Charles Picqué au chevet des paralysies bruxelloises

Charles Picqué, 61 ans, est le plus ancien bourgmestre (en titre) de Bruxelles et le ministre-président de la Région de Bruxelles-Capitale. Il dispose de la légitimité pour s’attaquer au problème de l’insécurité. Mais en a-t-il le pouvoir ? Interview.

Le Vif/L’Express : Après les émeutes interethniques d’Anderlecht, en août 2008, vous aviez suggéré de mettre sur pied un Observatoire de la criminalité. Où en est-il ?

> Charles Picqué : J’ai fait approuver un budget et établi la liste des institutions concernées. Mais la Région n’a pas de compétences formelles en matière de sécurité. C’est pour cette raison qu’on avait associé le gouverneur, qui exerce la tutelle sur les zones de police. Or il n’y a plus de gouverneur à Bruxelles depuis fin 2008. L’Observatoire est donc dans l’impasse pour le moment. Néanmoins, la Région a beaucoup investi, parfois en rusant avec ses compétences, dans la prévention : contrats de prévention et de société, politiques sportives et de cohésion sociale, lutte contre le décrochage scolaire, Plan crèche, etc. Ce volet  » prévention  » est indispensable mais il ne suffit pas. Il faut un volet  » répression  » face à des formes de délinquance plus dures.

Beaucoup souhaiteraient que vous repreniez les compétences du gouverneur. En voulez-vous ?

> Je demande qu’on tranche, pour qu’on avance. Il faut une loi à majorité spéciale, recueillant la majorité dans les deux groupes linguistiques, pour transférer ces compétences vers la Région de Bruxelles-Capitale. Il existe une autre difficulté : les gouverneurs de province sont des fonctionnaires soumis à l’autorité du ministre de l’Intérieur, d’où le risque d’attribuer partiellement à la Région de Bruxelles-Capitale un statut de pouvoir subordonné au fédéral.

Bruxelles est la seule grande ville du pays où le travail de police est éclaté sur six zones. Est-ce bien raisonnable ?

> Si l’on maintient les six zones de police, il faut que la Région ait un certain pouvoir de tutelle sur celles-ci pour veiller à la coordination des politiques de sécurité, tout en ne perdant pas notre atout le plus précieux : la proximité. Lors du braquage de la Western Union, l’intervention policière a démontré son efficacité. C’est un paradoxe de cette ville : la police est relativement rodée à la grande criminalité mais elle est en nombre insuffisant à l’échelle des quartiers, face à une série d’infractions et d’incivilités qui empoisonnent la vie de la population. Les chiffres de la criminalité sont en baisse depuis quelques années mais on constate néanmoins une triple évolution négative : des quartiers qui concentrent une série de handicaps socio-économiques, où la police de proximité manque cruellement, le recours de plus en plus fréquent aux armes blanches ou automatiques et l’abaissement de l’âge de la délinquance. Bruxelles est à la fois une ville internationale qui héberge les grandes institutions et elle est également composée de quartiers socio-économiquement fragiles. Il faut donc agir simultanément au niveau régional et dans les quartiers. Or, en matière de proximité, je ne crois pas qu’on ait trouvé mieux que les communes, qui intègrent toutes les politiques décidées à un niveau supérieur et qui, à travers les élus, sont en contact avec les réalités locales et doivent rendre des comptes à la population.

Mais cette question de la redéfinition des frontières entre les communes et les compétences patine depuis tant d’années…

> J’ai constitué récemment un groupe dit des  » sages  » qui a six mois pour remettre son premier rapport. Ensuite, un second groupe de travail composé de représentants communaux et régionaux examinera leurs propositions en matière de répartition des tâches. C’est une première. Quand on me dit qu’il faut simplifier les institutions de cette ville, je réponds oui. Mais qui a voulu augmenter le nombre de députés régionaux pour faire de la place aux Flamands – chose dont je me réjouis par ailleurs ? Qui a prévu un échevin de plus dans chaque commune pour que les Flamands aient voix au chapitre ? En vingt ans, ce système a fonctionné. Le problème récurrent de cette Région, c’est son sous-financement et l’importance qu’elle revêt dans le débat communautaire.

