Ça mijote doucement…

Le Slow Food se développe aussi en Belgique. Timidement, mais avec conviction. Reportage chez les traqueurs de goûts

Toleggio, Pecorino, Robiolo, Il Pizzino, Caprotto, Boschetto aux truffes… Dirk Martens est un amoureux de l’Italie. On salive avidement devant les dizaines de fromages importés de la botte qu’il aligne dans sa crémerie de Schilde, au nord d’Anvers. La plupart sont introuvables ailleurs en Belgique. Il y a trois ans, ce bon vivant a créé, avec des confrères crémiers, le premier convivium Slow Food de Flandre et même du pays : ils se réunissent environ tous les deux mois pour déguster des fromages du terroir et des bières artisanales. Un convivium ? C’est un groupe de gastronomes désireux de défendre l’art du goût, la biodiversité et les producteurs locaux, dans la philosophie du mouvement Slow Food, basé à Bra, dans le nord de l’Italie.

 » La gastronomie constitue un savoir qu’il faut perpétuer. Or, aujourd’hui, ce savoir semble menacé. C’est dangereux ! Ce sera pire encore lorsque nous serons envahis par l’industrie alimentaire des pays d’Europe de l’Est… « , prévient Martens qui espère convaincre le ministre-président flamand Yves Leterme de davantage soutenir les petites productions locales et d’éduquer les enfants au goût dans les écoles, comme cela se fait en Italie, où sont organisées des classes vertes gastronomiques.

Il existe une dizaine de convivia en Flandre, qui réunissent environ 200 membres. Cela paraît peu mais c’est un début. Et c’est toujours mieux qu’en Wallonie où les convivia se comptent à peine sur les doigts d’une main. Entre Enghien et Ath, la dynamique commune de Silly s’est lancée la première dans l’aventure gustative, main dans la main avec le village toscan de San Miniato. Depuis deux ans, les deux bourgs, qui valorisent avec ardeur les saveurs de leur terroir, pratiquent des échanges de bon goût : huile d’olive, beurre de truffe, charcuterie, vins liquoreux, côté italien ; jus de pomme, vin de griotte, bières, fromages de chèvre, miel, escargots, côté belge.

Silly donne un joli coup de pouce à ses producteurs locaux, en leur permettant de vendre leurs marchandises sur la place du marché sans payer l’emplacement.  » J’ai également négocié avec les responsables de l’AD Delhaize qui s’établira bientôt sur le territoire de la commune pour qu’un comptoir y soit réservé aux saveurs de Silly « , confie le bourgmestre Christian Leclercq.

Promouvoir ainsi les produits locaux permet de s’attaquer à un autre cheval de bataille du mouvement Slow Food : la préservation de la biodiversité. Un chiffre révélateur : au xxe siècle, le nombre de variétés d’artichaut a régressé de 200 à 12 ! Selon Slow Food, à cause de l’obsession du rendement économique de l’industrie alimentaire, dix espèces de fruits et de légumes disparaissent chaque jour de la planète. Ce constat inquiétant a été rappelé lors du débat  » Slow Food contre Fast Food « , organisé, en novembre dernier, dans le cadre de la grande foire agricole Agribex, à Bruxelles.

Au cours de la discussion, Ivo Mechels, de l’association Test-Achats, a souligné que la diversité était une bénédiction pour le consommateur, tout en fustigeant les dangers d’une réglementation excessive des denrées alimentaires, qui conduit à une uniformité insipide. Il a néanmoins mis en garde contre l’usage commercial abusif qui pourrait être fait du concept Slow Food. Cela paraît loin d’être le cas pour le moment. En cherchant bien, nous n’avons trouvé qu’un seul restaurant se réclamant – avec raison – du Slowfooding, en Belgique francophone.

Comme le relève Carl Honoré dans son livre Eloge de la lenteur, certains critiques ne se privent pas de comparer le Slow Food à un club d’épicuriens nantis. Bien manger coûte cher ? Il est clair qu’un poulet fermier ne pourra jamais concurrencer une volaille industrielle. Par ailleurs, un plat tout préparé d’£ufs brouillés coûte vingt fois plus cher qu’une boîte d’£ufs frais, même achetés à la ferme. Plus ils suscitent d’engouement, plus les produits bio voient leurs prix diminuer. De toute façon, pour manger mieux, il y aura toujours un prix à payer. Nous nous sommes sans doute trop habitués à la nourriture bon marché. Il y a cinquante ans, une famille européenne moyenne consacrait jusqu’à la moitié de son revenu aux repas, contre 15 % aujourd’hui…

Th.D.

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