Chassez le passé…

Le candidat de demain a écrit un livre destiné au président d’hier. Promis, le premier a appris à se méfier des emballements du second ! Pas facile, pourtant, de se défaire de ses fantômes.

A la fin de l’année dernière, Nicolas Sarkozy déjeune avec un ancien ministre.  » Il faut que tu abandonnes 50 % de ton mandat « , lui glisse son interlocuteur. Le spécialiste de l’autojustification commence par se braquer :  » C’est plus fort que moi !  » 50 % ? Finalement, l’ancien président français ne fera pas les choses à moitié. De ce point de vue, la lecture de La France pour la vie (Plon) est édifiante : il faudra bientôt que l’ex-chef de l’Etat publie un nouvel opus pour réhabiliter son quinquennat. Ce n’est plus un mandat sous inventaire, c’est un mandat à terre. Et un homme au pied du mur, face à un devoir de repentance. Au-delà des écarts de forme, le candidat de demain se montre, sur le fond aussi, implacable avec le président d’hier, essentiellement sur le terrain économique (de la TVA sociale à l’impôt de solidarité sur la fortune, des 35 heures à la taxe professionnelle), un peu sur celui de la sécurité. Au soir de sa défaite, il avait déclaré :  » Je ne suis pas un homme qui n’assume pas ses responsabilités.  » Il veut donc reprendre le fil de son histoire.

Un livre de Nicolas Sarkozy ne ressemble pas à un livre d’un autre responsable. L’ancien président garde la capacité de transformer la sortie d’un ouvrage en événement. Depuis quelques jours, il est incollable sur les chiffres de préventes sur Amazon et même sur l’accueil réservé en magasin aux  » palettes  » qui transportent les exemplaires de son récit. Il contourne les émissions politiques pour choisir la confession personnelle (Sept à huit, sur TF 1), puis le talk-show : invité par Anne-Sophie Lapix à participer à C à vous sur France 5, c’est lui qui a choisi la date du 28 janvier, celle de son anniversaire.

Comme hanté par certains souvenirs, Nicolas Sarkozy est rattrapé par ses fantômes. Depuis plusieurs années, il cherche à les chasser : ses regrets sur sa fameuse sortie au Salon de l’agriculture ont en réalité commencé trois jours après sa réplique malheureuse, lorsqu’il avait indiqué au Parisien qu’il  » (aurait) mieux fait de ne pas répondre « .

 » C’est moi qui aurais dû être davantage moi-même  »

La France pour la vie porte assurément la marque de son auteur. La marque, les marques aussi, presque les stigmates. Evidemment, avec les hommes politiques en général et Nicolas Sarkozy en particulier, le risque narcissique n’est jamais loin.  » C’est moi qui […] aurais dû être davantage moi-même « , note-t-il à propos de son attitude lors du débat de l’entre-deux-tours avec François Hollande, en 2012.

Mais l’exercice se place sous le signe de la  » lucidité  » – le mot est répété près d’une dizaine de fois, cette lucidité dont le poète René Char disait qu’elle était  » la blessure la plus rapprochée du soleil « . Il est frappant de constater à quel point Nicolas Sarkozy prend souvent le contre-pied des démonstrations qu’il a longtemps tenues. Il théorisait une chose en 2007, il théorise son contraire en 2016. Le référendum ? Inutile juste après une présidentielle, argumentait-il hier. Indispensable dès juin 2017, un mois après la présidentielle, avance-t-il aujourd’hui. La gestion du temps politique occupe le coeur de ses réflexions. Hier, il revendiquait d’ouvrir cent chantiers à la fois pour éviter l’immobilisme. Aujourd’hui, il préfère cibler les réformes.

Parfois il fluctue. Du discours de Grenoble sur les délinquants étrangers et sur les Roms, il assurait, dans le livre non paru en 2012, dont Le Point avait révélé des extraits, qu' » instruit par l’expérience, (il) ne le (reprononcerait) pas « . Il précise dorénavant :  » Au lieu d’accélérer la mise en oeuvre des justes mesures du discours de Grenoble, j’ai sans doute commencé à biaiser […], d’une certaine façon à reculer.  » En plein débat sur la déchéance de nationalité, il dit avoir également évoqué en 2010 le terrorisme, ce qui n’est pas le cas.

