue du grand public, l’OSCE, dont le siège principal se trouve à Vienne, est la plus grande organisation internationale vouée à la sécurité. D’abord simple conférence permanente née en 1975 de la  » détente  » Est-Ouest, elle a été pendant longtemps la seule enceinte où coopéraient Américains et Soviétiques. Transformée en organisation après la chute du mur de Berlin, elle joue dès lors un rôle dans la gestion des bouleversements que traverse l’Europe et dans l’assistance aux nouvelles démocraties et aux nouveaux Etats indépendants de l’Europe de l’Est, du Caucase et de l’Asie postsoviétique. Le club compte, aujourd’hui, 55 membres,  » de Vancouver à Vladivostok « . Ses objectifs : prévenir les conflits, tenter des médiations dans des régions hésitant entre guerre et paix, ou encore lutter contre les discriminations et la traite des êtres humains. Mais elle s’est surtout fait connaître en menant des missions de surveillance des élections dans des démocraties dites  » en transition « , des Balkans à l’Asie centrale.

Depuis plus de deux ans, ce dernier mandat provoque des poussées de fièvre au sein de l’organisation.  » La Russie, qui soutient à ses frontières des régimes corrompus facilement contrôlables, accuse les Occidentaux d’utiliser les missions de monitoring électoral pour élargir leur zone d’influence en ex-URSS, constate un diplomate européen. C’est le début d’une nouvelle forme de guerre froide.  » Moscou et ses alliés de la Communauté d’Etats indépendants (CEI) ne ratent aucune occasion de relever que toutes les missions de l’OSCE sont déployées à l’est de Vienne. Aucun  » conflit gelé  » à l’Ouest ne retient l’attention de l’organisation, déplore Moscou. Ni le Pays basque, ni Gibraltar… L’OSCE est aussi accusée d’appliquer des  » doubles standards «  en matière de droits de l’homme : elle serait plus exigeante à l’égard des pays postcommunistes qu’envers les  » vieilles démocraties « , où la situation ne serait pas sans reproches.

La crise couve depuis la  » révolution des roses  » de novembre 2003, en Géorgie, et la  » vague orange  » de novembre 2004, en Ukraine. Ces deux pays comptent à présent parmi les plus fervents alliés de Washington et ne cachent pas leur volonté de rejoindre l’Otan et l’Union européenne. Une émancipation inacceptable pour Vladimir Poutine, qui reproche à l’OSCE son rôle indirect dans le renversement des régimes autoritaires en place. Ainsi, lors du deuxième tour de la présidentielle ukrainienne, à l’issue duquel le candidat  » prorusse  » avait été déclaré vainqueur, les observateurs de l’organisation avaient relevé des fraudes massives. Ce qui a sans doute précipité les choses… En mars 2005, Sergueï Lavrov, chef de la diplomatie russe, enfonçait le clou : selon lui, au Kirghizstan, les manifestants résolus à faire tomber le régime Akaiev  » se sont appuyés sur l’opinion de l’OSCE « , qui venait de publier un rapport sur le déroulement des législatives. Incriminé, le Bureau international de la démocratisation et des droits de l’homme (BIDDH) de l’organisation, basé à Varsovie, est défendu bec et ongles par l’Union européenne et par Washington, pour qui il constitue  » la référence mondiale en matière d’observation électorale « .

Les bases russes

Second point d’abcès entre Russes et Occidentaux : la promesse faite par Moscou, en 1999, lors du sommet de l’OSCE à Istanbul, de retirer ses troupes de Moldavie et de Géorgie, deux pays en proie à des mouvements irrédentistes prorusses. Le 30 mai 2005, Tbilissi est parvenu à arracher à Moscou un accord sur la fermeture des bases russes d’ici à 2008. Mais, lors du dernier sommet de l’OSCE, en décembre, les Etats-Unis et l’Europe ont souhaité que la  » déclaration finale  » mentionne les  » engagements d’Istanbul « . Exigence rejetée par la Russie, qui n’avait pas attendu ce rendez-vous pour perturber le fonctionnement de l’organisation : budget gelé en 2005, volonté de réviser à la baisse la contribution russe, appel à une réforme de fond afin de tirer l’OSCE vers de nouvelles missions, comme la lutte contre le terrorisme…

