Coup de ciseaux, coup de sang

C’est l’histoire d’une censure qui n’en était pas une. Et d’une récupération politique très réelle

Censure à la RTBF ! Le 13 février, l’accusation avait claqué comme un coup de clairon sonnant la charge. Le MR, président Reynders en tête, dénonçait aussitôt le scandale. Le conseil d’administration de la RTBF mettait le point à l’ordre du jour pour le 17. Le chef de groupe MR à la Communauté française annonçait une interpellation, le CDH réclamait toute la lumière… Mais la tempête ne se déchaînait que dans un verre d’eau. Point de  » censure  » là derrière, mais une vraie nervosité, révélatrice d’un climat de suspicions croisées entre hiérarchie, journalistes et monde politique.

Programmé en novembre 2005, reporté à décembre et finalement diffusé la semaine dernière dans le cadre de Question à la Une, le magazine consacré au  » plan Marshall  » pour la Wallonie n’avait rien de complaisant pour la majorité wallonne PS-CDH. Le personnage parodique de Super Wallon y faisait ses singeries, les plans antérieurs étaient énumérés comme autant de papiers inutiles, et le sénateur MR Alain Destexhe remuait le fer dans la plaie. A la RTBF, le directeur de l’information et de l’éthique, Yves Thiran, demande à voir l’émission. C’est son boulot et il n’ignore pas que l’administrateur général, Jean-Paul Philippot, a la même intention. Chacun visionnera le travail de son côté. Thiran estime notamment qu’un bout d’interview de Destexhe tombe comme un cheveu dans la soupe et que sa charge contre le gouvernement wallon devrait respecter la bonne vieille règle journalistique du droit de réplique. Or aucun autre élu ne s’exprime dans le reportage. Les journalistes responsables de Question à la Une – Marlet, Defossé, Bouvier – sont d’accord avec Thiran. Quant à Philippot, le moins qu’on puisse écrire est qu’il n’adore pas le travail. Parce que ses amis socialistes y sont secoués ? Dans une maison dont le patron et la majorité des administrateurs sont PS, le soupçon n’a rien de farfelu. Il n’en faudra pas davantage pour alimenter les débats.

A la RTBF, cinq petites modifications sont apportées au reportage, dont certaines de pur style, comme cela se fait couramment dans toutes les rédactions du monde. Mais la disparition d’une intervention de Destexhe va mettre le feu aux poudres. Prévenu par une âme certainement bien intentionnée, le MR lâche publiquement le gros mot qui fâche :  » censure « . Et la machine s’emballe. Avec une bonne question quand même : pourquoi l’administrateur général s’occupe-t-il du contenu d’une émission ?  » Parce qu’il est aussi éditeur responsable « , répond Yves Thiran, qui, lui, a l’autorité finale sur le contenu. Comment concilier ces deux rôles ?  » Par le dialogue, poursuit-il. Et ici, il y avait similitudes de vues.  »

Le conseil d’administration entendra les responsables de la RTBF et du magazine, mais, curieusement, pas le journaliste auteur du reportage. Tous ses membres (PS, CDH mais aussi MR), le diront dans un communiqué : rien d’anormal à signaler. La société des journalistes (SDJ) s’était montrée à peine moins rassurée.  » L’incident est clos et nous reconnaissons à Jean-Paul Philippot le droit de visionner un reportage, explique Alain Vaessen, président de la SDJ. Mais pas celui de lisser un travail pour le rendre politiquement correct. Si Yves Thiran avait été seul à prendre les décisions, elles auraient été mieux acceptées.  » Ce qui amène l’administratrice Ecolo Bernadette Wynants à penser que,  » dès l’instant où des responsables de rédaction se saisissent d’un problème, l’administrateur général devrait les laisser faire…  » Cela aurait peut-être épargné à quelques-uns d’inutiles accès de fièvre.

Jean-François Dumont

Jean-François Dumont

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