Parfois, il semble se contredire. En septembre 2014, pour son retour sur le devant de la scène, il explique sur France 2, première esquisse d’un mea culpa :  » Il y a eu une tentation, qui était la mienne, de tout vouloir faire moi-même.  » Le 24 janvier 2016, sur TF 1, il définit son plus grand regret :  » Avoir trop cédé à la pression de la pensée unique qui disait que j’étais un omniprésident qui en faisait trop alors que, moi, je voulais en faire plus.  »

Parfois il ne varie pas d’un iota… et cela ne sert pas sa crédibilité.  » Tout dire avant pour tout faire après « , martèle-t-il. Comme en 2007, lorsqu’il définissait sa  » rupture  » :  » Ce sera celle des promesses tenues. […] Je mettrai donc en oeuvre rigoureusement, scrupuleusement, totalement tout ce que j’aurai annoncé.  » Pour un responsable public, s’aventurer sur le terrain de  » la parole donnée  » est toujours dangereux : Nicolas Sarkozy est maintenant vilipendé par la Manif pour tous parce qu’il abandonne son engagement de 2014 d’abroger la loi Taubira sur le mariage homosexuel.

Avec la primaire s’ouvre l’ère du relatif et non de l’absolu

Au-delà des revirements – qu’il assume pour une partie d’entre eux -, il y a un fil directeur chez Nicolas Sarkozy : son amour pas tant des gens, mais de la  » foule « , de la  » houle  » écrit-il même, qui l’amène à cet aveu plein de sincérité :  » Comment rester indifférent à cette chaleur ? Eh bien, je n’ai pas pu.  » Enfin, le voici qui ne s’échine plus à prétendre qu’il pourrait faire autre chose – et, quand il arrête de vouloir convaincre de l’impossible, il se montre très convaincant :  » Si j’aime la politique, c’est parce qu’elle est la quintessence de la vie.  » C’était déjà la conclusion d’un de ses premiers livres, qui avait pris la forme d’entretiens avec Michel Denisot, en 1995 :  » En choisissant la politique, j’ai choisi de vivre.  » A 61 ans, Nicolas Sarkozy vient de retrouver Nicolas Sarkozy. Sauf que vingt ans ont passé.  » C’est le plus jeune des vieux, mais il fait partie des vieux « , admet l’un de ses anciens conseillers.

Etre et avoir été : son impopularité est liée à sa longévité. L’impopularité globale, d’abord. Au lendemain de sa défaite de 2012, l’Ifop le crédite de 52 % de bonnes opinions. Après son retour sur le devant de la scène en septembre 2014, il tombe à 42 %. En janvier 2016, il continue de descendre l’escalier : 34 %. Ces basses eaux furent seulement celles de la fin de son mandat, à partir de mars 2010. Plus ennuyeux, ses partisans, qui lui ont toujours gardé leur confiance pendant son quinquennat et après sa défaite, s’éloignent.  » Ce noyau dur s’est fragilisé, il a été mis à mal par ses obligations de chef de parti « , reconnaît un proche.

Avec la primaire s’ouvre l’ère du relatif et non de l’absolu. Le début du concours du bien et du mâle. Qui a la plus grosse (détermination pour réformer) ? Nicolas Sarkozy, qui n’oublie pas de rappeler qu’Alain Juppé s’opposait à la déchéance de la nationalité quand c’était lui qui la proposait, évoque chez le maire de Bordeaux un  » moindre goût pour le risque « . On croirait lire François Fillon à propos de Sarkozy dans Faire (Albin Michel) :  » Au moment de passer à l’action, il hésitait à prendre des risques.  » Qui a raison ? Fillon, qui affirme que  » sur […] la réforme des retraites […], j’aurais voulu que nous allions plus loin  » ? Sarkozy, qui note perfidement que  » le Premier ministre attendait ma décision pour se prononcer  » ? Ce sera l’un des champs de la bataille de 2016 : faux dur, vrai mou. Où les électeurs attendront plus que des mots. Même écrits.

Par Eric Mandonnet

Il revendique son amour de la  » foule « , de la  » houle « , écrit-il même :  » Comment rester indifférent à cette chaleur ?  »

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