Charon chasseur sachant chasser

La droite a une tradition de tontons flingueurs. Nicolas Sarkozy peut compter sur le sien, conseiller à l’Elysée et maître des battues présidentielles en tout genre.

Parmi ses victimes ne figurent pas seulement des sangliers. Depuis le 16 décembre 2009, Pierre Charon a repris en main l’organisation des  » battues d’Etat « , les fameuses chasses présidentielles (la dernière de la saison se déroule le 12 février). A la fois ami et conseiller de Nicolas Sarkozy –  » Il n’y en a pas 22 à être l’un et l’autre « , note-t-il – il tente, sous des airs volontiers affables, de faire oublier sa réputation de tueur : elle dépasse largement le domaine national de Chambord, dont il préside désormais le conseil d’administration.

Qui va à la chasse gagne sa place. C’est donc à lui qu’il revient de sélectionner les 30 chanceux – parlementaires, préfets, hauts fonctionnaires, magistrats et  » une pincée de CAC 40  » – qui ont l’honneur d’être invités, au nom du chef de l’Etat, à manier le fusil. La plus totale discrétion leur est promise : aucun nom, aucune photo n’est communiquée. Mais leurs confidences ne tombent pas dans l’oreille d’un sourd.  » Je rapporte à Nicolas Sarkozy ce que je picore à Chambord « , explique Charon.

Au protocole qu’il a décidé de remettre à l’honneur, il ajoute une forte dose de convivialité. Petit déjeuner à 8 h 30, café-croissant autour d’un brasero entre deux traques, déjeuner, vin chaud lors de la présentation du tableau, arrivée des gardes républicains avec flambeaux, avant que le château ne s’allume : le dîner est servi. Pour épater la galerie, Charon n’est pas du genre à lésiner. Il s’apprête à commander des trousses brodées en guise de souvenirs pour ces dames.

Sa maîtrise des m£urs cynégétiques n’a rien de superficiel. Il chasse depuis l’âge de 25 ans (il en a 59) et sait à quel point cette activité facilite les relations publiques. A Chambord, dit-il avec l’une de ces expressions dont il a le secret,  » les Tutsi et les Hutu sont là « . Donner un fusil aux pires ennemis du monde pour débusquer la bête est apparemment le meilleur moyen de les réconcilier. Ou, au moins, de les amener à discuter. La ministre de la Santé, Roselyne Bachelot, est venue en janvier. Autour d’une battue peuvent se retrouver des socialistes (Michel Charasse), mais aussi des membres de ce satané Conseil constitutionnel qui retoque des projets de loi chers au chef de l’Etat (Pierre Joxe), des chiraquiens – Charon a récemment déjeuné avec François Baroin – et même des villepinistes :  » Si Jean-Pierre Grand [député de l’Hérault, fidèle parmi les fidèles de l’ancien Premier ministre] était chasseur, je l’inviterais !  » jure l’ami du président. Un partisan de la paix des braves, vraiment ? Ce n’est pas à la chasse qu’il faut prendre les enfants du bon Dieu pour des canards sauvages. Il appartient au noyau dur des sarkozystes et a d’ailleurs participé au procès Clearstream. Comme son nom n’était pas mentionné dans les documents falsifiés communiqués à la justice, sa constitution de partie civile a été jugée  » irrecevable « . Son sens de la formule lui aura néanmoins permis de marquer les débats : en marge de l’audience, il compara Dominique de Villepin à un  » chippendale « , qui confond  » le Club Méditerranée avec la 11e chambre correctionnelle « .

Quand les biches sont trop nombreuses, on organise une battue supplémentaire. Si Pierre Charon veut éliminer tous ses ennemis, il devra sensiblement élargir la liste d’invités aux chasses présidentielles.  » Des gens qui ne m’adressaient plus la parole me reparlent « , relève-t-il. Il n’ignore rien des haines que ses méthodes suscitent. Edouard Balladur se souvient de 1998 comme si c’était hier. Chef de file RPR aux régionales en Ile-de-France, il assure avoir découvert après coup que Charon avait négocié en cachette, au restaurant le Train bleu de la gare de Lyon, avec un représentant du Front national.  » Faux ! Je lui ai rendu compte, je n’étais pas un électron libre « , se défend Charon. Comme Jacques Chirac, hier, l’avait surpris se répandant en propos désobligeants sur la vie privée de sa fille Claude, aujourd’hui le président du groupe UMP à l’Assemblée nationale, Jean-François Copé, l’accuse d’avoir propagé des rumeurs sur sa progéniture. L’ex-garde des Sceaux, Rachida Dati, lui impute également une part de ses malheurs – alors que Charon était censé travailler pour elle.

