Collège Saint-Pierre: le chagrin et la pitié

Philippe Toussaint, rédacteur en chef du Journal des procès

A tous les défauts ressassés depuis que l’institution judiciaire est un pouvoir constitutionnel, comme sa lenteur et son coût, il faut sans doute ajouter qu’elle est esquintante, d’abord pour le justiciable qui, même lorsqu’il gagne, est épuisé, mais aussi – tant pis pour eux dira-t-on peut-être – pour tous les professionnels amenés à participer ou à commenter l’oeuvre de justice, juges et procureurs, avocats de la défense ou des parties civiles, experts, chroniqueurs judiciaires. Les faits relatifs aux procès d’enseignants du collège Saint-Pierre remontent à quelque dix ans et le jugement d’acquittement en première instance à près d’un an. Pendant tout ce temps, que de bruit, que de fureur et que de souffrances! Comme on pouvait le penser, les parents déboutés s’indignent. On a, disent-ils, protégé le collège, protection qui renvoie aussitôt à une autre affaire, bien plus tragique encore, où la justice serait complice d’un véritable complot, toujours le même: selon que vous serez puissants ou misérables… En un mot comme en cent, il y aurait des criminels intouchables, qu’aucune force au monde, et singulièrement le pouvoir judiciaire, ne veut, à tout le moins ne peut démasquer, encore moins juger, encore moins condamner.

La 14e chambre de la cour d’appel de Bruxelles s’est très certainement souciée de ces accusations qui tendraient en effet à ruiner de fond en comble le crédit de la justice, la confinant en quelque sorte dans la répression de justiciables sur qui on peut bien sauter à pieds joints sans que ça ne dérange personne, des petits, des obscurs, des misérables dans les deux sens du mot. L’arrêt prononcé vendredi dernier se veut exemplaire à cet égard: c’est celui de l’égalité devant la loi. Il était prévu un mois auparavant mais fut postposé, en raison, expliqua la présidente Mme de la Vallée-Poussin, de la complexité de l’affaire. On aura rarement vu en tout cas, au pénal, une décision aussi longuement, aussi minutieusement motivée. Sa lecture prit quelque trois heures d’horloge, mais qui, hormis les spécialistes, écouta? Et qui lira les motifs de cet arrêt? Tout ça ne serait que charabia, au mieux qu’habillage savant de la seule chose qui compte, le dispositif, la décision elle-même…

J’ai pris le parti, pour ma part, de publier in extenso dans Le Journal des procès, le jugement de première instance, afin que chacun puisse apprécier la pertinence ou la fragilité des attendus, le caractère convaincant ou non des motifs. A mon sens, mais je reste naturellement ouvert à la discussion, ce jugement que confirme, avec des nuances, l’arrêt de la cour d’appel, demeure convaincant. Mais convaincant de quoi? Que les prévenus n’ont pas commis les faits de pédophilie qu’on leur imputait et qu’il sont innocents? C’est malheureusement moins simple ou moins manichéen. En Belgique, comme dans tout Etat de droit, lorsqu’il n’y a pas de preuve, on ne condamne pas. C’est au demeurant ce que, tous autant que nous sommes, serions les premiers à revendiquer si le malheur voulait que nous soyons poursuivis pour un crime ou un délit. Les juges acquittent tous les jours des justiciables qu’au fond de leur coeur ils tiennent pour coupables et nous devons, je crois, nous en féliciter. Montaigne disait dans ses Essais qu’il n’y a pas de communication à l’être, phrase dont on a pu dire qu’elle était peut-être la plus forte de toute la philosophie. C’est assurément bien dommage mais on ne juge, on ne condamne et on n’acquitte que sur les apparences.

L’arrêt de la 14e chambre va toutefois beaucoup plus loin que le bénéfice du doute. Il ne dit pas que, tout bien pesé, il n’y a pas lieu d’opter pour la non-culpabilité, mais bien que, dans le cas d’espèce, les préventions seraient matériellement impossibles, matériellement irréalisables. Ainsi n’est-ce pas un avis ou une opinion que nous donnent les magistrats de la cour mais, prétention formidablement plus grande, une démonstration. Le pas que franchit ainsi la 14e chambre de la cour d’appel est vertigineux car si on considère généralement que la justice est un art, elle se veut, ici, scientifique. Il est matériellement impossible, annonce-t-elle que des enfants aient pu être abusés dans un local ouvert à tous les regards. Ce n’est plus une question d’intention, de vice ou de faiblesse coupable mais l’affirmation que deux et deux font quatre. Je ne l’écris pas à la légère. Les longues heures que j’ai passées à suivre les débats m’ont à tout le moins convaincu d’une chose, à savoir la sincérité de parents persuadés que leur enfant a été victime d’actes de pédophilie. Les mêmes mots reviennent: le chagrin et la pitié. Respectons-les.

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