Crépuscule irlandais

Un homme attend la mort et pleure l’amour qu’il a sacrifié. Une messe noire intimiste dite par Robert McLiam Wilson

I l a une plume de desperado, Robert McLiam Wilson. Ses romans ont le goût amer de la détresse, comme l’Irlande dévastée qui les inspire. En les lisant, on constate que cette terre mouillée de bruine cache bien des noirceurs : le fond de l’Eire effraie. C’est avec cette réalité-là que McLiam Wilson, né en 1964 dans les quartiers déshérités de Belfast, compose une £uvre qui doit autant à Dickens qu’à Beckett. Ripley Bogle, son premier roman, mettait en scène un Candide clochardisé qui poussait sa galère entre l’Irlande de la guerre civile et l’Angleterre des homeless. Puis vint, sur des airs de carmagnole bouffonne, Eureka Street, peinture à l’acide du Belfast des années de sang, lorsque la misère et le terrorisme aveugle transformèrent la ville en une  » gigantesque décharge publique « . La Douleur de Manfred est un roman sec, plus intimiste, désossé à l’extrême. C’est aussi une symphonie des adieux particulièrement intense où, avant de sombrer, un couple dévide la bande-son d’une histoire déchirée et déchirante. Manfred, le héros, est malade. Il attend la mort. Avec une certaine jubilation, comme s’il allait enfin pouvoir connaître l’apaisement. Il y a vingt ans, il a quitté Emma, son épouse, son seul amour, mais il continue à la voir. Une fois par mois, sur le banc d’un square londonien. Il lui parle, mais, comme Orphée avec son Eurydice, il n’a pas le droit de la regarder dans les yeux. Parfois, elle lui serre la main, puis elle disparaît.

Etrange rendez-vous que celui-ci, où deux ombres jouent une fin de partie beckettienne avant que McLiam Wilson n’aille fouiller dans le passé de ce couple brisé. Un passé où rôdent de sinistres fantômes, ceux de la guerre et des camps de la mort. Et puis, il y avait aussi cette violence sourde, incontrôlée, démente, qui s’emparait jadis de Manfred lorsqu’il se mettait à cogner Emma comme une brute, à coups de poingà Pourquoi ? C’est ce que raconte ce roman de la douleur et de la fureur, dont chaque page ressemble à une messe noire, à un exorcisme pathétique. Sous le regard d’un familier des Enfers, qui chasse sur les terres les plus sombres de la condition humaine.

La Douleur de Manfred, par Robert McLiam Wilson. Trad. de l’anglais par Brice Matthieussent. Christian Bourgois, 265 p.

André Clavel

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