Cadeaux de Nobel

Le Péruvien Vargas Llosa entre dans la Pléiade. Une bonne occasion de (re)lire huit de ses plus beaux textes.

Dans Retour à Ithaque, le film de Laurent Cantet, des amis qui se retrouvent après l’exil s’exclament en choeur :  » A quel moment le Pérou avait-il été foutu ?  » Cette réplique ouvre Conversation à la Catedral (1969), le seul roman que son auteur, Mario Vargas Llosa,  » sauverait du feu « . Humilité d’un Grand d’Espagne ? Depuis, le Nobel a repêché, fort justement, sept autres fictions pour figurer dans les deux tomes de ses OEuvres romanesques, publiées par la Pléiade dans une traduction révisée et dotée d’un riche appareil critique. Le Péruvien a donc l’honneur d’y être le premier écrivain étranger accueilli de son vivant, à quatre jours de ses 80 ans. Qui plus est, dans cette bonne ville de Paris, où il acheta Madame Bovary dès sa descente d’avion, en 1959, et où il écrivit ses premiers textes (La Ville et les Chiens, La Maison verte).

Afin d’apprivoiser le condor des lettres péruviennes, aussi à l’aise dans la fiction que dans l’essai (L’Orgie perpétuelle et La Tentation de l’impossible, consacrés respectivement à Flaubert et à Hugo), pourquoi ne pas se plonger d’emblée dans le  » livre sauvé « , Conversation à la Catedral, roman de la tyrannie, celle du général putschiste Odria (1948-1956) ? Et au-delà, récit de la faillite collective d’un pays et d’un continent, où la corruption est mère du succès.  » Ma génération était en train de passer de l’adolescence à la maturité et elle a été avilie, frustrée par ce régime « , déclare alors l’auteur, rare écrivain sud-américain à revendiquer son libéralisme, après un flirt de jeunesse avec le communisme et un compagnonnage heurté avec le castrisme, jusqu’au début des années 1970.

Destins guettés par le naufrage

Depuis, l’enfant d’Arequipa, rejeton d’une famille débarquée au côté du conquistador Pizarro, familier de l’Europe et des Etats-Unis, s’astreint à une stricte division du travail. La politique est cantonnée au registre de la raison, y compris lors de sa campagne présidentielle, en 1990. Tandis que le roman a tous les droits, à commencer par celui de fourrailler dans notre  » part maudite « . La Catedral, nom d’une taverne minable où se rencontrent Santiago Zavala, éditorialiste à La Cronica, et Ambrosio, géant noir clochardisé, ancien chauffeur du sénateur de père de Santiago, en est l’illustration. Elle est aussi un exemple patent du savoir-faire de ce maître en textes arborescents, chroniques de destins individuels ou collectifs guettés par le naufrage. Car si le Pérou est bel et bien  » foutu « , Zavala n’est pas sûr de s’en sortir indemne.

OEuvres romanesques, t. I et t. II,

par Mario Vargas Llosa,

Ed. dirigée par Stéphane Michaud, Gallimard/Pléiade, 1 952 et 1 920 p.

Emmanuel Hecht

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