Ces Algériennes revenues de l’enfer

Dans un pays où la question des agressions sexuelles reste taboue, la loi ne reconnaît aucun droit aux femmes enlevées et violées par des terroristes dont elles ont parfois eu des enfants

(1) Certains prénoms ont été changés, pour préserver l’anonymat des personnes.

Nacera (1) se bat depuis quelques années pour donner à son fils une vie décente. Cette jeune femme a été enlevée en 1995 par un commando islamiste, avec la complicité de son père et de son frère. Emmenée dans les maquis de Chréa, dans la Mitidja, elle a été mariée contre son gré au chef du groupe. Elle y est restée deux longues années, avant d’être libérée par les gendarmes avec l’enfant qu’elle venait de mettre au monde. Elle aurait voulu ne plus jamais avoir affaire au père. Mais la loi algérienne va rapidement l’y contraindre. Lorsqu’elle tente de faire inscrire à l’école son fils, alors âgé de 6 ans, elle se heurte à une fin de non-recevoir car l’enfant n’a aucun papier d’identité. Malgré le dégoût que lui inspire son ex- ravisseur qui, entre-temps, a bénéficié, en tant que  » repenti « , de la loi sur la concorde civile, elle va se battre pour faire reconnaître l’enfant par son père. Ce dernier est, en effet, rétabli dans tous ses droits, y compris ceux que lui accorde le Code de la famille, notamment la tutelle parentale. Pour cela, il faut donc non seulement que Nacera renonce à porter plainte pour enlèvement, séquestration et viol, mais aussi qu’elle endosse le statut de femme divorcée et accepte d’entretenir une relation quasi normale avec celui qui a détruit sa vie.

Fella, elle, n’a même pas eu cette chance. Pour la société, son fils restera définitivement un  » bâtard « . Son père est mort au maquis et les démarches que Fella a tentées auprès de sa famille pour faire reconnaître l’enfant n’ont pas abouti. Au maquis, elle a été violée par plusieurs de ses ravisseurs. Comment peut-elle être sûre de la paternité de son enfant ? En l’absence de témoins, l’enfant recevra donc la filiation de sa mère. Quant à Fella, elle n’aura même pas le statut de veuve, puisque celui qui l’a violée n’a pu être identifié.  » Ce qui est dramatique, s’insurge la magistrate Ghania Kaddache, c’est qu’aucun travail statistique n’est fait. Notre société est si hypocrite et si fermée qu’elle refuse de prendre en charge ce problème, oubliant que, demain, ces enfants réclameront des comptes.  »

Peu de plaintes par peur des représailles

En 1998, des associations de femmes avaient demandé aux instances religieuses de prononcer une fatwa autorisant l’avortement (interdit en Algérie) pour les femmes ayant été violées par des terroristes. L’université d’El- Azhar, au Caire, auprès de laquelle on avait demandé conseil, avait émis de sérieuses réserves. Alors que cette même autorité religieuse avait, au contraire, déclaré licite l’avortement de femmes bosniaques violées par des miliciens serbes. Parce qu’il s’agissait de femmes musulmanes violées par des chrétiensà

Au-delà du cas des maquis islamistes, le viol, et plus généralement les agressions sexuelles restent largement tabous en Algérie. Il faudra attendre 2001 pour que l’Etat algérien autorise l’Institut national de santé publique à lancer, à travers tout le pays, une enquête sur les violences faites aux femmes, à la condition toutefois que cette étude ne se limite pas aux viols. Parrainée par l’Organisation mondiale de la santé, celle-ci, la première du genre sur le continent africain, a été réalisée en décembre 2002. Il en ressort que 44 % des femmes algériennes victimes de violences le sont du fait de leur conjoint. Viennent ensuite les frères et les pères. Très peu d’entre elles osent porter plainte.

Il faut dire que la législation algérienne ne les encourage pas. Selon Soraya Laimouche, médecin légiste qui a participé à l’enquête,  » la violence est banalisée à cause du Code de la famille, qui rend les femmes vulnérables. Elles craignent les conséquences d’un divorce « .  » Le niveau social ne change rien, ajoute- t-elle. Toute la société est touchée.  » Du coup, par peur des représailles, seulement la moitié des victimes se plaignent dès la première agression. Et lorsqu’elles le font, c’est souvent parce qu’elles ont acquis la certitude que le divorce est inévitable. Elles commencent alors à accumuler les certificats médicaux.

D’autres femmes subissent en silence. C’est le cas, notamment, de celles qui sont victimes de harcèlement sexuel sur leur lieu de travail. Devenu une pratique très répandue depuis que des petits métiers û vendeuses ou serveuses par exemple û ont été investis par les femmes, le harcèlement sexuel bénéficie surtout du vide juridique.  » Notre législation ne reconnaît que l’attentat à la pudeur « , relève Soumia Salhi. Responsable de la Commission nationale des femmes travailleuses à l’Union générale des travailleurs algériens, elle a pris l’initiative d’une campagne nationale et créé, depuis décembre 2003, un centre d’écoute avec un numéro vert. Elle est consciente toutefois que l’impact de cette structure est limité. D’abord, parce que  » seules celles qui travaillent dans les entreprises publiques, où il y a un minimum de règles, osent se plaindre ; ailleurs, c’est carrément des zones de non-droit « . Ensuite, parce que la précarité de l’emploi est telle que, pour la majorité d’entre elles,  » c’est cela ou la rue « . l

Baya Gacemi

ôLe niveau social ne change rien : toute la société est touchée »

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