Quelle sera la pyramide des âges du prochain Clasico Standard- Anderlecht? © belgaimage

Comment le Clasico a repris un coup de vieux

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Figures de proue de la politique des jeunes sur le sol belge ces dernières saisons, le Standard et Anderlecht ont-ils viré de bord? Voyage entre jeunisme et opportunisme, sur la route du Clasico.

Les belles histoires sont parfois une question de communication. Comme s’il ne fallait pas seulement les vivre, mais aussi trouver la meilleure manièrwe de les raconter. Au printemps 2021, alors que le Standard sort d’une fin de saison saumâtre dans la foulée d’une finale de Coupe de Belgique perdue, Alexandre Grosjean rembobine l’histoire. L’ancien CEO du Standard l’admet sans peine dans les colonnes de Sport/Foot Magazine : «On doit plus tenir au courant nos supporters de l’avancée du club. L’émergence des jeunes est un exemple parfait pour ça. En 2017, on a mis en place un plan pour notre Académie intitulé Objectif 2020. Bruno Venanzi l’a même présenté au Cercle de Wallonie. Si on avait communiqué plus tôt sur le sujet, on serait aujourd’hui dans la continuité et les supporters auraient compris qu’ils voyaient les premiers résultats. Anderlecht l’a très bien fait, à tel point que maintenant, je lis parfois que le Standard fait comme les Mauves.» Sur le terrain de la com’, le Standard semble alors avoir perdu son Clasico.

Le talent est mieux partagé au sein des académies, faisant de la course aux jeunes joyaux une guerre à l’armement.

Au même moment, quand Vincent Kompany a abandonné une partie de ses casquettes pour se contenter de celle de coach du Sporting bruxellois, le story- telling bat effectivement son plein dans la capitale. La marque «Neerpede», siège du centre de formation d’Anderlecht, ne s’est jamais aussi bien portée entre la vente à huit chiffres de Jérémy Doku en début de saison et l’explosion de talents issus de la formation locale comme Albert Sambi Lokonga ou Anouar Ait El Hadj. Publié au terme de cette saison 2020-2021, un rapport du Football Observatory du Centre international d’étude du sport (Cies) place d’ailleurs les deux rivaux historiques au sommet du classement du temps de jeu «offert» aux joueurs formés au club: 32,6% pour les Mauves, 24,1% pour les Rouches. Les deux entités n’ont jamais paru si jeunes.

Le discours de façade évoque alors une prise de conscience des énormes ressources dont disposent deux des centres de formation les plus réputés du pays. Dans les médias, les symboles de cette confiance au savoir-faire local s’assortissent de chiffres: cinq, comme les millions annuels consacrés à l’Académie par Bruno Venanzi dès son accession à la présidence pour mettre un terme à la sécheresse des années Duchâtelet ; onze, comme le nombre de contrats offerts à la «classe biberon» mauve par Marc Coucke quelques mois après son arrivée à la tête des Bruxellois, dans une levée qui contient les noms de Doku, El Hadj, Killian Sardella ou Yari Verschaeren. Des investissements mis en exergue, qui sont paradoxalement la meilleure façon possible de faire des économies.

On dit que Vincent Kompany avait surestimé la qualité du vivier anderlechtois.
On dit que Vincent Kompany avait surestimé la qualité du vivier anderlechtois. © belgaimage

Le choix du pragmatisme

Herman Van Holsbeeck, dernier manager de l’Anderlecht des Vanden Stock, avait déjà établi ce constat en 2012, au bout d’une course au titre époumonante face au Club Bruges malgré de lourds investissements l’été précédent, avec des salaires XXL pour les têtes d’affiche Milan Jovanović et Dieumerci Mbokani. Confirmée l’année suivante, quand les Bruxellois prolongent leur règne in extremis au duel avec un modeste club de Zulte Waregem qui leur tient la dragée haute avec de jeunes joueurs – certains étant même des recalés du centre de formation d’Anderlecht – l’impression convainc Van Holsbeeck de réduire la voilure salariale de son noyau professionnel et de faire davantage confiance aux produits de son académie. Dennis Praet – formé en grande partie à Genk – d’abord, Youri Tielemans et Leander Dendoncker ensuite, deviennent les fleurons du «made in Neerpede», un slogan que le club de la capitale aime encore aujourd’hui servir à toutes les sauces, même pour saluer les succès cyclistes d’un Remco Evenepoel longtemps footballeur en herbe au Sporting. C’est là le fameux «branding» évoqué par Alexandre Grosjean: Anderlecht a réussi à faire de sa formation une marque reconnue, transformant presque Jean Kindermans, son directeur de la formation (sur le départ), en rock star, là où le Standard reste largement à la traîne malgré la transformation du nom à rallonge de son Académie Robert Louis-Dreyfus en un plus efficace et moderne «SL16 Football Campus».

