Charles Michel, chef de guerre malgré lui

Le Premier ministre entend mener la lutte  » avec détermination  » contre la barbarie. Les attentats de Bruxelles constituent l’agression qu’il redoutait depuis son entrée en fonction.  » Nous resterons rassemblés « , clame-t-il. Une union nationale qui reste à concrétiser.

« Ce que nous redoutions s’est réalisé. Notre pays et nos concitoyens ont été frappés par deux attentats aveugles, violents et lâches.  » L’air grave, Charles Michel a pris la parole près de trois heures après les premières informations faisant état d’explosions à l’aéroport de Zaventem, le mardi 22 mars. Le Premier ministre a dû avant tout gérer une situation exceptionnelle sur le plan sanitaire, dans un contexte d’incertitude : les terroristes pouvaient encore frapper à d’autres endroits. Mais aussi, il a pris le temps de mesurer la portée terrible de ces mots qu’il aurait voulu ne jamais prononcer :  » Attentats à Bruxelles « . Les plus meurtriers jamais commis sur le sol belge. Ceux que tout le monde appréhendait.  » Le jour le plus noir depuis la Seconde Guerre mondiale « , selon Bart De Wever… Un drame pour la suédoise. Un tournant dans cette législature. Et dans la destinée du Premier ministre.

 » Se battre pour nos valeurs  »

C’est pourtant le bourgmestre d’Anvers qui fut le premier homme politique à nommer le cauchemar, mardi matin, en parlant rapidement d’une  » attaque « , brûlant la politesse au Premier ministre. Comme le symbole d’une majorité dominée, sur le plan sécuritaire, par la N-VA. Le radicalisme islamiste a plongé la capitale de l’Europe dans les ténèbres : c’est précisément ce contre quoi la suédoise se battait depuis le début de la législature, portée par des partis qui avaient fait de la question des returnees une priorité de longue date. L’actualité, tragique, leur donne davantage raison encore. Mais avec des parfums d’échec…

Ce gouvernement fédéral à la composition inédite devait être celui du redressement socio-économique du pays et des réformes structurelles, il restera surtout dans l’histoire comme celui ayant dû gérer cette menace sournoise et tentaculaire, jusqu’à ce terrible dénouement. Avec Charles Michel en  » chef de guerre « , malgré lui.

Le Premier ministre devait partir mercredi en Chine pour redorer l’image de marque de la Belgique. Il avait également pour mission principale de clôturer avant cela le contrôle budgétaire, pour être dans les temps de la date butoir du 1er avril, jour où la Belgique doit remettre sa copie à l’Europe. Le voilà face à un agenda et des priorités chamboulés. Encore une fois. Des attentats de Charlie Hebdo à ceux de Bruxelles, en passant par le drame déjoué à Verviers, les attaques du 13 novembre à Paris et le lockdown bruxellois, son gouvernement a été sans cesse contraint d’annoncer des mesures supplémentaires en matière de sécurité – une trentaine au total, toutes n’étant pas encore effectives. En vain : cela n’a pas empêché l’irréversible, même si cela a témoigné d’une réelle prise de conscience du danger.

 » Le risque zéro n’existe malheureusement pas « , commentait au Vif/L’Express un Denis Ducarme terriblement secoué, quelques heures après le drame. Chef de groupe MR à la Chambre, il fut l’un des premiers à tirer la sonnette d’alarme contre ces dérives radicales, voici dix ans. Il se félicite des avancées obtenues, mais il enrage aussi d’avoir eu raison trop tôt, sans qu’on ne le prenne toujours au sérieux. Outre les trois jours de deuil national, l’émotion immense et l’hommage aux victimes, il souligne combien le gouvernement doit poursuivre son travail :  » Nous devons maintenir le cap, continuer à nous battre pour nos valeurs et pour nos libertés. Pour ce que nous sommes, tout simplement ! Nous en sommes là…  »

Selon le chef de file libéral, au lendemain de ce 22 mars, il s’agira dans un premier temps de marquer les esprits en sécurisant davantage encore tout ce qui peut l’être. C’est là le credo permanent d’une coalition qui a fait du déploiement des militaires dans les rues sa marque de fabrique. Des dizaines de soldats supplémentaires ont encore été déployés à Bruxelles dans les heures suivant le drame, tandis que les contrôles aux frontières étaient renforcés.  » La population doit voir que la réaction de ses responsables incarne la solidité « , insiste le chef de file libéral. Qui ajoute :  » Je suis convaincu que les forces politiques auront la maturité de réagir dans le rassemblement face à cette horreur qui frappe toute la nation.  »

