Comment aimer un enfant

Il y a un parfum de légende dans le destin du Docteur Korczak, qui consacra sa vie aux orphelins juifs du ghetto de Varsovie et dont les idées novatrices sont à la base de la Convention internationale des droits de l’enfant. Ecoutez son histoire

Connaissez-vous Janusz Korczak? Les Polonais, qui l’appelaient familièrement « le vieux Docteur », connaissaient bien le son de sa voix, au milieu des années 1930. Il animait une émission de radio à Varsovie, justement intitulée Les Petites Causeries du vieux Docteur. Une émission très populaire, où il racontait des histoires aux enfants et répondait à leurs confidences. Pédiatre et écrivain, il se nommait, en réalité, Henryk Goldszmit. Mais il était plus connu sous le nom de Korczak, le pseudonyme qu’il avait choisi pour signer ses pièces de théâtre et ses romans pour enfants, dont le célèbre Roi Mathias 1er. Il s’intéressait beaucoup aux gosses de rue, dans les quartiers pauvres de Varsovie.

A 34 ans, il ouvre, pour ceux qui n’ont plus de parents, la Maison de l’orphelin. Il sait y faire avec ces mômes souvent agités et rebelles, dont on a volé l’enfance. Il sait les aimer surtout, leur redonner espoir et goût à la vie. Engagé, à la fois idéaliste et pragmatique, il transforme petit à petit son orphelinat en une société d’enfants, organisée d’après des principes d’égalité en droits et en obligations. Un système éducatif fondé sur la confiance, sur l’autogestion, mais éloigné de toute permissivité. Le vieux Docteur pouvait parfois se montrer dur, se mettre en colère. Son but: créer une société plus juste en éduquant les enfants à la démocratie. Ce qui implique de les considérer comme des individus à part entière, de les prendre au sérieux.

Dans l’orphelinat, il met notamment sur pied « le tribunal des enfants », devant lequel peuvent comparaître petits et grands, donc aussi les éducateurs. Il considère que les enfants sont capables de se rendre justice eux-mêmes. Il suffit de leur apprendre et de bien les encadrer. En 1926, il crée La Petite Revue, un journal écrit par et pour des enfants, qui aura un grand succès en Pologne. « L’enfant ne devient pas un homme, il en est déjà un! « , a coutume de répéter Korczak, pour qui le droit le plus essentiel est le droit au respect, à l’instar des adultes. Respect pour son ignorance, pour sa parole, pour sa propriété. Respect pour ses échecs et pour ses larmes. Respect pour ce qu’il est.

Cette lucide générosité sera malheureusement balayée par l’horreur nazie. L’émission radio du vieux Docteur est suspendue, parce qu’il est juif. Puis, ce sont les années noires du ghetto de Varsovie, la lutte contre la faim et les maladies. Korczak sera arrêté plusieurs fois parce qu’il refuse de porter le brassard avec l’étoile de David. Il accompagnera ses 200 orphelins jusque dans la mort, au camp d’extermination de Treblinka… Son oeuvre et ses idées lui ont survécu. En 1979, c’est en se référant à Janusz Korczak que la Pologne propose à l’ONU, comme l’avait réclamé le Docteur lui-même, en son temps, à la Société des Nations, de rédiger une Convention sur les droits de l’enfant. Le texte verra le jour dix ans plus tard et sera signé par tous les pays, à l’exception de six (dont les Etats-Unis).

C’est ce destin extraordinaire et héroïque que l’auteur anglais David Greig raconte dans sa pièce, L’Exemple du Dr Korczak. A travers un personnage fictif – celui d’Adzio, un adolescent recueilli par Korczak -, il en fait une évocation étonnante, adroite, émouvante. La mise en scène de Jules-Henri Marchant et le jeu des comédiens (Angelo Bison, Valérie Marchant, Steve Driesen, Thierry Hellin et Stanislas Drouart) n’en sont pas moins poignants. Mais le premier mérite de l’auteur et de l’équipe du Rideau est de faire (re)découvrir au public ce personnage singulier qu’était Janusz Korczak. Ses idées restent révolutionnaires. La preuve: la Convention internationale des droits de l’enfant n’a pas repris – loin de là – l’ensemble des droits prônés par le Docteur. Entres autres, le droit de se tromper, le droit au secret, au mensonge, le droit des enfants délinquants à être aimé, le droit à une mort digne, le droit de réclamer et d’exiger, le droit de résister à l’éducation, le droit au respect…

Thierry Denoël, Bruxelles, théâtre Le Rideau, jusqu’au 28 février. A voir aussi, dès 8 ans: Le Roi

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