Confession d’un cycliste propre

Jamais il n’a craqué. Un professionnel français raconte son… calvaire

Il a 26 ans. Professionnel dans une équipe cycliste française depuis l’an dernier, il refuse de se doper et doit se taire pour continuer à pédaler. La mort du champion italien Marco Pantani l’a décidé à sortir de son silence. Sous le sceau de l’anonymat.

 » Je fais du vélo depuis l’âge de 14 ans et j’ai toujours rêvé de devenir professionnel. En amateur, je gagnais des courses sans rien prendre d’autre que les vitamines prescrites par mon médecin de famille. Après l’affaire Festina, je pensais qu’il était possible de rouler à l’eau claire même chez les pros. Au bout d’un an, j’ai compris : c’est possible, mais à quoi bon ?

Dès les premiers stages, début 2003, j’ai découvert que certains coureurs fermaient le frigo de leur chambre avec un cadenas. J’ai appris plus tard qu’un de mes équipiers y planquait des seringues d’hormones de croissance au fond d’une coupelle remplie de fruits et tapissée de papier journal. J’ai souvent eu la tentation de jeter un £il dans la trousse de toilette de mon camarade de chambre. Le soir, devant moi, il prenait une ô fléchette  » et partait se piquer dans les toilettes. Tout cela semblait terriblement naturel. Je ne lui ai jamais posé de questions, car, dans ce milieu, c’est moi qui suis anormal.

Lors d’une course par étapes, au printemps 2003, en Espagne, j’ai définitivement compris qu’il était impossible de briller chez les pros sans être dopé. Comme d’habitude, je n’ai rien pris, même pas des vitamines. Et j’ai terminé détruit. En mille morceaux. explosé dans tous les cols. J’ai couru la dernière étape à 128 pulsations cardiaques de moyenne, la bouche grande ouverte, dans le rouge dès le premier kilomètre. J’ai mis trois semaines à m’en remettre. Pour la première fois de ma vie, j’ai eu la tentation de me doper, car participer à une telle épreuve sans rien prendre peut également être assimilé à une tentative de suicide. Très vite, ma copine a eu peur. Elle me voyait rentrer démoli après chaque course. Elle pensait qu’un jour ou l’autre j’allais craquer. J’ai failli. J’ai pensé me charger pendant deux mois, tranquillement, sans attirer l’attention. Juste pour me remettre en selle. Sans tomber dans l’engrenage. Même mes parents m’ont conseillé d’essayer des produits ! C’est la peur qui m’a sauvé. La peur de mourir. Comme Pantani. Comme Jimenez. Comme tous les autres.

Depuis que je cours chez les pros, on ne m’a jamais proposé de produits. Ni mon directeur sportif, ni les soigneurs, ni mes équipiers. Je peux rouler à l’eau claire, cela ne gêne personne, à condition que je ne le crie pas sur les toits. Je sais que je ne gagnerai jamais de grandes courses, mais je peux rendre quelques services à mes leaders. Cet hiver, j’ai signé un contrat de deux ans avec une nouvelle équipe. Aurai-je la force de résister ? Le dopage n’est pas une fatalité, mais c’est la seule façon d’obtenir des résultats dans les épreuves de renom. Je crois que j’ai suffisamment d’amour-propre pour tenir et rester clean. Je crois… Pas ma copine. Elle ne supportait plus de me voir évoluer dans ce monde d’hypocrites. Elle vient de me quitter.  »

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