Dans le silence

Guy Gilsoul Journaliste

Après Paris, Helsinki et Nagasaki, l’artiste espagnol José-María Sicilia fait escale à Bruxelles. Avec lui, l’art renoue avec la mystique.

En 1975, Franco meurt. Pour tous les jeunes qui ont 20 ans à ce moment, comme José María Sicilia, c’est une délivrance. L’image de l’austère Escurial qui fut, durant toute son enfance, comme l’évidence d’une autorité construite sur la complicité de l’armée et de l’Eglise, doit disparaître. Alors, pour le dire, il sera artiste. Le voilà aux Beaux-Arts de Madrid. Comme beaucoup d’autres peintres de ce temps, l’immense soif de liberté se déclinera sur fond de matière épaisse et vivante comme l’avait montré, plus tôt, l’£uvre du résistant Anton Tapies. Mais très vite se pose une autre question, liée à la substance même de la culture espagnole elle-même sédimentée par une double approche spirituelle, chrétienne d’une part, arabe d’autre part.

Alors, il prend le temps. D’entrer dans une église romane où la pierre vibre, solide et confiante aux éblouissements des lumières et aux mystères de coins sombres. D’observer les vitraux, leur géométrie sacrée et le rôle de leurs couleurs dans le vide et surtout sur le sol même où les pas se posent. Il entre aussi dans les mosquées, parcourt les jardins, écoute l’eau des fontaines et le chant des oiseaux. Il prend enfin le temps de lire. Beaucoup. Les textes des mystiques du Moyen Âge, qu’ils soient d’Occident ou d’Orient, lui confirment ses intuitions spiritualistes. Alors, il étend les bras et parcourt le bassin méditerranéen, pousse jusqu’en Inde, rejoint les territoires Ouzbèkes, les déserts, les mers puis revient. Rassuré. Dès 1985, son £uvre exalte moins la musculature de la matière qu’elle ne s’enfonce en elle, lentement pour y chercher une lumière particulière comme celle qu’offre la flamme d’une chandelle où, écrivait le poète Novalis,  » toutes les forces de la nature sont actives « . Usant alors de la cire d’abeille, il avait véritablement coagulé la lumière. Riche de teintes dorées, elle se maintenait en suspension comme sur la peau et le rouge des tableaux de Georges De La Tour.

Oui, cette plongée toujours en cours relève du romantisme mais plus encore d’une approche mystique du monde. Or, au fond du puits, rappelle-t-il, n’est-ce pas le ciel que l’on découvre ? D’où, plus récemment, sa fascination pour l’image des constellations dont il reproduit, dans deux £uvres (galerie Meessen Declercq) réalisées sur des tapis anciens, la géométrie exacte. Mais, ici, il préfère la multiplication de points blancs ou de fragments lumineux qui s’éparpillent, palpitent et tremblent, comme dans cette £uvre monumentale (près de dix mètres) posée à même le sol du musée Erasme. Dissolution ou apparition ? Dans de grands dessins, il a recueilli des plantes médicinales et les a déposées sur différentes couches de papier à leur tour couvertes par une ultime pellicule translucide. Elles dessinent des lettres et puis des mots, et une phrase qui se lit en deux temps que leur proximité ou leur éloignement dans l’£uvre suggère :  » Proche d’aucun lieu. Avant qu’on heurte le sol.  » On songe aux adages d’Erasme. Ailleurs, sur les vitres du musée ou sur le mur blanc de la galerie, Sicilia évoque le chant des oiseaux. Mais ils sont absents. Pas de corps, pas de plumes, pas de bec mais seulement des graphes (en fait des sonogrammes) posés sur d’autres géométries qui font le lien entre celles des tapis d’Orient et des vitraux d’Occident. Et ces signes, peu à peu, s’amplifient comme l’écho d’une voix venue du haut du minaret, du ch£ur de l’église ou du silence intérieur retrouvé.

Galerie Meessen Declercq, 2a rue de l’Abbaye, à Bruxelles. Jusqu’au 17 juillet, du mardi au samedi de 11 à 18 heures. www.meessendeclercq.com

Musée Erasme, 31 rue du Chapitre, à Anderlecht. Jusqu’au 14 septembre, tous les jours, sauf le lundi, de 10 à 17 heures. www.erasmushouse.museum

GUY GILSOUL

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