Cher Madani Bouhouche,

D’accord, il est un peu tard pour vous écrire cette bafouille. Bafouille que, de toute façon, vous ne lirez probablement pas (à moins que l’Au-Delà ait souscrit un abonnement au Vif/L’Express, on peut toujours rêver…). D’un autre côté, si la justice belge a mis un mois et demi pour découvrir que vous aviez passé le riot gun à gauche, dans le sud de la France, il n’y a pas de raison que je ne prenne pas, à mon tour, un peu de temps pour vous adresser ces quelques lignes.

C’est que vous revoir à la télé m’a rappelé des masses de souvenirs. Dans les années 1980, vous apparaissiez régulièrement dans le poste. Toujours, vous portiez vos lunettes géantes à verres fumés qui vous faisaient ressembler à un improbable croisement entre André Torrent et Jeff Goldblum dans La Mouche. C’est bien simple : à l’époque, quand on ouvrait le poste et qu’on voyait quelqu’un avec des lunettes invraisemblables, on savait que c’était soit vous, soit Nana Mouskouri.

Mais vous n’êtes plus, et votre disparition, franchement, a un goût, non pas de sauce bolognaise enrichie à l’arme de poing, mais de paradoxe. Comment ? Voilà un homme qui a passé toute sa vie à vénérer les canons, sciés ou non, et qui meurt victime d’un simple accident de bûcheronnage ? Avouez qu’il y a de quoi s’étonner ! (Non, c’est vrai : si j’ai bien compris, vous n’avez jamais avoué, et ce n’est pas maintenant que vous allez commencer.)

Car enfin, à présent, la preuve est faite : ce ne sont pas les armes qui tuent, ce sont les arbres ! Qu’est-ce qu’on attend pour autoriser enfin la vente libre des revolvers, carabines et autres bazookas et réprimer avec la plus grande sévérité la possession et le transport des érables ou des mélèzes ? Pour que la Belgique n’ait plus jamais peur des attaques vicieuses des feuillus ou des conifères, il faut en interdire l’achat et la détention à quiconque n’a pas reçu, au préalable, un permis. Bon, à l’approche de Noël, les vendeurs de Nordmann auront un peu plus de difficultés à écouler leur stock et les pépiniéristes seront considérés avec l’aménité généralement réservée aux marchands de canons, mais la sécurité de tous est en jeu, principe de précaution et tout ça.

Et, entre nous, je serais à la place de votre arbre, je songerais sérieusement à prendre un bon avocat. D’accord, il pourra toujours plaider la légitime défense, style  » Il m’a abattu, je suis tombé sur lui, c’était lui ou moi, M. le juge… « , mais je doute qu’une telle langue de bois puisse vraiment lui sauver l’écorce.

Votre mort aura au moins réussi à résoudre le dossier des tueurs du Brabant. Maintenant, on sait qui se cachait derrière celui qu’on surnommait le géant. Il s’agissait d’un étranger, d’origine scandinave, qui avait connu son heure de gloire quand il faisait sapin de Noël sur la Grand-Place de Bruxelles. Il aurait agi par dépit, pour se venger d’une société qui l’avait rejeté une fois passé l’Epiphanie. L’affaire est donc close. Une fois de plus, la police belge a fait du bon bouleau.

Marc Oschinsky

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