Couleur fiesta

Philippe Cornet Journaliste musique

Pour sa quinzième édition, le week-end du 25 juin, Couleur Café ne déroge pas à sa règle festive, rendant particulièrement hommage au reggae, au ragga et à la salsa

Couleur Café, à Tour & Taxis, à Bruxelles, les 25, 26 et 27 juin. Site aménagé pour personnes à mobilité réduite. Infos sur www.couleurcafe.be. Le festival propose également une exposition sur le thème du voyage (photos, peintures, librairie, salon de thé), des ateliers créatifs, des cours de danse, un défilé de mode, un grand marché et la compilation Couleur Café1990-2004 avec, entre autres, Sergent Garcia, Cesaria Evora, Youssou N’Dour, Salif Keita, Starflam et Zuco 103 (BMG).

Vendredi reggae

Cette première journée à Tour & Taxis, à Bruxelles, résume parfaitement la politique de Couleur Café : attirer le public (pré)ado avec un appât calibré (Tryo) et miser sur l’intérêt des adultes via une musique û légèrement û connotée socialement (le reggae avec Luciano et Beenie Man). Si le Grain de sable des Français de Tryo triomphe dans les cours de lycée, il le doit sans doute à ses hymnes  » teenage  » qui lézardent au bord de la douce glandouille orchestrée en mélodies sucrées. Un air de palmier, ce n’est pas trop désagréable en cette période. Les amateurs d’un peu plus de consistance auront deux ténors caraïbes au programme : Beenie Man et Luciano. Ce dernier, déjà annoncé en 2001 (mais qui avait fait faux-bond) jure d’être présent pour présenter son  » modern roots « , soit l’héritage de gens comme Dennis Brown, aux confins du mysticisme rasta et du chaloupé vibratoire. Plus actuel, le MC Beenie Man est devenu à la mode avec son mix tropical d’ingrédients divers (ryhthm’n’blues û dites maintenant r & b ! û, rap, latin-sound, etc.) qui élargit la couleur naturelle du reggae. Une formule crossover qui a séduit la fine fleur black des artistes américains comme Lil’Kim ou Wyclef Jean.

Autres connexions de ce vendredi d’ouverture : celles qui unissent la Belgique à l’Afrique noire. D’abord avec le Guinéen Mamady Keïta û souvent présenté comme l’un des plus grands  » djembefola  » de notre époque. Après seize années de Belgique, Keïta part s’installer en Californie, prouvant que le mythe afro-américain a la peau dure et que le développement international des écoles de percussion de Mamady se porte bien. Si le disque reste un média difficile pour un style aussi visuel que celui de ce prestidigitateur africain û il semble avoir au moins trois ou quatre mains û, la scène demeure son domaine de prédilection : pour cette tournée  » Master of Percussion « , Mamady embarque quatre autres maîtres du rythme en plus de ses six percussionnistes et de ses deux danseuses habituels. Show devant !

Le deuxième vecteur afro-belge se nomme Manou Gallo et s’est fait connaître en jouant de la basse au sein des Zap Mama : cette jeune Ivoirienne a sorti à l’automne un premier album solo, Dida, qui explore les liaisons du funk et du r & b avec les sonorités de l’Afrique de l’Ouest. En concert, Manou consacre une belle énergie à défendre sa musique. A Couleur Café, elle précédera une autre révélation, l’Algérienne Souad Massi, qui, en scène, met plutôt le turbo dans son folk sensible. Histoire de ne pas oublier la vocation éclectique et dansante du festival, Couleur Café consacre chaque jour une scène à l’electro-world : le vendredi, on peut y voir Skeemz (Belgique), Wunmi (Nigeria) et les Anglais de Future World Funk ; le samedi, Omar Perry (fils de Lee), Ashanti 3000 et Dread Zone Sound System. La clôture electro du dimanche se fait avec notre Buscemi national après trois autres attractions, dont l’Electric Gypsyland qui mélange les beats aux Balkans, les platines à quelques musiciens  » en chair  » du Taraf de Haïdouks.