De part et d’autre de l’autoroute E40, les constats sont pourtant identiques: face à des masses salariales qui décollent et des indemnités de transfert qui rendent de plus en plus inaccessibles les joueurs majeurs des autres clubs du championnat, former puis vendre ses propres pépites est la voie la plus rentable vers le succès. Encore plus quand des manœuvres ambitieuses au sommet de la pyramide ont fait rougir les comptes. Dans la capitale, Anderlecht ne s’est que tardivement remis du très onéreux premier mercato de Marc Coucke, incarné par l’achat, pour huit millions d’euros, du défenseur gambien Bubacarr Sanneh. En Principauté, c’est l’ambition débordante de Michel Preud’homme qui a convaincu Bruno Venanzi de boucler un été au-delà des trente millions d’euros, plongeant la situation financière liégeoise dans une zone rouge qui a abouti à une revente au rabais trois ans plus tard. Incarnation de ce virage contraint, Arnaud Bodart se souvient de cette préparation qui avait vu le géant Vanja Milinković Savić débarquer à Sclessin pour prendre le poste de numéro un entre les perches rouches: «Dès la préparation, il était arrivé… pas très en forme, va-t-on dire. Il avait du mal, et j’avais compris. J’avais senti l’occasion. Je n’étais pas le premier à venir en équipe première, il y a eu Jérôme Déom et Dimitri Lavalée, qui sont deux de mes amis. Au début, on était presque les trois seuls jeunes à se retrouver avec les pros. Maintenant, ça se développe.»

Du côté de Sclessin, l’Académie a en effet rapidement pris du galon dans un club où l’éclosion de jeunes talents était l’un des seuls motifs de satisfaction pour les tribunes. En plus des arrivées successives de Nicolas Raskin, Michel-Ange Balikwisha ou Hugo Siquet sur le terrain, puis de leurs ventes parfois précipitées car salutaires pour la pérennité financière du club, la transition entre la fin de l’ère Bruno Venanzi et l’arrivée au pouvoir des Américains de 777 Partners a été assurée par Pierre Locht, ancien directeur de la formation chez les Liégeois. Logique, dès lors, de voir cette période d’austérité conjuguée à un rôle plus important accordé aux talents de la maison. La saison dernière, Arnaud Bodart, William Balikwisha ou Cihan Çanak (né en 2005) étaient ainsi les principaux responsables d’un Standard flashé à 27,7% de temps de jeu accordé à ses jeunes entre juillet 2022 et janvier 2023. La deuxième meilleure marque nationale, derrière Anderlecht et ses 41,9%.

Arnaud Bodart a rouvert la porte aux jeunes formés au Standard.
Arnaud Bodart a rouvert la porte aux jeunes formés au Standard. © belgaimage

Chez les Mauves, où la fin de l’ère Kompany s’était jouée avec deux ou trois jeunes de la maison dans le onze de base et le meilleur classement des dernières années, l’été 2022 avait été le cadre d’une réflexion intense. Toujours limité dans ses investissements et poussé dans le dos par des jeunes de plus en plus ambitieux sur le terrain comme sur la fiche de paie, le CEO Peter Verbeke (depuis remplacé par le Danois Jesper Fredberg) avait décidé d’offrir une place plus importante dans la hiérarchie interne à des produits locaux censés aider le club à franchir un palier. La stratégie entraîne indirectement lelicenciement de Felice Mazzù et une saison historiquement mauvaise sur le plan national, conclue en deuxième partie de tableau. Si c’est encore la vente d’un talent local, le supersonique Julien Duranville, qui sauve les comptes bruxellois en janvier, le constat d’un ancien collaborateur du club est sans appel: «Ils ont mal évalué ce qu’ils avaient. Ils ont surcoté un tas de joueurs qui, pour eux, étaient déjà prêts et n’avaient pas besoin d’être accompagnés alors que c’étaient seulement des talents en devenir, pas encore prêts à jouer les premiers rôles.» Aujourd’hui, beaucoup de ces prétendus titulaires de l’an dernier sont confinés au banc de touche, partis en prêt ou vendus ailleurs, en Belgique ou à l’étranger.