Ni Tchétchénie ni Kosovo

C’est dans ce climat tendu que la Belgique entame sa présidence. De Gucht a manifesté sa volonté de sortir du frigo des conflits non résolus. Pas question d’évoquer le sort de la Tchétchénie, chasse gardée de Moscou, assimilée à un front du terrorisme islamiste mondial. L’OSCE, seule organisation internationale présente dans la république caucasienne depuis 1995, a d’ailleurs plié bagage en 2003, le Kremlin ayant privé la mission de son mandat  » politique « . Pas d’accord non plus au sein de l’OSCE sur le Kosovo, dont le statut final doit être déterminé cette année. La Serbie-Monténégro est, en effet, membre de l’organisation paneuropéenne, à la différence de sa province albanophone, sous tutelle de l’ONU depuis 1999. Un texte adopté à l’OSCE risquerait dès lors d’aller dans le sens du statu quo, alors que les Kosovars rêvent plus que jamais d’indépendance. La mission des Nations unies au Kosovo s’achève à la fin de l’année. L’Union européenne et l’OSCE seront alors appelées à prendre la relève.

Restent les  » conflits gelés  » de Transnistrie, d’Ossétie du Sud et du Nagorny-Karabakh (voir encadrés). Mais, là encore, les diplomates belges sont conscients que rien ne pourra se faire qui porte ombrage à la Russie…

l TRANSNISTRIE Aucun pays n’a reconnu cette république autoproclamée de 800 000 habitants, née en 1990 dans le chaos qui a accompa-gné l’effondrement de l’empire soviétique. Pas même la Russie, qui y maintient une  » force de paix  » depuis le bref conflit qui a opposé, en 1992, le micro-Etat sécessionniste à la Moldavie (plus d’un millier de victimes). Moscou s’est engagé auprès de l’OSCE à évacuer ses troupes, mais leur départ est sans cesse repoussé. Sous la pression de l’organisation, le président moldave et son homologue transnistrien ont entrepris des négociations de paix en vue d’instaurer un Etat fédéral. Sans parvenir à un accord. En juillet dernier, les autorités de Tiraspol,  » capitale  » de l’entité à majorité russophone, ont fermé des établissements d’enseignement en roumain. Une décision qui a provoqué la rupture des négociations et une crise des relations russo-moldaves. La présidence belge de l’OSCE a donc peu d’espoir de faire progresser le dossier. Gangrenée par les groupes mafieux russes et ukrainiens,

la Transnistrie est devenue

un paradis des trafics illicites : armes, drogues, tabac, alcool, pétrole, prostitution, blanchiment d’argent…

Un  » trou noir  » qui se retrouvera aux portes de l’Union européenne après l’adhésion de la Roumanie, prévue l’an prochain.

l NAGORNY-KARABAKH L’Arménie a pris le contrôle de cette enclave arménienne d’Azerbaïdjan à l’issue d’une guerre qui a fait 20 000 morts entre 1988 et 1994. Depuis lors, le cessez-le-feu est respecté, mais le Nagorny-Karabakh (140 000 habitants) subit un blocus économique et ses maigres ressources sont grevées par l’entretien d’une armée indépendantiste. Pour Bakou, le règlement du conflit passe par la restauration de sa souveraineté sur le territoire. Néanmoins, depuis 2005, on relève une volonté, de part et d’autre, de trouver une solution. Les présidents arménien et azerbaïdjanais doivent se revoir du 9 au 11 février prochain. Le processus de paix est animé par le  » groupe de Minsk  » (Etats-Unis, Russie, France), soutenu sur le terrain par la mission de l’OSCE. C’est sans doute le seul  » conflit gelé  » pour lequel Karel

De Gucht nourrit un réel espoir d’obtenir une percée diplomatique.

l OSSÉTIE DU SUD Les combats meurtriers qui ont opposé Géorgiens et Sud-Ossètes depuis 1992 ont cessé après l’intervention d’un contingent de paix russe. Elu en 2004 président de la Géorgie, Mikhaïl Saakachvili a promis de rétablir l’autorité de Tbilissi sur les régions séparatistes d’Ossétie du Sud et d’Abkhasie. Mais Moscou préfère garder le statu quo et laisser ainsi le pouvoir géorgien, allié de l’Otan, dans l’embarras. Il est douteux que l’accord russo-géorgien sur le retrait des bases militaires russes suffise à résoudre le conflit. Les autorités géorgiennes ont proposé une large autonomie, mais la tension reste vive en Ossétie du Sud depuis les affrontements de l’été 2004. L’OSCE multiplie les tentatives de conciliation et évalue les besoins économiques de la région. En cas d’accord politique, la présidence belge pourrait convoquer une conférence des donateurs.

Olivier Rogeau

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