Mais prétendre qu’il lance uniquement des boules puantes serait injuste ; bien au contraire, il peut se montrer très généreux. Un parlementaire de la majorité, sorti de l’ombre pour critiquer l’un des projets de Nicolas Sarkozy, a reçu, un dimanche de l’automne dernier, un coup de téléphone des plus chaleureux : Pierre Charon lui proposait deux légions d’honneur pour des personnalités de son département.

Conseiller de Paris depuis bientôt neuf ans, celui qui vise un poste de sénateur en 2011 aurait ainsi la décoration aussi facile que la gâchette pour réduire au silence les trouble-fête.  » C’est son principal mode de fonctionnement, raconte un important élu de la capitale. A grand renfort de médailles et d’invitations, il rend beaucoup de services pour se créer des obligés. « 

Quelques rares ministres ont osé évoquer ses procédés avec le président de la République. Alors Place Beauvau, Michèle Alliot-Marie, confrontée aux intrusions dans son champ ministériel de cet ami de plusieurs responsables policiers, a soulevé le problème.  » Nicolas Sarkozy m’a dit de ne pas tenir compte de lui et a minoré le sujet « , se rappelle-t-elle. D’autres préfèrent se réfugier dans l’anonymat.  » Tant que le chef de l’Etat aura des hommes de main comme lui, il ne pourra pas être crédible sur le terrain de l’éthique, accuse, avec solennité, un ancien membre UMP du gouvernement. Si on veut l’éliminer, il ne faut pas le rater.  » Car Pierre Charon suscite la peur.  » J’évite le moindre contact avec lui, ce n’est pas mon genre de beauté « , complète un ministre actuel.

Jusqu’à l’intérieur du palais de l’Elysée, sa personnalité déclenche la controverse. Certains regrettent le temps où, sous l’influence de son épouse d’alors, Cécilia, le président avait ordonné de  » ne plus le voir à moins de 300 mètres « .  » Ses apparences bonhommes sont trompeuses, c’est un vrai méchant, qui sait dézinguer « , note un collaborateur du chef de l’Etat. D’autres conseillers, au contraire, se félicitent de sa présence, et pas seulement en raison de son humour ravageur – l’entendre décrire comment Nicolas Sarkozy a dépassé, à vélo, ses gardes du corps au cap Nègre, un jour de l’été 2009, est, paraît-il, impayable.  » Il a de vraies intuitions, estime l’un des participants à la réunion quotidienne de 8 h 30. Ses liens avec les élus complètent efficacement ceux du conseiller politique et parlementaire, Olivier Biancarelli. Sa connaissance du milieu du show-biz se révèle souvent profitable. « 

Pour avoir travaillé à Canal + et à Publicis, puis créé sa société de relations publiques, Pierre Charon a eu l’occasion, depuis longtemps, de sympathiser avec des vedettes de tous horizons. Il a également tissé un réseau utile dans la presse et cherche encore à perfectionner l’une de ses meilleures armes, son carnet d’adresses. Sa prochaine cible : le prestigieux Club des Cent, une institution, fondée il y a presque cent ans, qui attire les plus éminents gastronomes. En nombre très restreint, comme son nom l’indique.  » J’ai été remarqué « , se réjouit-il. Il a su trouver les gestes appropriés, accueillant pour un déjeuner, à l’Elysée, quelques-uns de ceux qui détiennent la clé d’entrée de cette association si sélective. Sans surprise, entre la poire et le fromage, il leur a promis des décorations. Pour les compter, demain, sur son tableau de chasse ?

éric Mandonnet

 » il rend beaucoup de services pour se créer des obligés « 

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire