Chers passagers du tram 92,

Tout d’abord, que les choses soient claires : je n’ai pas l’habitude d’écouter, dans les transports en commun, les conversations qui ne me sont pas destinées. Enfin, disons que j’ai peut-être eu ce défaut, mais c’était quand j’avais 16 ou 17 ans et que lesdites conversations permettaient aux dames âgées et aux cheveux invariablement mauves de dire tout le mal qu’elles pensaient de la jeunesse d’aujourd’hui. A l’époque, ça me faisait bien rire. Il faut dire que je me sentais concerné.

Depuis, cette tendance à attraper les bavardages d’autrui m’est passée. Mais, ce matin-là, quand vous êtes montés dans le tram, tous les deux, avec votre look légèrement marginal, vous parliez tellement fort que ni moi ni la vingtaine d’autres passagers n’avons vraiment eu le choix. Vous avez commencé par exprimer votre admiration devant le fait que ça faisait deux mois que vous appeliez tous les jours votre fournisseur et que ce dernier avait toujours de la marchandise. Désireux de ne pas laisser votre public dans le doute sur la nature de cette marchandise, vous avez tout de suite commencé à la détailler. C’était instructif, le catalogue de toutes les drogues illicites y est passé. L’ensemble du tram a ainsi appris que la coke, ce n’est pas conseillé quand on est seul, parce qu’on sniffe tout trop vite, tandis qu’avec une fille c’est bien et que,  » de toute façon, il n’y a rien d’autre à faire dans le squat  » (et c’est là qu’on se rend compte qu’il serait temps d’offrir à tous les squatteurs un abonnement à la télédistribution, histoire de leur permettre de varier les plaisirs).

Puis vous avez entrepris d’expliquer que votre médecin vous prescrivait toutes les gélules que vous lui demandiez, gélules que vous vous empressiez de revendre avec un bénéfice certain. Mais c’est quand vous avez commencé à vous plaindre, toujours de votre voix de baryton, que vous n’aviez pas la carte Vipo et que, par conséquent, vous deviez les acheter à la pharmacie au tarif plein et que vos bénéfices en étaient réduits d’autant, que j’ai levé les yeux. Soupçonneux, je me suis dit que, en cherchant un peu, je devrais trouver la caméra cachée, ahah, sacré M. Zygo, vous avez bien changé, vous vous êtes reconverti dans l’humour destroy mais on vous a reconnu quand même.

Mais non, pas l’ombre d’une caméra. J’étais sur le point de regarder mon reflet dans la vitre pour voir si je ne commençais pas à attraper des cheveux mauves et l’opinion qui va avec sur la jeunesse actuelle. Quand le plus bavard de vous deux a commencé à expliquer à l’autre que, dans les transports en commun, il payait toujours son ticket.  » Parce que, tu comprends, s’il y a un contrôle et que je ne suis pas en règle, ils peuvent me fouiller. Et, avec ce que je transporte sur moi, j’aime autant pas.  »

Drogué jusqu’aux yeux, peut-être. Mais honnête. Allez, la jeunesse d’aujourd’hui a encore un bon fond. Suffit d’un peu chercher.

de marc oschinsky

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