Communales et vie commune : le mariage discriminé ?

Michel Delwiche
Michel Delwiche Journaliste

Pas de place dans les conseils communaux (et provinciaux) pour deux époux ou deux cohabitants légaux. C’est la loi… qui ne s’applique pas aux autres couples. L’opposition MR et le CDH crient à l’injustice.

Les incompatibilités, il connaît. Le Tournaisien Paul-Olivier Delannois (PS) a en effet dû démissionner de son poste de directeur du home Delcroix dépendant du CPAS lorsqu’il est devenu conseiller communal de Tournai après les élections de 2006. Et il n’a pas pu devenir échevin à ce moment-là parce qu’il était député wallon et que les statuts de la Fédération socialiste de la Wallonie picarde interdisaient le cumul entre les mandats de parlementaire et de bourgmestre ou échevin dans les villes de plus de 50 000 habitants (disposition aujourd’hui annulée au profit de Rudy Demotte).

Malgré un fort joli score, il n’a pas été réélu député wallon en 2009. Après quelques mois de flottement, il a bénéficié en 2010 d’une défection au sein du collège pour être nommé premier échevin… mais il a dû aussitôt quitter la présidence de l’Union socialiste communale de Tournai (vite reprise par Rudy Demotte, pourtant bourgmestre empêché de la commune de Flobecq). A l’hôtel de ville de Tournai, dans l’ancien palais de l’abbaye Saint-Martin, Paul-Olivier Delannois a retrouvé l’ancienne journaliste sportive Ludivine Dedonder, une ex du cabinet de Michel Daerden, échevine des Affaires sociales. Ils s’étaient connus lors d’une campagne électorale, celle des communales de 2006, et depuis, ils partagent bien plus que leurs austères réunions communales puisqu’ils font vie commune et ont un enfant. Leur liaison n’a rien d’officiel, ce qui leur permet d’échapper au décret wallon qui interdit à deux personnes mariées ou unies par un contrat de cohabitation légale de siéger ensemble au conseil communal. A fortiori au collège.

 » J’ai l’honneur de ne pas… « 

Alors, si vous demandez à Paul-Olivier Delannois, échaudé par l’application systématique à son égard de règlements que d’autres ont pu contourner, s’il compte se marier…  » Non, répond-il franchement, mais ce n’est pas nécessairement pour cette raison. J’ai 45 ans, et je n’ai jamais été marié, c’est un choix personnel. Je suis un grand admirateur de Georges Brassens et je partage sa vision quand il chante « Ne gravons pas nos noms au bas d’un parchemin ». Le seul et unique message, poursuit-il, c’est celui de l’électeur : s’il trouve notre situation anormale, il le fera savoir. « 

 » Il n’y a évidemment rien d’illégal à cela, précise prudemment Paul Furlan (PS), ministre régional wallon des Pouvoirs locaux. C’est une situation qui est peut-être difficile à comprendre, mais rien ne permet de s’y opposer et je ne dis pas qu’elle est inacceptable.  » Interrogé au parlement wallon à plusieurs reprises, il a expliqué qu’il était quasi impossible de légiférer pour faire appliquer aux cohabitants  » de fait  » l’incompatibilité qui frappe les couples mariés ou les cohabitants  » légaux « .  » Le droit, précise le ministre, reconnaît les cas de figure des personnes mariées ou sous le régime de la cohabitation légale, mais pas le cas de la cohabitation de fait. C’est une situation assez marginale, puisque nous n’avons répertorié que deux ou trois cas en Wallonie. Nous avons essayé de trouver des formules, mais on n’y arrive pas dans la mesure où d’autres personnes peuvent être domiciliées au même endroit. Exemple extrême : toutes les personnes qui ont leur adresse officielle au CPAS. Et puis, concernant les couples, est-ce que je vais devoir envoyer l’huissier vérifier à 5 heures du matin qui habite où ? Devoir mettre ma main dans le lit pour m’assurer que la place est chaude ? Et à partir de quand décréter qu’il y a cohabitation ? Une aventure extraconjugale ? Si on légifère, ce sera tellement facile pour les personnes d’avoir des domiciles différents, alors que d’autres peuvent être domiciliées au même endroit sans pour autant former un couple… « 

Les couples mariés sanctionnés

 » On discrimine les couples mariés par rapport aux cohabitants, c’est le monde à l’envers « , s’est exclamé le député André Bouchat (CDH), pour qui le domicile doit pouvoir être vérifié par la police.  » Je ne pourrai pas admettre que des gens qui vivent ensemble puissent siéger à deux dans un conseil communal. Je n’attaque aucune vie privée, je défends simplement l’égalité des droits entre couples mariés et non mariés.  »  » Il est désagréable d’avoir une sanction qui frappe les couples mariés ou qui sont sous le régime de la cohabitation légale, estime de son côté le député Jean-Paul Wahl (MR), quand il n’y a aucune incompatibilité pour d’autres personnes qui vivent maritalement. Déontologiquement parlant, c’est difficilement admissible. « 

