Ces partis frères que PS, MR et CDH voudraient ne plus fréquenter

Au Parlement européen et dans leurs fédérations internationales de partis, les formations belges cohabitent avec des homologues pas toujours recommandables. Propice à des sorties et des mesures discriminatoires, la crise des migrants a encore accentué l’inconfort des Belges contraints de travailler avec leurs encombrants camarades.

Claude Rolin est un homme chanceux. Cet ancien ado rebelle est aujourd’hui calme et ferme à la fois, affable et ouvert en permanence. Il a fait une belle carrière de syndicaliste chrétien. Il a un fils très fort à la course à pied et une famille charmante. Il habite Bertrix, au bon air des Ardennes et à peu près à mi-chemin – surtout quand la capitale belge est bouchonnée – entre les deux villes où cet ancien bûcheron vend sa force de travail, Bruxelles et Strasbourg. Là-bas, entre la Senne et l’Ill, de l’Alsace au Brabant, Claude Rolin a deux types de collègues. Il y a ceux qui le traitent fraternellement, avec lesquels il collabore régulièrement, et qui sont franchement tristes pour lui. Car il y a, aussi, ceux de sa formation, la plus grande de l’hémicycle continental avec 216 sièges, le Parti populaire européen. Il y est, c’est peu de le dire, politiquement très isolé. Il s’y attendait.  » Je savais à quoi et dans quoi je m’engageais lorsque j’ai accepté la proposition de Benoît Lutgen, et c’était sur le programme européen du CDH. Et puis, dans le groupe PPE, même si je suis à la marge, jamais on ne m’empêche de m’exprimer, et je suis parmi les parlementaires qui respectent le moins la discipline de parti « , dit-il, à raison : les sites spécialisés qui recensent les votes classent l’Ardennais parmi les rebelles.

Mais que fait-il donc dans cette formation ? Ses collègues fraternels, ceux qui sont franchement tristes pour lui, le répètent souvent avec une amitié d’autant plus doucereuse qu’ils sont aussi ses adversaires politiques… et que leurs propres fédérations ne brillent pas non plus par leur grande cohérence.  » Claude, je me demande souvent ce qu’il fait là, et pourquoi il n’est pas chez nous… « , souffle Marie Arena (PS), députée européenne et membre du groupe parlementaire de l’Alliance progressiste des socialistes et démocrates au Parlement européen, qui rassemble les élus du Parti socialiste européen, dont depuis 2014 ceux du Parti démocrate italien de Matteo Renzi, qui auparavant siégeaient soit avec le PSE, soit avec le Parti démocrate européen lui-même allié dans un groupe avec les libéraux. Vous suivez ? Reprenez vite votre respiration :  » Incontestablement, le groupe où Claude Rolin serait le plus à l’aise est le nôtre, je le lui dis souvent « , pose Gérard Deprez (MCC, donc MR), député européen et membre du groupe parlementaire de l’Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe (ADLE), qui regroupe les élus du parti de l’Alliance des Libéraux et des Démocrates pour l’Europe (ALDE), dont sont membres les libéraux du MR et les centristes du Parti démocrate européen (PDE), qu’ont pratiquement mais pas entièrement quitté les Italiens, mais dont Gérard Deprez est encore, pour le MCC mais pas pour les libéraux du MR, délégué général.

Claude Rolin, qui a rapidement appris à s’y retrouver dans les diverticules bruxello-strasbourgeois, le reconnaît à demi-mot :  » C’est avec les gens du Modem français que j’ai le plus d’accointances, je suis très très proche du PDE, en effet.  » Pourtant, donc, le syndicaliste un jour syndicaliste toujours Claude Rolin coudoie, dans ses réunions de groupe, les Hongrois du Fidesz du très musclé Viktor Orban, des sarkozystes de choc de la droite des Républicains, les aimables Bulgares du Gerb, quelques berlusconiens de Forza Italia, voire certains, du Parti populaire espagnol, nostalgiques discrets de l’Espagne de Franco.