L’improbable union nationale

Son président de parti, Olivier Chastel, ne dit pas autre chose lorsqu’il annonce la volonté de  » ne pas se laisser guider par la peur, mais de mettre en place le cadre qui préserve nos valeurs « .  » Nous y associerons tous ceux qui y adhèrent, qui veulent mettre leur énergie au développement d’une société sûre et libre « , ajoute-t-il. Le vice-premier MR Didier Reynders évoque la nécessité de  » montrer sa capacité à être unis « . En écho, l’ancien Premier ministre Elio Di Rupo apporte son  » soutien aux autorités fédérales, dans ces moments où l’unité du pays est une priorité absolue « . Son homologue du CDH, Benoît Lutgen, réveille la devise belge qui n’a jamais été autant indispensable :  » L’union fait la force.  »

C’est le moins que l’on pouvait attendre dans les heures consécutives à un tel traumatisme. Cette fameuse union à laquelle les uns et les autres ont appelé au lendemain de chacun des événements tragiques, depuis les attentats de Charlie Hebdo il y a plus d’un an, n’a toutefois jamais vu le jour. Il reste un gouffre entre la vision sécuritaire de la suédoise et les approches des majorités régionales francophones, dominées par les socialistes. Un véritable plan interfédéral de lutte contre le terrorisme n’a jamais été envisagé, malgré les appels répétés en ce sens du CDH. Chacun travaille dans ses sphères de compétences. Seul le  » plan Canal  » du ministre de l’Intérieur, le N-VA Jan Jambon, a quelque peu transcendé les barrières institutionnelles, mais il est conspué.

Quelques heures à peine après les attentats, le bourgmestre de Bruxelles, Yvan Mayeur, a déjà renouvelé ses critiques à l’encontre du fédéral :  » Il faut sortir des effets d’annonce et nous donner les moyens que nous réclamons.  »  » Il manque 790 policiers à l’échelon bruxellois « , appuie le ministre-président, Rudi Vervoort. Ce dernier s’est déclaré en outre opposé à tout nouveau lockdown de la capitale après les attentats, réclamant un retour rapide à la vie normale. Le bouclage de la capitale, en décembre dernier, fut, il est vrai, un désastre psychologique et lui a coûté quelque 350 millions d’euros. Tout en ternissant durablement l’image de la ville. Sur ce point au moins, Charles Michel semble l’avoir entendu : il faut revenir au plus vite à la vie normale…

 » De nouveaux Abdeslam…  »

Le grand écart entre les conceptions des libéraux et des partis d’opposition fut particulièrement perceptible dans les jours qui ont suivi l’arrestation de Salah Abdeslam, vendredi 18 mars. Quatre petits jours avant les attentats. L’enquête dira certes s’il existe un lien entre la prise de celui qui avait été présenté comme  » l’ennemi public numéro un  » après les attentats de Paris et l’accélération de la mise en oeuvre du plan terroriste à Zaventem et à la station Maelbeek. Pour l’heure, seul le nauséabond et minoritaire Vlaams Belang, à l’extrême droite, réclame la démission de Jan Jambon.

L’épisode préalable aux attentats n’a toutefois pas été avare de récupérations et querelles politiques. Internes à la coalition fédérale, tout d’abord, régulièrement déchirée depuis sa naissance par les rivalités et les différences de conception sur le plan de la sécurité entre la N-VA et le CD&V. Un tweet de Theo Francken, secrétaire d’Etat à l’Asile, avait sonné la charge en fanfaronnant un  » Nous l’avons  » digne du Far West, avant même que la nouvelle officielle de l’arrestation de Salah Abdeslam ne soit annoncée. Cela lui avait valu un nouveau recadrage de la part du Premier ministre.  » Tant que les choses ne sont pas faites, on ferme sa gueule et on laisse la préséance au Premier « , nous confiait un ténor libéral dans la foulée. Bart De Wever avait, pour sa part, salué son ministre de l’Intérieur pour avoir tenu sa promesse de  » nettoyer Molenbeek « . Un cri de fierté dont le goût, avec le recul des événements, est passablement amer. Le Premier ministre était, lui, resté plus mesuré :  » Nous avons gagné une bataille, mais pas la guerre…  »

L’arrestation de Salah Abdeslam à quelque 500 mètres de son domicile molenbeekois avait réveillé, le week-end dernier, le débat sur les raisons ayant conduit Molenbeek à devenir une  » base arrière du terrorisme « . Charles Michel avait une nouvelle fois taclé l’ancien bourgmestre socialiste de la commune, devenu une cible facile pour son parti. Invité de RTL-TVI, le Premier ministre avait asséné :  » Je pense que plus personne n’est dupe de l’immense responsabilité de Philippe Moureaux.  » Un commentaire accueilli par un  » Ridicule !  » tonitruant de la cheffe de groupe socialiste, Laurette Onkelinx, sur Twitter.

Forte de la capture d’Abdeslam, la majorité fédérale pouvait toutefois s’enorgueillir d’un succès susceptible de mettre enfin un terme au Belgium Bashing des derniers mois.  » J’éprouve un sentiment de fierté pour nos services, sérieusement malmenés ces dernières semaines, nous confiait lundi Denis Ducarme. Ils sont passés d’un statut de héros après Verviers à un statut de nuls…  » C’était la veille du drame bruxellois.

La gestion de la communication autour de cette arrestation, saluée par un coup de fil théâtralisé du président américain, Barack Obama, à Charles Michel, n’avait guère soulevé de critiques. Sinon en coulisses, off the record, parce que le temps de la critique n’était certainement pas venu.  » Charles Michel s’est érigé en chef de guerre, son ministre de l’Intérieur pose devant un escadron de forces de l’ordre, cela ne va pas ! nous avait confié un ténor de l’opposition. C’est une communication à l’américaine, digne de l’arrestation de Ben Laden. C’est dangereux. Cela risque de fabriquer de nouveaux petits Abdeslam !  » Là encore, ces propos donnent, avec le recul, une terrible dimension à ce 22 mars devenu soudain l’équivalent pour nous du 11-Septembre américain ou du 13 novembre parisien…

 » Il y a un avant et un après  »

Tout le monde s’accorde à le dire : l’horreur inédite des événements de Bruxelles appelle à un sursaut de fédéralisme et à une prise de conscience de la menace qui pèse sur nos libertés. Il reste à voir si les divergences et les batailles de chiffonniers politiques pourront être durablement rangées au placard.

Charles Michel, lui, veut surtout être le garant de la sérénité de la nation. Avec le Conseil national de sécurité créé en début de législature – qui réunit, autour du Premier, ses ministres en charge de la sécurité et tous les organes compétents de la Sûreté de l’Etat à la Police fédérale en passant par l’Ocam – , il dispose d’un instrument lui conférant désormais une responsabilité lourde en matière de maintien de l’ordre. Le Premier ministre est le symbole de la main de fer de l’Etat. Il se veut, aussi, un homme d’Etat au-dessus de la mêlée.

Mardi en fin de journée, visiblement bouleversé, marqué par une journée intense à l’issue de laquelle il s’est rendu sur le site des attentats, Charles Michel a une nouvelle fois pris la parole pour exprimer son soutien aux familles et dénoncer cette barbarie qui a  » fauché des vies en plein vol « .  » Pour nous, il y a un avant et un après, clame-t-il. Nous sommes frappés par des images qui resteront à jamais…  » Puis :  » Je veux dire avec la plus grande force à ceux qui ont choisi de se porter en ennemis barbares contre la démocratie et la liberté que nous resterons unis et rassemblés. Avec une douleur profonde dans le ventre et dans le coeur, nous avons la détermination pour protéger notre manière de vivre.  »

Cette lutte, déclare-t-il, le visage grave et la voix brisée, est sans frontières.  » La liberté a été frappée au coeur comme elle l’a été à Paris, à Londres, en Espagne… J’ai reçu le soutien de nombreux dirigeants étrangers. C’est un combat commun !  » Prudent, le Premier ministre n’a jamais explicitement parlé de  » guerre  » contre le terrorisme, comme l’a fait à plusieurs reprises son homologue français, Manuel Valls. Il veut éviter ces accents  » bushiens « . Mais c’est bien d’une épreuve de force dont il est question, qui lie tous les pays européens.

 » Charles Michel est quelqu’un pour qui j’ai de l’admiration, insiste Denis Ducarme. Il parle lui-même du sang-froid dont il doit faire preuve, mais il est réellement d’un calme sidérant. Ce n’est pas à la portée de tout le monde. Et c’est un atout dans de telles circonstances.  » Il en aura grandement besoin dans ces semaines où tant la sécurité du pays que son image de marque seront au centre de toutes les préoccupations. Pour ne pas parler d’un budget devenu secondaire.

Pour en témoigner, le roi Philippe s’est exprimé devant la nation, mardi en soirée. Un fait exceptionnel : il ne prend traditionnellement la parole que lors du 21 juillet, à Noël ou lors de la fête du Roi. Son message, court et solennel, portait la griffe du Premier ministre libéral qui doit en tout état de cause le contresigner :  » Face à la menace, nous continuerons à répondre ensemble avec fermeté, calme et dignité. Gardons confiance en nous-mêmes. Cette confiance est notre force.  »

Dans les prochaines semaines, il y aura bien du travail pour la rétablir au coeur d’une société belge bouleversée.

Par Olivier Mouton

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire