DALLAS CONTRE DYNASTY

Ne perdons pas notre temps à comptabiliser les slogans à l’emporte-pièce, les invectives, les insultes, les propos xénophobes, les rodomontades et les calembours douteux dont Donald Trump inonde sa campagne pour les primaires républicaines à l’élection présidentielle américaine. On retiendra une seule saillie, qui résume tout :  » Je pourrais me poster au milieu de la 5e Avenue et tirer sur quelqu’un, je ne perdrais pas d’électeurs.  » En l’occurrence, ce n’est peut-être pas faux. Le milliardaire a choisi la stratégie du défoulement verbal extrême, qui, jusqu’ici, lui a largement profité. Ce faisant, il reprend avec une arrogance imperturbable l’un des pires travers de la vie politique aux Etats-Unis, maintes fois exploité par le passé (notamment par George Wallace, en 1968, contre Nixon).

Au pays inventeur du  » politically correct « , où un mot de trop peut vous valoir un procès assassin, Donald Trump dispose à l’avance d’une tribune grande ouverte. Le  » politiquement incorrect  » lui offre une rente, apparemment appréciée par l’électorat des classes moyennes, lassées du sentiment que les élites politiques et leur jargon ignorent superbement leurs difficultés quotidiennes. Et on aurait tort de voir derrière les supporteurs de Trump la société des Blancs déclassés, affolée par la montée ininterrompue du péril islamiste et par la concurrence asiatique ; en effet, beaucoup de Noirs trouvent aussi leur compte dans ce discours, qui repose essentiellement sur une idée convergente :  » Nous sommes des gagnants, pas des perdants.  » Trump représente un langage, pas un programme ; il incarne une réaction, pas une action : c’est ce qui le fait avancer, au terme du double mandat de Barack Obama, précisément caractérisé par une rhétorique très étudiée et une série d’inflexions – en matière de libéralisme économique (régulation financière, assurance maladie…), de politique étrangère (Iran, Cuba…), d’engagements militaires extérieurs (retrait d’Irak et partiellement d’Afghanistan, refus de s’impliquer davantage en Syrie…). Les odieuses incises et les provocations éhontées de Trump s’inscrivent dans les creux du bilan d’Obama et visent à provoquer la classe dominante, les intellectuels new-yorkais, les vedettes de Hollywood, tout en préservant les milieux d’argent, parés des vertus de la libre entreprise. L’audience que rencontre ce surcroît d’outrances renvoie à une Amérique taraudée par la mondialisation, qu’elle ne maîtrise plus du tout, et par la pluralité ethnique, notamment l’identité musulmane, qui heurte de front les principes fondateurs des Etats-Unis (In God we trust).

A maints égards, l’indécence du milliardaire aux airs de  » JR  » – dont le succès final en tant que candidat des républicains passe encore par un certain nombre d’épreuves – est un indice de l’appauvrissement économique du pays. De son appauvrissement politique également. Car les challengers de Donald Trump présentent des pedigrees qu’il lui est facile de vilipender : ils démontrent la persistance navrante du phénomène dynastique au sommet du pouvoir. Chez les républicains, Jeb Bush, deuxième fils de George H. W. Bush et frère du prédécesseur d’Obama, George W. Bush, est si peu efficace dans le bas de gamme, malgré de louables efforts télévisés d’un niveau remarquablement consternant, qu’il tend le micro à Trump et s’effondre dans les sondages. Parmi les démocrates, la figure hégémonique de Hillary Clinton présente toutes les caractéristiques de l’establishment, tant critiqué : elle devra assumer l’action d’Obama, dont elle fut partie prenante, et s’en distancier. Certes, elle sait faire… Restent les nouveaux profils, massés du côté républicain, susceptibles d’incarner une Amérique qui continue d’avancer. A condition de ne pas en attendre un renouveau conceptuel. A ce titre, Marco Rubio, d’origine cubaine, sénateur de Floride, fils de femme de ménage, retient l’intérêt. Mais c’est un  » jeune vieux « . L’autre visage, celui de Ted Cruz, également d’origine hispanique, sénateur du Texas, est celui d’un populiste talentueux, passé par Princeton et Harvard. Mais c’est un  » ultra « . Ce sera le meilleur argument des démocrates : l’Amérique de 2016 cherche encore sa droite.

par Christian Makarian

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