Ambitions et tauliers du Clasico

A l’ouest de la capitale, le virage estival est radical. Déjà emmenée par le vétéran Jan Vertonghen, l’équipe construite par Jesper Fredberg prend un sacré coup de vieux. Cinq trentenaires rejoignent Neerpede en l’espace de quelques semaines, sans oublier le Suédois Ludwig Augustinsson, qui fêtera ses 30 ans au printemps. Troisième équipe la plus jeune de l’élite nationale lors de la saison écoulée, le Sporting devient l’une des quatre plus âgées de la D1 belge cette saison. Un parti pris indispensable pour retrouver des ambitions, se rapprochant du modèle à succès d’un Club Bruges où seuls un ou deux jeunes sont intégrés à la fois dans un onze déjà chevronné, à l’image d’un Charles De Ketelaere à l’aube des années 2020.

Si la balance de la pyramide des âges est quelque peu différente au Standard, où les économies financières ont amené à se séparer des importants contrats de routiniers comme Gojko Cimirot ou Noë Dussenne, le marché liégeois de l’été a tout de même emmené vers la Principauté quelques joueurs plus chevronnés et immédiatement installés dans le onze de base. Les arrivées du Japonais Hayao Kawabe (28 ans) et du Jamaïcain Isaac Hayden (28 ans) ont ainsi poussé sur le banc William Balikwisha (24 ans), alors que le retour de Moussa Djenepo (25 ans) confine également le jeune Çanak (18 ans) à un rôle de joker.

La course à la qualification pour l’Europe et à ses ressources financières, précieuses pour des clubs dont les comptes sont toujours en convalescence, impose la présence plus importante de joueurs confirmés malgré le talent sans cesse croissant qui peuple les centres de formation du pays. Contrairement à ce qui se passait une décennie plus tôt, le talent est mieux partagé au sein des différentes académies nationales, faisant de la course aux jeunes joyaux une véritable guerre à l’armement. Surtout, l’expérience compte encore beaucoup à l’heure de constituer l’ossature d’une équipe capable de jouer les premiers rôles, comme l’a encore prouvé le dernier champion anversois avec Toby Alderweireld derrière et Vincent Janssen devant. Dans les couloirs du Lotto Park, beaucoup rappellent d’ailleurs que l’erreur initiale de Vincent Kompany lors de son retour dans la capitale avait été de surestimer les enfants de Neerpede et de leur confier un rôle trop important sur le terrain. Pour jouer à nouveaux les premiers rôles, le Prince mauve de Bruxelles avait dû attendre d’ajouter les chevronnés Wesley Hoedt ou Lior Refaelov à son onze de base. Tant pis pour la beauté de l’histoire. Le storytelling fait parfois gagner des millions, bien plus rarement des matchs.

Qui sauvera les U23?

Bonne surprise du début de saison dernière, le RSCA Futures peine à décoller du bas de tableau de la Challenger Pro League, deuxième échelon de la hiérarchie belge. Le SL16 FC, lui, y est carrément englué avec trois petits points récoltés en sept sorties. Pour Anderlecht comme pour le Standard, l’intégration des U23 (équipes composées de joueurs de moins de 23 ans) chez les professionnels ne se fait pas sans peine.

Il faut dire que le laboratoire offert aux jeunes talents des principaux clubs du pays a tout de l’expérience incomplète, puisque les joueurs les plus prometteurs font déjà partie de l’équipe A et que le besoin de compétitivité face à des adultes aguerris expose bien plus visiblement les générations plus creuses que connaissent tous les centres de formation. A Anderlecht, les départs de plusieurs jeunes prometteurs des générations 2005-2006, comme Julien Duranville, Enock Agyei, Ethan Butera ou Rayane Bounida, ont ainsi confronté le RSCA Futures à une période de vaches maigres en matière de talent pur, le club envisageant même plusieurs renforts l’été dernier avant de se décider à concentrer ses finances sur le mercato du noyau A. Du côté du Standard, les déjà «promus» Nathan Ngoy ou Cihan Çanak rendraient de précieux services à la génération actuelle, qui risque de plus en plus de contraindre les nombreux talents attendus dans les futures levées rouches à se faire les dents en Nationale 1, un échelon plus bas, tant la relégation semble difficile à éviter.

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