CIA : un bouc émissaire idéal

Avec le départ du patron des services secrets, Bush tente de calmer une opinion de plus en plus critique

A cinq mois de l’élection présidentielle, alors que le chaos irakien pèse chaque jour un peu plus sur la campagne électorale, George W. Bush ne pouvait imaginer un fusible plus efficace que George Tenet. En annonçant lui-même, le 3 juin, avec les sincères regrets d’usage, la démission du directeur de la CIA, le président offre la tête d’un responsable de haut niveau à une opinion privée de repères, irritée par l’absence d’armes de destruction massive en Irak et de plus en plus dubitative, après les scandales de la prison d’Abou Ghraib, sur l’aptitude de ses dirigeants à gérer une occupation qui conditionne la sécurité intérieure des Etats-Unis.

Le patron du renseignement américain avait déjà été sur la sellette au début du mois de mai, lorsque les auditions du Congrès sur le 11 septembre avaient mis en lumière les apparentes failles de la CIA et son incapacité à prévoir, ou à prévenir, les attaques terroristes. En outre, nommé en 1997 par le président démocrate Bill Clinton, Tenet n’appartient pas à la mouvance républicaine. L’administration Bush peut donc espérer que cette éviction, tout en constituant une sanction expiatoire, ne sera pas interprétée par l’opinion comme un aveu d’échec de la stratégie générale du gouvernement.

Depuis 2000, Tenet avait pourtant prouvé sa loyauté aux nouveaux occupants de la Maison-Blanche, et en particulier à Bush, qui avait su apprécier le style direct et affable de ce fils d’immigrés grecs de New York, très bien vu des employés du siège de l’agence, à Langley. Aux yeux de l’administration républicaine, George Tenet était un boss capable d’accélérer la réforme d’une CIA enlisée dans ses modèles de la guerre froide.

Pressions constantes des politiques

Malgré ses profondes réticences envers les exilés irakiens, comme Ahmed Chalabi, principales sources d’information du département de la Défense sur l’Irak de Saddam, Tenet est resté conciliant, au point de cautionner par sa présence, en février 2003, l’exposé devant le Conseil de sécurité, par le secrétaire d’Etat, Colin Powell, des  » preuves  » de l’existence d’armes de destruction massive en Irak. Ces renseignements, réfutés aujourd’hui, résultaient eux-mêmes d’un difficile compromis entre les durs du Pentagone et les modérés du Département d’Etat. Les analystes de la CIA et leurs patrons, soumis aux pressions constantes des politiques, n’avaient d’autre choix que d’apporter des arguments à une guerre devenue inévitable.

Le départ de Tenet devrait faire oublier les manipulations d’hier. Et d’autres fiascos : alors que les services de renseignement de l’armée étaient principalement mis en cause dans les exactions commises à Abou Ghraib, la CIA, symbole même de la guerre secrète aux yeux du grand public, pourrait ainsi, avant la présidentielle, facilement porter le chapeau des excès de la lutte antiterroriste. George Tenet, qui, du temps de Clinton, ne désespérait pas de contribuer au rapprochement israélo-arabe, pourrait en tirer quelque amertume. Mais sa démission apparaît comme l’ultime devoir d’Etat d’un bouc émissaire.

Philippe Coste

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