Samedi latino

Ce deuxième jour est à placer sous le signe de la salsa et de ses atours afro-latinos : Jose Alberto El Canario (République dominicaine), Africando (Sénégal) et Raul Paz (Cuba/France) constituent la preuve par trois de la vitalité d’un genre trop souvent classé comme figure stylistique connue et rebattue. Cubain exilé en France dans les années 1990, Raul Paz est certainement l’une des cartes maîtresses dans l’actuel renouveau des musiques latines. Avec sa tête de Victor Jara jeune, Paz expérimente, détourne et personnifie les rythmes de son île en les confrontant à un univers électronique européen, comme celui du duo Strictly Rythm, par ailleurs responsable du remix de Sex Bomb pour Tom Jones. Dans cette aventure esthétique, Paz glisse aussi ses propres reprises malicieuses, comme le classique de Gainsbourg… Couleur café.

S’il vous reste un peu de transpiration, elle pourra servir pour Trio Mocoto, vétérans brésiliens de retour des années 1970-1980 ou Roy Paci & Aretuska, des Siciliens qui font flamber le ska aux poussées de fanfare. Ce dernier genre qui consiste à faire rougir les cuivres est par ailleurs pratiqué par trois autres passants du samedi, Ceux qui marchent debout, Babylon Circus (France) et les Béninois du Gangbe Brass Band. Des deux premiers, les Africains se distinguent par une démarche fortement post-coloniale, puisqu’ils détournent les fanfares du  » bon vieux temps  » en les fusillant de rythmes traditionnels béninois ! Entre  » coup de torchon  » et coup de vaudou, le Gangbe Brass Band réussit le coup de bambou.

Quoi qu’il en soit de tous ces mélanges pré ou néo-modernes, la frange ado de Couleur Café va s’offrir sa fièvre personnelle du samedi soir avec sa chouchoute, Diam’s bien évidemment. La Franco-Chypriote sortie des cités de l’ennui de la France  » d’en bas  » ne cesse de faire  » kiffer la vibe  » sur un hip-hop citronné et jouissif. Le triomphe du festival ?

Dimanche, ça plane

Quinze groupes û au lieu de douze les jours précédents û, répartis sur quatre scènes : le dimanche s’annonce chargé. Avant la clôture du festival assumée par Michael Franti & Spear- head (rejoints par Marie  » Zap  » Daulne ?), la grande scène va connaître deux autres moments forts. Capleton, jeune zazou jamaïquain adepte d’un dance-hall acrobatique, précédé de Desert Blues, projet malien qui rassemble l’ensemble Tartit, le griot Habib Koité et Afel Bocoum, compagnon de route d’Ali Farka Touré. Ceux qui n’apprécient pas le vague à l’âme hypnotique des Maliens auront tout le loisir de se rendre sous la tente ( Mousta Largo et Amp Fiddler, entre autres) ou de gagner le second podium occupé, dans l’ordre, par Fabulous Trobadors, Starflam, Witloof & Coconut et Toots & The Maytals. Soit une cascade de tumultes variés : les deux premiers font dans la tchatche, les deux autres dans le swing, les quatre passent bien dans le poste ! Sous Witloof & Coconut, titre de son dernier disque, se cache à peine Roland van Campenhout, le plus célèbre bluesman à l’est de l’Yser ! Ex-compagnon de tournée de Rory Gallagher, ex-partenaire d’Arno dans Charles & Les Lulus, le sexagénaire Roland a sorti l’album en question il y a peu, et devrait rameuter  » des Flamands, des Wallons, des Arabes, des Congolais, des Belges quoi « , dixit Arno ! Ce dernier, en partenariat avec le producteur Rudy Coclet, a tout récemment réenregistré avec Roland une version de Ça plane pour moi que nous n’avons pas encore eu l’honneur d’entendre mais qu’on présume  » historique « … Ce qualificatif va comme un gant à Toots û accompagné de ses Maytals û qui a traversé quatre décennies de reggae, ce qui, en Jamaïque, lui donne un air de survivant si l’on songe un instant à la liste des disparus de mort naturelle ou zigouillés (de Marley à Peter Tosh). Auteur de classiques dévissés tels que Funky Kingston ou le grandiose Pressure Drop (repris par Clash), Toots revient dans l’actualité via un beau disque de reggae partagé avec un casting prestigieux (Clapton, Ryan Adams, etc.), dont on peut, hélas, présumer qu’il sera absent de Couleur Café. A moins que…

Philippe Cornet

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