Avez-vous mesuré l’impact négatif des propos tenus par des hommes et femmes politiques bruxellois qui tendaient à minimiser les problèmes de sécurité ?

> Je suis quelqu’un qui a toujours tenu le même discours. Ma mère a été agressée sept fois en deux ans, ma femme trois fois… Entre-temps, les esprits ont évolué. Voyez Philippe Moureaux… Tout le monde est bien conscient que l’insécurité non traitée sape les fondements de la cohésion sociale. Mais il reste néanmoins un décalage entre les attentes de la population et certains discours sur la prévention et la protection de la jeunesse. Il ne faut pas sous-estimer l’inquiétude des gens et l’importance des faits.

Adhérez-vous à l’objectif de  » tolérance zéro  » ?

> N’utilisons pas l’expression  » tolérance zéro « , mais sanctionnons les comportements déviants de manière plus systématique. Pour cela, il faut des moyens importants et, surtout, une continuité dans l’effort préventif et sécuritaire. Le fédéral s’est désinvesti de la sécurité à Bruxelles, alors que des tâches supplémentaires n’ont cessé d’être reportées sur les zones de police. Un seul exemple, mais il est frappant. Il y a plus d’un an, la police fédérale a fermé son antenne de la gare du Midi et c’est donc le commissariat de la police locale de l’avenue Fonsny qui assure la sécurité dans ce quartier, alors qu’à elles seules les gares du Nord, Centrale et du Midi concentrent 89 % de la criminalité dans les transports publics. J’ai déjà eu trois réunions à ce sujet avec le ministre de l’Intérieur. Le fédéral ne semble pas prendre la mesure des risques encourus.

Vous plaidez pour la majorité pénale à 16 ans. Une provocation ?

> Si c’en est une, elle a pour but de faire réfléchir. Quelle différence y a-t-il entre un grand criminel de 17 ans et un autre de 18 ans ? Si la prison est une école du crime, a-t-on raison d’y envoyer un jeune de 18 ans ? Et si les jeunes doivent être protégés, la société ne doit-elle pas l’être aussi ? Je plaide pour que chaque infraction fasse l’objet d’un rappel à la norme, rapide et modulable. C’est par une autorité juste qu’un enfant construit sa personnalité. C’est d’abord aux jeunes eux-mêmes que l’impunité cause un tort. A mon sens, les IPPJ ne devraient pas être là seulement pour enfermer les auteurs des faits les plus graves. Elles devraient surtout servir à rappeler, par quelques jours ou quelques semaines de privation de liberté, ce que la société n’accepte pas des mineurs. Et pourquoi ne pas relancer la réflexion sur les internats pour jeunes délinquants ? Mais je le répète, il faut certes sanctionner mais mettre aussi le paquet sur la prévention et les politiques d’accompagnement et de promotion sociale : quand on ouvre des places en centres fermés, il faut aussi ouvrir des écoles de devoir !

Il n’est pas de bon ton de pointer les caractéristiques ethniques de certains quartiers difficiles. Comment, vous, homme politique de gauche, abordez-vous cette question ?

> Vous n’évitez pas, dans une grande ville, des regroupements de nature sociale ou de nature identitaire. Les classes moyennes et bourgeoises ne font pas autre chose. La mixité parfaite n’existe pas, mais il faut y tendre, car les conséquences de la non-mixité sont explosives. C’est tout l’enjeu des politiques urbaines pour lesquelles je me bats depuis toujours à Bruxelles. Les contrats de quartier ont apaisé des territoires, les opérations de rénovation urbaine ont attiré des habitants de différents profils, pas nécessairement riches d’ailleurs. Je n’accepte pas que l’on dise que la  » gentrification  » a chassé les pauvres et fait venir de gros bourgeois. Dans ma commune, à Saint-Gilles, l’installation de parents plus exigeants a contribué à tirer l’enseignement vers le haut. C’est un bénéfice pour tout le monde.

ENTRETIEN : M-C. R.

 » je ne crois pas qu’on ait trouvé mieux que les communes « 

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