Cette embarrassante diversité au PPE n’est pas neuve, et elle est allée en réalité en se réduisant. Né de la convergence des partis sociaux chrétiens des pays fondateurs (Allemagne, Italie, Benelux surtout), le PPE a recruté ensuite, au fil des élargissements, tous azimuts : chez les gaullistes français puis parmi les droites ibériques et slaves. Les très eurosceptiques conservateurs britanniques et polonais y ont même été associés. Depuis cette législature, ces derniers s’en sont allés composer leur propre groupe parlementaire, et la défection de certains centristes à travers le PDE a contribué à donner un peu, juste un peu, d’homogénéité à la plus grande formation européenne.

Ça n’empêche pas les Belges des autres familles de ricaner de ce compagnonnage. Un peu à tort. Olivier Chastel et Elio Di Rupo, par exemple, ne manquent jamais de s’en prendre à Benoît Lutgen. Et Joëlle Milquet, avant lui, avait déjà trinqué. Pourtant, leurs familles respectives ont elles aussi accueilli des camarades moins fréquentables. C’est encore plus visible aujourd’hui que l’Europe se dissout dans la mondialisation et se ridiculise dans la crise des migrants. Dans le groupe ADLE, que préside Guy Verhofstadt, on a récemment vu Louis Michel en sainte colère contre une vice-présidente de commission conservatrice et hongroise, donc PPE. Les images ont fait le tour de la planète.  » Scandalisé, honteux en tant que parlementaire européen d’avoir assisté à un simulacre de débat « , Louis Michel s’insurgeait au moins autant contre la présidente de la Commission des libertés civiles que contre le dispositif en discussion ce jour-là : celui, introduit par le gouvernement danois, qui impose la confiscation des biens des migrants. Or ce gouvernement, minoritaire et parfois appuyé par l’extrême droite, est composé des libéraux de la Venstre, parti frère du Mouvement réformateur. Et en dehors de l’Union, mais membre à part entière de l’ALDE, la Venstre norvégienne forme, depuis 2013, une coalition avec la droite populiste. Quant aux socialistes, leurs camarades danois ont voté les récentes mesures confiscatoires. Un Premier ministre socialiste a fermé les frontières autrichiennes. Et les socialistes slovaques du Premier ministre Robert Fico se distinguent depuis de longues années déjà. A l’automne dernier, il avait déclaré ne vouloir accueillir que des réfugiés de religion chrétienne.

Dans les couloirs, les Belges ne boudent pas tous leurs camarades pour autant.  » Chez nous, il y a un vrai problème avec les Slovaques, qui sont très isolés parce qu’ils défendent leur leader. Moi, je n’ai aucun contact avec eux et j’évite d’aller chercher des appuis de ce côté-là… En revanche, les Danois du groupe étaient mal à l’aise par rapport aux dispositions que leur parti a soutenues « , indique Marie Arena. Dans les structures socialistes continentales, ces tensions se ressentent : les Danois sont venus s’expliquer, fin janvier, en conférence des représentants du PSE. Et le président du groupe socialiste au Parlement européen a réclamé la suspension des socialistes slovaques de toutes les instances internationales – ils l’avaient déjà été, provisoirement, après 2006, lorsque Robert Fico avait choisi de composer avec la droite nationaliste son premier gouvernement. Plusieurs présidents nationaux, dont Elio Di Rupo (lire son interview page 32) plaident pour des sanctions. Quant aux libéraux danois,  » aucune sanction n’est prévue. Mais le parti ALDE plaide pour la mise en place d’une réunion spéciale sur la crise des réfugiés en Europe en présence des parlementaires nationaux. L’objectif est de sortir de tout ça par le haut en avançant sur une politique d’asile européenne. Et ce point sera à l’agenda du conseil du parti à Vilnius le 4 juin… « , dit-on au Mouvement réformateur.

Bref, les partis et les groupes parlementaires européens ne sont, dans une Europe en tourmente, pas près de renouer avec leur antique cohésion. L’initiative de refondation d’une Europe politique autour d’un noyau de pays fondateurs pourrait contribuer à une nouvelle recomposition. En Belgique, les trois familles traditionnelles, socialiste, libérale, sociale chrétienne, sont sur ce point unanimes, comme du reste l’écologiste. Mais le plus grand parti du pays, la N-VA, a abandonné son europhilie de jadis : elle prend désormais les Conservateurs britanniques pour modèles et camarades de Parlement européen. Et Bart De Wever, bourgmestre d’Anvers, ne cache pas son admiration pour Boris Johnson, apôtre Tory du Brexit.

Par Nicolas De Decker

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