Paul-Olivier Delannois estime pour sa part qu’il s’agit d’un débat d’un autre âge.  » C’est une législation qui consacre la primauté de l’homme sur la femme, censée être totalement soumise. Moi, je ne pense pas que la femme doit obéissance à l’homme, mais plutôt qu’ils se doivent assistance mutuelle. Je ne vais pas dire à ma compagne comment il faut agir, et, de toute façon, elle n’est pas d’un tempérament à l’accepter. C’est pour ça que je l’aime. Cela ne plaît manifestement pas à tout le monde. Ludivine a reçu des coups de fil anonymes disant que je me trouvais là, ou là, alors que je me trouvais à côté d’elle. Mais cette méchanceté consolide notre couple.  » Ils sont tous les deux candidats sur la liste PS pour les prochaines élections, lui en 3e position, elle en 4e. L’un comme l’autre pourrait devenir bourgmestre faisant fonction, à la place d’un Rudy Demotte qui aurait remporté les élections, mais se déclarerait  » empêché  » par ses fonctions ministérielles. Jusqu’à présent, Ludivine Dedonder est échevine de l’Etat civil et, à ce titre, célèbre plus de 200 mariages par an…

Les frères Daerden

La dernière réforme du Code de la démocratie locale a allégé les incompatibilités de nature familiale, instaurées dans le but d’éviter le contrôle d’une commune par une même famille. Jusqu’à présent, outre les personnes mariées et les cohabitants légaux, ne pouvaient siéger ensemble dans un conseil communal les parents ou alliés jusqu’au 4e degré (soit cousins germains, petits-neveux et petites-nièces ou arrière-petits-enfants).  » La société, explique Paul Furlan, a évolué entre le moment où ces règles ont été pensées et aujourd’hui. Il y a eu entre-temps la fusion des communes. Qui peut dire qui sont ses parents au 4e degré ? On a vu des cas où des personnes qui ne se connaissaient pas, parfois même élues sur des listes différentes, se découvraient un lien de parenté. L’un, parce qu’il avait obtenu une voix de préférence en moins que l’autre, ne pouvait pas siéger…  » A partir de la prochaine élection, cette interdiction de siéger ensemble au conseil communal (ou provincial) sera ramenée aux deux premiers degrés de parenté (soit enfant/parent, enfant/ grand-parent, frères et s£urs). Afflux d’oncles, de tantes et de cousins en perspective.

Les députés wallons ont également mis fin à une anomalie : le président du CPAS, qui fait pourtant partie du collège communal avec le bourgmestre et les échevins, n’était jusqu’ici pas concerné par les incompatibilités familiales. C’est ainsi que, jusqu’à leur éviction en mars 2011, Jean-Louis Daerden a pu être président du CPAS d’Ans dont le bourgmestre en titre était son frère Michel. Ce dernier était certes empêché depuis longtemps par sa participation à divers gouvernements, il restait néanmoins conseiller communal. De même Gilbert Legasse (PS) est-il toujours président du CPAS de Rebecq dont son fils Dimitri est le bourgmestre. Mais il faudra sans doute attendre une prochaine révision des textes pour aller jusqu’au bout de la logique. Le bourgmestre et les échevins ne peuvent être alliés ou parents jusqu’au 3e degré, mais le président du CPAS n’est pas concerné. Ce qui permet par exemple de sauver le siège de Pierre Mevisse (MR), président du CPAS de Lasne et neveu de la bourgmestre Brigitte Defalque.

Les frères Lutgen

Ah, le sens de la famille ! A Rhode-Saint-Genèse, Myriam Delacroix-Rolin (CDH), bourgmestre depuis 1989, et députée fédérale, a bien perpétué la tradition familiale, puisque son père, et avant lui son grand-père, étaient échevins. Mais cette fois-ci, elle arrête et transmet le flambeau à son frère Pierre pour emmener la liste unique des francophones et contrer l’arrivée de Geertrui Windels, l’épouse de Herman Van Rompuy.

Bien plus au sud, la fratricide bataille des Ardennes n’aura pas lieu. Jean-Pierre Lutgen a en effet finalement renoncé à se présenter en tête de la liste MR à Bastogne. Ce n’est pas son heure, et sans doute n’aurait-il pas fait le poids face à son frère Benoît qui, lui, emmènera la liste CDH. On a beau être un homme d’affaires reconnu (les montres Ice Watch), c’est dur de lutter contre un président de parti, de surcroît en pourparlers avec le PS pour bétonner sa candidature au maïorat…

MICHEL DELWICHE

 » C’est une législation qui consacre la primauté de l’homme sur la femme « 

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire