Chantons (sous) la crise

Pouvoir d’achat, subprimes, chômage… Depuis un an, la récession inspire les auteurs et s’invite dans les chansons françaises. Légères, drôles ou militantes, elles reflètent le malaise social et la contestation. Enquête.

Ecoutez le refrain de la crise.  » Parachute doré [à] / Adieu représentants syndicaux « , chantonne Alain Souchon au lendemain du krach boursier.  » Je suis pas Nasdaq / Je vais tous les Nikkei « , rigole Thomas Dutronc.  » C’est la crise, dans l’industrie y a plus de liasse « , pilonne Diam’s. Tandis que Rose chuchote :  » Les banquiers ne prêtent plus leur plume / C’est la crise que veux-tu.  » Depuis un an, la récession économique, financière et sociale s’invite dans les tubes. La francophonie se balance sur des paroles de sinistrose. Qui l’eût cru ?

 » Le cynisme de la haute finance « 

Pourtant, la chanson nous a habitués à prendre le pouls de l’époque. Déjà, le krach de 1929 et les années noires qui suivirent avaient inspiré interprètes et chansonniers. Plus tard, la fin des années 1970 voit Ferré, Trust ou Higelin pousser des diatribes contre le patronat. Dernièrement, des tubes contestataires de Tryo, Bernard Lavilliers ou Noir Désir ont milité contre le néolibéralisme.

 » La chanson française est une confluence de courants avec des thèmes qui enflent par moments, selon l’actualité « , remarque Pierre Philippe, historien de la chanson, auteur du Roman de l’Olympia. Sauf que la dépression économique a aujourd’hui un écho très particulier chez les chanteurs, touchés, eux, par la crise du marché du disque.  » J’ai écrit Parachute doré alors que dans les médias on parlait de bonus et de subprimes et que le cynisme de la haute finance nous scandalisait tous, se souvient Alain Souchon. Et comme notre monde de la musique vit aussi, disons, pour ne pas être méchant, sa grande réorganisation, j’ai réorganisé tout cela en mêlant l’humour et la tristesse. « 

 » La chanson reste un exutoire « 

Dans son nouvel album, En attendant, Volo prône la valeur du dimanche et interpelle le néocapitalisme d’un tonitruant  » Quand j’vous vois paniquer, allez tous vous faire spéculer.  » Pour Frédéric Volovitch, membre de Volo,  » la chanson reste un exutoire et aujourd’hui, on le sent bien en concert, la France est en colère « .

Et prompte à détourner les sens et les scies. Ainsi, Ça m’énerve, d’Helmut Fritz, hit de l’été 2009, est devenu le tube de tous les mouvements sociaux (voir l’encadré). D’abord reçu au premier degré sur les dance-floors, Ça m’énerve, qui liste les frustrations d’un Parisien avide d’objets de luxe, a symbolisé, un peu malgré Helmut Fritz, le rejet de l’hyperconsommation à l’heure des licenciements massifs.  » La chanson a été revendiquée par la France d’en bas, appuie Fritz, celle des campings et des usines, elle montre l’exaspération des salariés. « 

Les sujets des rengaines sociales caustiques de La Chanson du dimanche se décident aux comptoirs de bistrots. Depuis février 2007, ce duo d’histrions revisite une fois par semaine la semaine politique dans l’esprit des chansonniers de Montmartre ou des Guignols de l’info. Leurs vidéos ont été vues 33 millions de fois sur Internet, les tournées s’empilent, on les entend le dimanche dans 7 à voir, sur France 3.  » Nos chansons qui ont eu le plus d’impact, juge Clément Marchand, l’un des deux complices, sont celles qui sont portées par la crise économique : Super Pouvoir d’achat, Petit Cheminot, Capitaine Madoff.  » Il ajoute :  » Il y a un côté créatif à renouveler le vocabulaire dans la chanson traditionnelle, comme le rap a pu le faire en utilisant des termes contemporains. « 

Désormais, à la radio, des paroles claquent, inédites : actifs toxiques, subprimes, Madoff, tradersà  » Jouer avec la langue est très amusant, raconte Thomas Dutronc. Et puis mon morceau Nasdaq évolue sur scène en fonction de l’actualité. On improvise à chaque fois une samba avec des termes de la Bourse.  » Les chanteurs écrivent leurs textes en écoutant les journaux télévisés ou en se plongeant dans la presse financière, comme Volo. Foule électorale, il faut voir comme on nous parle !

Alain Souchon : Ecoutez d’où ma peine vient (Virgin). Thomas Dutronc : Comme un manouche sans guitare (Universal). Volo : En attendant (Opéra-Music/L’Autre distribution). L’Homme parle : Militants du quotidien (Booster/Pias). La Chanson du dimanche : Plante un arbre (Universal). Helmut Fritz : En observation (Sony Music Media).

GILLES MÉDIONI

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